La Romancière, le film et le heureux hasard : critique qui vous enivre

François Verstraete | 13 février 2023
François Verstraete | 13 février 2023

Depuis plus de 25 ans, Hong Sang-soo dresse les contours d’une formidable Comédie humaine, rythmée par les repas, pauses cigarette, beuveries et surtout les répliques tantôt piquantes, tantôt touchantes de ses personnages. Metteur en scène du dialogue, cet admirateur de Yasujirô Ozu, Robert Bresson et d’Eric Rohmer, parvient toujours à renouveler son approche formelle pour parler d’amour, d’amitié et bien sûr de cinéma. Et, celui qui s’est imposé comme l’un des réalisateurs sud-coréens les plus importants de ces dernières années, aux côtés de Bong Joon-ho et de Park Chan-wook, revient aujourd’hui avec une fable atypique dont il a le secret, La Romancière, le film et le heureux hasard

un homme de paroles

Depuis son sommet Seule sur la plage la nuit, on décelait une pointe d’amertume, voire une volonté de tout recommencer dans les films du cinéaste. Les conclusions déchirantes d’Hotel by the River et de Juste sous vos yeux ou celles plus mélancoliques de Grass ou d’Introduction en attestent. Bien entendu, on retrouvait tout de même, à chacune de ces occasions, le style volubile et innocent qui définit si bien sa mise en scène. Car, oui, l’art d’Hong Sang-soo repose sur la parole et puise directement dans celui d’Eric Rohmer pour le pire... ou surtout pour le meilleur !

Et La Romancière, le film et le heureux hasard valorise merveilleusement bien cette caractéristique quitte à diviser. Chez Hong Sang-soo, l’action passe par de longs dialogues, tournés généralement en plan-séquence. Et pour insuffler un minimum d’authenticité durant ces moments, le Sud-Coréen joue sur le quotidien, les omissions et l’insignifiant qui nous rend terriblement vivants.

 

La Romancière, le film et le heureux hasard : photo, Lee Hye-Young, Seo Young-Hwa, Park Mi-so"Alors ces retrouvailles ?"

 

Le procédé pourrait devenir pénible à la longue, mais il participe au contraire à la précieuse recherche de crédibilité chère à l’auteur. Hong Sang-Soo ne convie pas uniquement ses personnages à échanger pour mieux se (et les) connaître, il invite par ce biais le spectateur à entrer dans son cinéma par ces hasards qui bouleversent à jamais l’existence. Les retrouvailles entre Jun-hee et Se-won au début du film symbolisent parfaitement cette facette de l’art du réalisateur.

Les non-dits, les remarques acerbes de Jun-hee et les mensonges évidents se diluent dans le discours policé des deux amies. Comme pour tout à chacun, leur conversation se base en partie sur du vent puisqu’elles ont à la fois tout et rien à se raconter. Tout l’inverse d’Hong Sang-soo, car il injecte au passage ses propres regrets et ses incertitudes tandis qu'une certaine rancœur transpire dans chaque scène du long-métrage, même les plus festives.

 

La Romancière, le film et le heureux hasard : photo, Kim Min-Hee, Kwon Hae-Hyo, Lee Hye-Young"Y a pas à dire, la photo est classe"

 

Bacchanales tristes

À l’image de Jun-hee, Hong Sang-soo aimerait en finir avec un passé récent qui ne cesse de le hanter. Il faut savoir que sa relation adultérine avec Kim Min-Hee a fait scandale au Pays du Matin calme et lui a fermé par conséquent plusieurs portes ainsi qu’à sa compagne. Et s’il n’a pas perdu son inspiration contrairement à son héroïne, il nourrit depuis ces événements, une certaine rancune envers ceux qui l’ont abandonné et souhaiterait sans doute repartir de zéro pour mieux renaitre de ses cendres.

En attendant, il ne veut plus prendre part aux festivités. Les repas, nuits d’ivresse ou pauses cigarette doivent désormais servir à pardonner... ou à se pardonner. Ces instants prépondérants aussi bien sur le fond que sur la forme, lèvent les inhibitions et exhibent les désirs. Structurant habilement le récit, ils referment les pages des rencontres en permettant au réalisateur d’appliquer la leçon enseignée par Yasujirô Ozu.

 

La Romancière, le film et le heureux hasard : photo, Kim Min-Hee, Lee Hye-Yeong"On va le faire ce chef-d'œuvre"

 

À l’instar du maître nippon, Hong Sang-soo plie le temps à sa volonté, l’étire à son gré, suspendant son vol pour intensifier le regard porté sur son microcosme. Il noie alors ses doutes dans les brumes de l’alcool pour mieux embrasser le cinéma, avec une soif d’apprendre toujours intacte, retranscrite à l’écran par Jun-hee.

Tout comme sa protagoniste, il est fasciné par le monde qui l’entoure. Lui ne rêve pas de passer derrière la caméra, de connaître la langue des signes ou d’écrire de nouveaux poèmes. Il lui importe uniquement d’expérimenter et de traverser la barrière ténue qui sépare le réel de l’imaginaire, la morosité du présent à la candeur du septième art.

 

La Romancière, le film et le heureux hasard : photo, Lee Hye-YeongGrande fenêtre sur cour

 

Au-delà du réel

Ainsi, dans toute sa filmographie récente, un voile onirique, presque fantastique finit par recouvrir la narration. Et il s’intègre toujours délicatement, sans faire de vagues, presque naturellement. Un jour avec, un jour sans manifestait cette facilité à jongler subtilement avec la réalité, la déformant légèrement, par petits détails pour mieux la refaçonner ensuite. Seul le personnage principal avait véritablement conscience des faits puisqu’il partageait en partie l’omniscience de son créateur.

Voilà pourquoi les héros d’Hong Sang-soo sont généralement cinéastes ou écrivains. Et, dans La Romancière, le film et le heureux hasard, Yun-hee appartient aux deux mondes. Par son regard, le metteur en scène impacte le destin et le place sous les ordres de sa protagoniste. On commence alors à douter de ce fameux hasard évoqué dans le titre. Puis on comprend que tout est savamment orchestré et que le chaos insipide des mots avait pour unique but d’explorer d’une manière très singulière le lent processus de gestation d’une œuvre. 

 

La Romancière, le film et le heureux hasard : photo, Kim Min-Hee, Lee Hye-YoungLa rencontre pour le meilleur

 

Il faut savoir rassembler toutes les ressources nécessaires pour réussir et composer avec le présent ainsi qu'avec le monde qui nous entoure. Et quelque part, parfois pas plus loin que dans les travées d’un parc municipal, se dissimulent celles et ceux qui vous donneront la force d’avancer. Cependant, ne cherchez pas du côté du Mépris ou de La Nuit américaine dans cette entreprise de mise en abyme. Hong Sang-Soo préfère en effet ouvrir la porte qui donne accès à son intimité, refuse les artifices et aspire dès lors à cette résurrection tant espérée. Avec succès.

Bien que La Romancière, le film et le heureux hasard ne tutoie pas les cieux comme les deux chefs-d’œuvre du cinéaste, Seule sur la plage la nuit et Un jour avec, un jour sans, le film s'impose comme une superbe démonstration de son savoir-faire minimaliste et gracile. Avec cette fable d’une incroyable limpidité, le réalisateur parvient encore à nous surprendre et à s'affranchir de ses limites supposées. Et par le biais de son épilogue lumineux, il nous prouve que tout est possible. Il ne ressort pas grandi de cette expérience, il en devient transfiguré.

 

La Romancière, le film et le heureux hasard : Affiche officielle

Résumé

Plus qu’un exercice de style, le film s’inscrit dans un processus osé, déstabilisant, mais toujours passionnant... que n’aurait pas renié Eric Rohmer. Hong Sang-soo démontre surtout une fois de plus qu’il n’a pas, ou peu, d’équivalents.

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commentaires
Nemo
14/02/2023 à 13:53

Suis-je le seul à être gêné par la faute d’orthographe du titre français ? Ceci dit, elle est tellement énorme que personne ne la remarque.

Ano
14/02/2023 à 04:27

J’ai découvert le cinéma de Hong Sang Soo avec ce film, et si j’avais aimé certains passages savoureux et cette fin très belle, je n’avait pas totalement adhéré. Mais depuis j’ai creusé sa filmo , et je comprends mieux son univers. C’est un film à mettre en parallèle avec ses autres oeuvres récentes pour mieux le saisir, même si il se suffit à lui-même.

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