Zillion : critique sous ecsta

Mathieu Jaborska | 21 juin 2023 - MAJ : 21/06/2023 17:31
Mathieu Jaborska | 21 juin 2023 - MAJ : 21/06/2023 17:31

En Belgique, c'est l'un des cartons les plus spectaculaires de l'année 2022. Zillion, sorti en octobre, est resté en tête du box-office local pendant plus d'un mois, cédant tout de même sa place quelques jours à un petit indépendant du nom de Black Panther : Wakanda Forever. Sur cette période, il aurait attiré plus de 500 000 habitants d'un pays qui en compte 11 millions, en faisant selon son distributeur l'un des films les plus vus de l'année et coiffant au poteau nombre de blockbusters américains. En France, il est sorti dans une grande discrétion, et ce malgré la présence derrière la caméra de Robin Pront (Les Ardennes). Peut-être est-ce parce que le film raconte un phénomène culturel et judiciaire très belge.

Welcome to the club

Pour qui a grandi aux alentours de la Belgique dans les années 1990 et 2000, ces noms clinquants faisaient rêver : le Cap'tain, le Cherry Moon et bien sûr le Zillion... La réputation de ces boites de nuit gigantesques et populaires, pour certaines connues grâce à leurs compilations CD, a passé la frontière. Plus de 20 ans plus tard, le film qui voudrait raconter leur démesure en fait de même, en se tapant l'incrust' dans les multiplexes hexagonaux.

Le long-métrage de Robin Pront (qui s'était déjà intéressé aux milieux populaires dans Les Ardennes) se concentre plutôt sur le Zillion, le centre névralgique de la vie nocturne anversoise de 1997 à 2002, ou plutôt sur son sulfureux gérant, le célèbre Frank Verstraeten, a.k.a DJ Fou. Pour la faire courte, le bonhomme est un fils à maman qui ne rechignait pas à contourner les lois quand il s'agissait d'argent. Du business juteux (au sens figuré) de l'informatique, il est passé au business juteux (au sens propre et figuré) du clubbing, jusqu'à ce qu'il se fasse rattraper par ses montages financiers, arrangements avec la sécurité et autres parties fines à peine dissimulées.

 

Zillion : photo, Jonas VermeulenBienvenue au Grand Ecran Large

 

Et le cinéaste, visiblement fasciné par le personnage, ne fait pas les choses à moitié. Doté d'un budget très honorable, Zillion est une fresque de presque 2h20 à peu près aussi mégalo que son sujet d'étude, reconstituant pour le plus grand plaisir des nostalgiques certaines des soirées les plus disproportionnées du club grâce à des décors impressionnants et de larges mouvements de caméra. Le tout rythmé quasi sans interruption par une bande originale du batteur devenu producteur d'EBM B1980 et surtout une playlist gargantuesque compilant une trentaine de méga-tubes de bonne vieille trance des familles.

Par instants, il est donc difficile de bouder son plaisir devant cette débauche festive complètement fantasmatique boostée aux kicks de Moby, Milk Inc, Push et Tiestö période Adagio for Strings (presque le thème principal). Pront et son chef opérateur Robrecht Heyvaert (Revenge, Rebel, Bad Boys for Life) poussent les potards de leurs platines, moniteurs et consoles à fond et entrainent dans leur délire leurs comédiens, en particulier Jonas Vermeulen, qu'il faut voir découvrir l'ecstasy après une vie devant les ordinateurs à arnaquer le fisc, et Matteo Simoni, habitant son personnage de vicelard beauf et opportuniste.

 

Zillion : photo, Matteo Simoni, Jonas Vermeulen, Charlotte TimmersJ'ai téléchargé le mauvais film Harry Potter 

 

Le loup d'Angers

Préférant les grandes envolées esthétiques à une quelconque forme de réalisme, Zillion cherche plus à perpétuer la légende du club éponyme qu'à le désacraliser, quand bien même il entend dévoiler toutes les magouilles qu'il a accueillies. Pour ce faire, il s'appuie très lourdement sur le modèle du rise and fall scorsesien. Le long-métrage est sans aucun doute pensé et mis en scène comme Le Loup de Wall Street de la fête anversoise. Et Verstraeten est logiquement le Jordan Belfort flamand, à ceci près qu'il cherche avant tout à compenser sa taille.

C'est là que le bat blesse : contrairement à Scorsese, Zillion n'a pas grand-chose à dire sur les vicissitudes du système qui permet à un tel individu de s'adonner à de telles absurdités. En fait, il pique au cinéaste américain sa structure narrative pour exhiber la débauche du club, la seule chose qui l'intéresse vraiment en fin de compte. En résulte une récitation très lourdingue des codes du genre, voix off omniprésente comprise, qui se garde bien d'aller au-delà de l'alignement de séquence de fêtes et de prises de tête sous coke.

 

Zillion : photo, Matteo Simoni, Jonas VermeulenYou talkin' to me ?

 

Le film est trop exalté par son sujet pour être un tant soit peu incisif. Ce qui finit surtout par dépeindre de belles raclures en figures pitoyables, mais sympathiques, a fortiori quand elles sont traquées par un agent du fisc au sex-appeal d'ogre des marais. Non seulement le vrai Verstraeten en personne a droit à son petit caméo, mais l'intrigue évite soigneusement d'analyser plus en profondeur les débuts de sa relation avec la mannequin Vanessa, personnage inspiré de l'ancienne Miss Belgique Brigitta Callens (laquelle n'a semble-t-il pas apprécié la trajectoire de son alter ego) qu'il impressionne – ici, tout du moins – à coups de strass, de paillettes et d'ambition.

Mais le pire reste probablement le personnage de Dennis Black Magic, de son vrai nom Dennis Burkas, magnat du porno qui s'est associé avec "le roi du disco" pour monter son affaire. Ici queutard gaffeur qui tente de ramener son ami à la raison quand il perd les pédales, il a en réalité été condamné pour viol sur une adolescente de 15 ans, ainsi que pour d'autres infractions à caractère sexuel. Des exactions que le montage final balaye d'une phrase presque amusée.

 

Zillion : photo, Matteo SimoniRigolo, mais pas trop

 

Avec un peu moins de complaisance, Zillion aurait pu s'attaquer aux sombres subtilités du monde de la nuit, où les pires résidus de sociétés pas très saines fournissent les danseurs en nuits de folie et où se côtoient moments d'extase et pourritures finies à la 8.6. En l'état, il ne propose qu'un joli spectacle son et lumière.

 

Zillion : Affiche

Résumé

Zillion replonge dans la folie des nuits anversoises avec enthousiasme. Trop d'enthousiasme pour être plus qu'une reconstitution fantasmée.

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commentaires
Kanjjo
27/11/2023 à 16:13

Hello,
Étant de la génération Zillion, Carré, Cherry Moon, Paladium... Je dois dire que ce film est comme une capsule temporelle. J'ai bien aimé voir l'envers du décor même si j'imagine que c'est un peu romancé.

Les acteurs ne sont pas mauvais du tout. La VF est pas mauvaise du tout (au moment où j'ai vu le film, la VF existait bien).

Une époque qui vieilli plutôt mal lorsque l'on voit les fameuses "Buffalo" noires qu'énormément de personnes portaient à l'époque (Mea Culpa, j'en faisais partie...)

La bande son est juste excellente reprenant quelques gros morceaux de l'époque (qui figurent sur les compilations des boîtes, je pense notamment à celle du "Carré" de Willebroek.

Xanax
22/06/2023 à 02:58

juste pour avoir citer le nom du cherry moon ,je sais que le redacteur de l'article connait son sujet.....sinon pour les chiffres du box office belge,c'est seulement la moitier du pays qui l'ont vu,en wallonie on a pas eu droit a une version française jusqu'a maintenant ;)

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