Kill Bok-soon : critique plus forte que John Wick sur Netflix

Axelle Vacher | 31 mars 2023 - MAJ : 31/03/2023 14:54
Axelle Vacher | 31 mars 2023 - MAJ : 31/03/2023 14:54

Depuis son implantation sur le territoire sud-coréen en 2016, Netflix a su se saisir du potentiel et proposer moult programmes locaux. Et puisqu'il n'est nullement question de s'arrêter en si bon chemin, la plateforme vient d'ajouter à son catalogue un nouveau thriller d'action porté par l'excellente Jeon Do-yeon (prix d'interprétation au Festival de Cannes 2007 pour Secret Sunshine). Sélectionné à Berlin dans la section Berlinale Special en 2023, Kill Bok-soon confirme-t-il la pertinence de la collaboration entre le N rouge et le cinéma coréen ?

 

Action woman

Affirmer que le carton inattendu du phénomène Squid Game a apporté une visibilité sans précédent aux productions sud-coréennes revient à enfoncer des portes ouvertes. Mais, puisque c'est relativement dans le thème, pourquoi s'en priver ? La célèbre plateforme, désormais avertie de ce nouveau potentiel mercantile, a décidé d'investir pas moins de 500 millions de dollars dans la production de contenu original en 2021, pour mieux s'engager à diffuser vingt-cinq créations locales l'année suivante.

Dans un premier temps, l'accent a principalement  été mis sur les séries pour mieux émuler le succès de celle créée par Hwang Dong-hyuk. Une poignée de longs-métrages issus du pays du matin calme ont néanmoins eu l'occasion d'investir le catalogue du N rouge tels que le détonnant Yaksha - Un démon en mission ou encore l'ultra-violent Carter. L'heure est donc au beau fixe pour le cinéma coréen, et ce n'est certainement pas le nouveau bébé de Byun Sung-hyun (Kingmaker, Sans Pitié) qui prouvera le contraire. 

 

Kill Bok-soon : Photo Lee Yeon, Jeon Do-yeonKiss Kiss Bang Bang

 

En apparence, la proposition de Kill Bok-soon n'est pas des plus alambiquées. Gil Boksoon, le personnage interprété par l'excellente Jeon Do-yeon, jongle plus ou moins habilement entre sa profession de tueuse à gages réputée et son rôle de mère célibataire. Est-ce que ça sent le réchauffé ? Oui. Est-ce que ça vaut le détour malgré tout ? Mille fois oui.

Immanquablement, les comparaisons avec l'autre célèbre faucheuse du moment, John Wick, sont à attendre, bien qu'elles n'aient pas nécessairement lieu d'être. Certes, les deux intrigues présentent une belle poignée de similitudes, et plus particulièrement avec le troisième opus de la franchise. L'existence d'agences régulant la profession, les rapports intersubjectifs rendus complexes par le milieu et la mécanique maintes fois éculée du chasseur devenu cible sont autant d'éléments communs aux deux films. Mais c'est à peu près tout. 

 

Kill Bok-soon : photoLa Grande Table. Littéralement

 

Et puisqu'évidemment, la franchise impulsée par Chad Stahelski n'a rien inventé, il est également possible de relier Kill Bok-soon a d'autres productions figurant une tueuse affublée d'un rejeton tel que Bloody Milkshake de Navot Papushado ou Au revoir à jamais de Renny Harlin. Mais là encore, il n'y a pas franchement matière à pousser l'homologie plus loin. Premièrement, parce que ce serait vraiment chercher midi à quatorze heures, et deuxièmement, parce que ce nouveau thriller d'action est un véritable vent de fraicheur pour le genre.

 

Kill Bok-soon : photoSe détendre après une longue journée de travail

 

Bang bang, you hit the ground

Le spectateur sera donc bien aise de balayer d'un revers de la main ces éventuels parallèles pour mieux apprécier le projet à sa juste valeur : celle d'un film redoutablement percutant. Outre l'ingéniosité de ses séquences d'action, Kill Bok-soon profite plus largement d'une esthétique visuelle qu'il serait difficile de négliger. Loin des titres boum-boum bruts de décoffrage dont l'unique ambition est de coller la migraine à son public, le film de Byun Sung-hyun profite d'une mise en scène soigneusement exécutée.

Visuellement, c'est du caviar. Le recours aux effets numériques se mêle aux prises de vues réelles avec une harmonie qui manque cruellement à bon nombre de productions actuelles (allez, au hasard, n'importe quel média estampillé Marvel depuis plusieurs années déjà) et rehausse ostensiblement chacune des ambitions graphiques du film. Le dispositif cinématographique du réalisateur épouse chacun des mouvements de ses différents personnages avec souplesse, et la fluidité du montage rend l'ensemble si limpide qu'il devient difficile au spectateur de ne pas se laisser emmener.

 

Kill Bok-soon : photoZa vashé zdorovie

 

Somme toute, Kill Bok-soon aurait amplement eu l'occasion de se reposer sur ses arguments plastiques et son action décomplexée. Mais plutôt que de céder à l'épure narrative trop souvent attachée au genre, le film est sous-tendu par un scénario richement construit (peut-être même un peu trop), prompt à un sens de l'humour équilibré et même quelques revirements de situation qui assurent l'engagement d'un bout à l'autre du film. Les 2h17du récit passent ainsi à la vitesse de l'éclair, et ce malgré quelques inévitables moments creux. 

L'un des rares défauts du film repose justement dans cette richesse flirtant allègrement avec la boulimie. À trop vouloir couvrir d'arcs divers, l'encombrement narratif revêt des allures de fatalité. Qu'importe, peut-être qu'un excédent de récit est préférable à son absence totale. D'autant plus que ces multiples trames sont largement supportées par tout un parterre de personnages à la caractérisation pour le moins substantielle.

 

Kill Bok-soon : Photo Sul Kyung-gu, EsomOn ne dit pas de mal d'un film figurant Esom

 

Bang bang, my baby shot me down

Le constat est sans appel : Kill Bok-soon est un film d'action aussi accompli qu'épatant. Mais là où celui-ci surprend davantage, c'est qu'il ne s'agit nullement là de son unique mérite. Dans l'ombre des séquences d'exécution plus ou moins sordides se déploie une trame de fond étonnamment émouvante. Puisque Byun Sung-hyun s'est appliqué à étoffer chacun de ses personnages avec diligence, les relations que les uns entretiennent avec les autres se répondent d'une complexité au potentiel dramatique bienvenu. 

D'un côté, il y a donc les relations amicales que Bok-soon entretient avec ses confrères tueurs à gages, et dont la sincérité s'évanouit à la seconde même où la tête du personnage est mise à prix – ce qui donne par ailleurs lieu à l'une des séquences les plus emblématiques du film. Dans ce département, on retrouve également les rapports ambigus que Bok-soon partage avec son patron et directeur de la prestigieuse agence MK (Sol Kyung-gu, tout simplement excellent dans le rôle). 

 

Kill Bok-soon : Photo Sul Kyung-gu, Jeon Do-yeonPlus ambigu, tu meurs

 

De l'autre, et c'est sans doute l'un des éléments les plus évidents du récit, le personnage de Jeon Do-yeon éprouve quelques difficultés à assurer pleinement son rôle de mère. Certes, la thématique de l'adolescente difficile a été rebattue à de maintes reprises au cinéma. Néanmoins, Kill Bok-soon se joue intelligemment de cette mécanique pour mieux sous-tendre plusieurs sujets et enjeux pertinents, et ne tombe que rarement dans le cliché éhonté.

L'un des segments les plus touchants est ainsi relatif à la façon dont Bok-soon accuse le coming-out de sa fille ; un traitement d'autant plus éloquent que les droits des personnes LGBTQ+ ne sont pas officiellement reconnus sur le territoire coréen. La maternité et les nombreux dilemmes qui en découlent sont ainsi proprement adressés par le scénario, plutôt que d'être relégués au douzième plan. 

 

Kill Bok-soon : phot, Kim Si-aNetflix and kill

 

Autant de qualités qui atteignent leur paroxysme à l'occasion du grand final. S'il n'est nullement question d'en dévoiler tenants et aboutissants entre ces lignes, il s'agira malgré tout d'en souligner la virtuosité, ainsi que l'ampleur de son impact affectif – aussi bien sur les personnages que le spectateur. Le léger twist dérivant par ailleurs de cette séquence, aussi jouissive que tragique, achève d'apporter de l'épaisseur aux différents personnages, et semble même laisser entendre qu'une suite soit possible. 

Ainsi donc, Kill Bok-soon propose au spectateur une belle leçon d'équilibre entre moult registres, sans jamais négliger son ambition première : celle d'aboutir à un titre impétueux jouant allègrement les dealers d'adrénaline. Sa prétention artistique n'a d'égal que son respect du genre, et il ne reste désormais plus qu'à espérer que Netflix poursuive dans cette voie-ci. Au demeurant, il est bien regrettable que le film soit réduit à une sortie sur une plateforme, le projet se prêtant pourtant largement au grand écran. Mais ainsi va la vie.

Kill Bok-soon est disponible sur Netflix depuis le 31 mars 2023

 

Kill Bok-soon : affiche (2)

Résumé

Malgré un concept à priori banal, Kill Bok-soon est en réalité un dealer d’adrénaline admirablement chorégraphié, bénéficiant de surcroit des excellentes performances de son casting. À n'en pas douter, l'un des titres d'action les plus ambitieux (et réussis) de l'année.

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commentaires
SuperCalendar.net
03/04/2023 à 10:10

Un peu longuet dans le sens où il n'y a pas assez d'actions et des temps morts un peu trop étirés.
J'aime les films qui durent 2h20, mais là, je suis resté un peu sur ma faim.
Le problème vient sans doute de moi, je m'attendais à un film cadencé à la John Keanu Wick (là du coup je trouve un chouiat trop bourrin)

Altaïr Demantia
02/04/2023 à 01:32

La comparaison avec Jonh Wick n'est pas pertinente. Pour deux raisons, premièrement ce n'est pas une baston sans fin, bourrine et sans queue ni tête. Il y a assez peu de scènes de combats sur la longueur du film, finalement. Mais, elles sont intenses, bien chorégraphiées et filmées/montées. Il y a même un plan emprunté à Bad boys 2 de M.B. Et chose intéressante, le dénouement joue l'antispectacuaire là où un film américain nous auraient joué, sans surprise, la surenchère sans intérêt. Deuxièmement, il y a une histoire, des enjeux, les personnages ont un background et pas juste un ensemble de prétextes bidons justifiant ultra-violence et cruauté gratuite.
Le casting principal est très bon. Les secondaires patibulaires vilains garçons sont moins bien réussis.
En fait, dans le genre, c'est bien meilleur de John Wick qui n'est au final qu'un alignement de morts toujours plus irréalistes, plus cruelles, plus voyeuristes et qui n'a rien d'autre à proposer.

Une bonne surprise.

THX1138
31/03/2023 à 23:48

Les quatre étoiles sont amplement méritées. Ce film, comme sa tueuse en titre, boxe dans la catégorie supérieure. Des décors utilisés au mieux, de l'action (parfois sanglante) remarquablement chorégraphiée, une actrice exceptionnelle (mais elle n'est pas toute seule, loin s'en faut), un metteur en scène imaginatif et inspiré, et un scénario qui en a toujours sous la semelle. Sa diffusion sur Netflix le classe, à tort, en série B. Il y a peu de séries A (et encore moins de véritables séries B), en ces jours endeuillés par Marvel ou Disney, qui lui arrivent à la cheville. La critique est certes élogieuse... Mais pas encore assez à mon goût ! Alors je me permets d'insister : ce film en vaut vraiment la chandelle.

XG58
31/03/2023 à 21:24

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