Unicorn Wars : critique Full Metal Bisounours Jacket

Perrine Quennesson | 26 décembre 2022
Perrine Quennesson | 26 décembre 2022

Couleurs chatoyantes et dessins enfantins, licornes magiques et oursons dans la forêt magique : avec Unicorn WarsAlberto Vázquez joue la parodie mignonne, en apparence seulement. Son but est plutôt de nous entraîner dans les méandres de noirceur de son esprit, atrabilaire certes, mais particulièrement perspicace. Politique et dévastateur.

DISNEY DE NOËL (ou presque)

Ils ne manquent pas d’humour les distributeurs d’Unicorn Wars. Sortir le film un 28 décembre, en pleine vacances scolaires, c’est un coup à revivre les cris d’orfraie de certains spectateurs inattentifs à la sortie de Sausage Party. Il faut dire que l’enrobage est trompeur. Avec du rose, du vert, du bleu, du mauve, une forêt enchanteresse où de belles licornes, noires comme une nuit sans étoiles, s’ébrouent façon Bambi parmi les autres animaux des bois, il est facile d’imaginer le film d’Alberto Vazquez comme le nouveau Disney de Noël.

D’ailleurs, ne sont-ils pas adorables ces petits oursons qui jouent à la guerre dans leur camp d’entrainement à la devise rigolote « Honneur. Douleur. Câlin ». On se croirait en plein dans un épisode des Bisounours. Sauf que non.

 

Unicorn Wars : photoFaîtes la guerre avec amour

 

A titre de comparaison, la série des Happy Tree Friends (pour ceux qui s’en souviennent), c’est du Pixar à côté d'Unicorn Wars. Et les aficionados de l’univers d’Alberto Vazquez le savent bien : chez lui, le mignon est un leurre. Dans son travail de bédéiste autant que dans celui de cinéaste ou de dessinateur de presse, l’Ibère aime quand ça fait mal. Les traits a priori naïfs de ses dessins ne sont en réalité que le filtre trompeur de son pessimisme et de sa misanthropie.

Il suffit de voir Decorado (court-métrage génialement glauque présenté à la Quinzaine des Cinéastes en 2016) ou même son premier long-métrage Psiconautas, adapté de sa BD éponyme, pour comprendre le personnage. Pour lui, que le monde soit un théâtre ou une île, peu importe, le problème ce sont ceux qui l’habitent. Amateur de parodie légère ou de détournement gentillet, passez votre chemin : Alberto Vazquez n’est pas là pour brosser dans le sens du poil ou de la rigolade.

 

Unicorn Wars : photoSi Satan avait une licorne

 

band of brothers

Et Unicorn Wars ne fait pas exception. Tiré d’un de ses courts-métrages, Sangre de Unicornio, le film imagine un monde où les oursons mignons et les licornes se livrent une guerre ancestrale. Selon un texte sacré, ces dernières auraient même le pouvoir, pour celui qui boira leur sang, de le transformer en créature parfaite.

Au cœur de ce conflit s’en cache un autre : celui de deux frères, Célestin et Dodu. L’un est un compétiteur né, complexé, obsédé par le pouvoir et la domination, quand l’autre est bien plus doux, préférant aux fusils la douceur des myrtilles, et les câlins à la compétition. Les ingrédients sont là pour un spectacle digne d’un Full Metal Jacket qui aurait croisé le fer avec les frères Karamazov.

 

Unicorn Wars : photoLes raisons de la colère

 

Et Alberto Vazquez ne nous épargne rien. Violence, sang, torture, éviscération, humiliations aussi bien physiques que psychologiques... tout y passe. Unicorn Wars est un vrai long-métrage sur les ravages de la guerre mais aussi sur la naissance de la haine. En ramenant le conflit général à l’intime, au fraternel, le film questionne sans cesse la blessure originelle – si tant est qu’elle existe – à la racine du mal. Du mal que l’on peut faire à soi comme aux autres. Il ne justifie rien mais pointe du doigt les mécanismes, souvent égotiques, à l’œuvre dans la naissance du racisme et de la jalousie dévastatrice.

Cette réflexion sur l’opposition entre nature et culture se retrouvent même jusque dans le message écolo d’Unicorn Wars, où la mesquinerie de nos oursons anthropomorphiques n’a comme conséquence que la destruction du monde, de leur monde. Par son ampleur et son récit à tiroirs, le film déploie un arsenal politique chargé qu’il résume en un mythe intemporel et universaliste.

 

Unicorn Wars : photoVivement le merchandising

 

HAINEZ VOUS LES UNS LES AUTRES 

C’est d’ailleurs peut-être là que réside l’acte le plus punk - presque un oxymore - d’Alberto Vazquez : absolument anticlérical, Unicorn Wars est pourtant lui-même un récit fondateur. Le réalisateur ne fait pas mystère de ses références  : le film empreinte clairement à la Bible ou aux autres mythologies, notamment à travers son histoire de frères ennemis qui ne sont pas sans rappeler Abel et Caïn, ou Rémus et Romulus. L’idée d’une religion forte, dominante, aveuglante voire meurtrière, digne de l’Exode, se retrouve également dans ce film aux desseins anti-fondamentalistes affichées.

 

Unicorn Wars : photoLa religion n'est qu'amour

 

Et pourtant. En tendant en permanence vers cette œcuménicité du récit, en développant un univers à la fois référencé et impossible à identifier, Alberto Vazquez propose une genèse aussi cruelle qu’époustouflante qui explique – et excuse en partie – à l’espèce humaine sa naissance, coincée entre le sublime et le vil. Une façon de repenser les origines dans un jardin d’Eden fourvoyé et tâché du sang d’une innocence bafouée. Le cinéaste et bédéiste n’a rien perdu du pessimisme qui fait sa marque de fabrique, mais ne croit en aucun cas au simplisme. En réinventant notre complexité, et en la mettant à l’écran, il appelle notre raison à l’emporter sur nos pulsions dans l’optique d’une possible émancipation.  

Reste qu’Unicorn Wars, malgré son ambition politique et mythologique soutenue par un coup de crayon faussement candide, souffre d’un douloureux ventre mou qui vient enrayer la puissante machine narrative du film. Un passage à vide qui n’enlève cependant à l’enthousiasme de voir fable si originale, si entière arriver jusqu’à nos écrans géants. 

 

Unicorn Wars : Affiche française

Résumé

Malgré quelques maladresses narratives qui ajoutent quelques cahots au chaos, Unicorn Wars d’Alberto Vazquez s’impose comme un conte cruel brillant, aux ambitions assumées aussi bien politiques que mythologiques. La Bible et consorts n’ont qu’à bien se tenir, les Oursons débarquent et ils ne viennent pas pour la guimauve. 

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Lecteurs

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commentaires
Tiny ribz
28/02/2024 à 10:41

J'ai vu ce film hier soir et je dois dire que je n'étais pas préparé.
C'est complètement ignoble et extrêmement pessimiste, l'horreur absolue et ce décalage entre les images enfantines et les sujets traités est abyssal, ce qui donne au film un cachet très particulier..
A voir, mais soyez y préparer sinon vous y laisserez deux trois plumes.

Grey Gargoyle
01/10/2023 à 18:58

Hello,
j'aime beaucoup Unicorn Wars et j'adore Psiconautas.
Alberto Vázquez est un réalisateur et un illustrateur pour lequel j'ai une sincère admiration. De mon point de vue, c'est un très grand artiste.
Bien cordialement

Cidjay
29/12/2022 à 08:31

Ce film a l'air génial ! Enfin quelque chose qui me donne réellement daller en salle autrement que pour un blockbuster.

Rémi
26/12/2022 à 17:50

Complètement d'accord pour le ventre mou. C'est d'autant plus dommage que le concert et le début du film sont excellents. Mais cette faiblesse narrative ne doit pas dissuader le spectateur de tenir jusqu'à la fin du métrage qui acquiert subitement une puissance mythologique insoupçonnée !

Myst
26/12/2022 à 17:31

J'ai vu ce film au dernier festival d'Annecy et je l'ai trouvé passable. Tout est trop gratuit et dans l'extreme sans vraiment de raison ou de message.

Ankytos
26/12/2022 à 16:52

Content d'entendre parler de cet artiste que je ne connaissais pas et dont le travail me donne pas mal envie, en fait.

Geoffrey Crété - Rédaction
26/12/2022 à 13:21

@Stavos

Perrine revient faire un petit tour sur EL, et c'est plutôt naturel vu qu'elle a bossé sur EL au début !

Stavos
26/12/2022 à 13:06

Pardon si j'ai 10 wagons de retard, mais depuis quand Perrine Q est chez EL ? C'est trop cool !!

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