Pinocchio : critique qui touche du bois sur Netflix
Le grand gagnant de l’année 2022, c’est à n’en pas douter Guillermo del Toro. Après avoir magistralement ouvert le bal avec son film noir Nightmare Alley, le cinéaste mexicain clôture ces douze derniers mois avec une adaptation de Pinocchio en stop-motion (co-réalisé avec Mark Gustafson). Ce projet rêvé, qu’il a mis des années à pouvoir concrétiser, débarque enfin sur Netflix, pour un résultat des plus époustouflants.
In Guillermo we trust
Si on a appris à avoir une confiance aveugle en Guillermo del Toro, Pinocchio pouvait très légèrement inquiéter à cause de la “malédiction des contes de fées”. Derrière cette expression barbare se cachent ces nombreuses adaptations décevantes de récits intemporels qu’on doit pourtant à des auteurs confirmés.
À vrai dire, ces adaptations se sont révélées d’autant plus ratées qu’elles semblaient calibrées pour les cinéastes concernés, comme des sortes de concentrés de leurs obsessions, de Spielberg et l’enfance (Hook) à Tim Burton et ses univers fantastiques psychédéliques (Alice au pays des merveilles).
Voir ainsi Del Toro accaparer le conte de Carlo Collodi est une évidence, tant la nature monstrueuse de ce pantin vivant résume à la perfection l’attrait du réalisateur pour les freaks touchants. Mais cette évidence aurait pu une nouvelle fois donner lieu à une adaptation trop littérale, ou à une mauvaise émulsion du conte avec l’univers du cinéaste.
Hommes (ou vrais petits garçons) de peu de foi que nous étions, car passées ses premières minutes, Pinocchio confirme non seulement un parfait équilibre entre le respect de ses origines et la nouveauté, mais aussi qu’il pourrait bien être la meilleure adaptation au cinéma de l’œuvre de Collodi. En réalité, del Toro nous avait déjà donné toutes les clés en main pour appréhender le projet depuis Le Labyrinthe de Pan. Le conte de fées y prenait une forme ambigüe, plongée dans les rouages du franquisme comme barrière face à l’horreur du réel, et comme parcours initiatique opposant loi et morale.
Là où le conte de fées a souvent servi à effrayer les enfants, et à leur inculquer des règles a priori immuables, Del Toro en a détourné la dimension paternaliste pour faire de son film une ode à la désobéissance. L’héroïne devait apprendre à dire non, même à la figure merveilleuse censée l'épauler (le faune). La turbulente marionnette en est finalement l'héritier logique, un doux rêveur qui refuse de voir dans son histoire une mise en garde.
"It's over Pinocchio, I have the high ground"
Stop-(e)motion
Pas étonnant d’ailleurs que Del Toro s’identifie autant à ce personnage, et prolonge cette métaphore filée par la forme de son long-métrage. Alors que l’animation est encore régulièrement méprisée, et que la stop-motion est encore moins considérée (notamment à cause de sa complexité et de son aspect chronophage), l’artiste lui rend ses lettres de noblesse. On pourrait même y voir une sorte de doigt d’honneur de sale gosse par rapport à la stratégie globale d’une industrie qui pousserait à se reposer sur ses lauriers.
Le cinéaste fait de son long-métrage une anomalie, un monstre technique sublimé par ses designs évocateurs (sa fée bleue, son Sebastian J. Cricket) et des plans dont la complexité impressionne régulièrement. Sa stop-motion n'en est que plus imperceptible, tout en demandant, paradoxalement, à être vue. Après tout, Del Toro sculpte le mouvement, anime l’inanimé comme Gepetto, dont il souligne le talent d’artisan dans un prologue aussi surprenant que déchirant.
La naissance de cet être magique est ainsi à des années-lumière des précédentes versions, puisque le cinéaste réveille l’héritage d’un docteur Frankenstein effrayant dans les yeux de ce Pygmalion endeuillé. Pinocchio devient un proxy, l’évitement d’une douleur qui ne demande pourtant qu’à combler le vide dans le cœur des autres (idée fantastique que Del Toro traite de façon littérale).
Le conte trouve dès lors une relecture plus psychanalytique, sans pour autant que l’auteur ne perde le rythme de son récit. Là encore, le Mexicain surprend malgré l'évidence de son traitement, alors qu’il propulse son adaptation dans l’Italie fasciste des années 30. La dureté du passé se confronte de plein fouet à l’innocence de son protagoniste, au point d’engendrer de franches ruptures de ton sur le plan narratif et stylistique.
Mais la mayonnaise prend, tout simplement parce que le réalisateur y exploite au maximum la substantifique moelle de son cinéma : l’amour d’une culture pop et d’une intertextualité riche, sans aucune hiérarchisation des références et des arts.
Si tu signes ici, il y aura un Hellboy 3 et un (vrai) Pacific Rim 2
C’est peut-être, finalement, ce qui fait de Pinocchio (le film comme le personnage) le nouvel épicentre magistral dans la filmographie de Guillermo del Toro. En cherchant à exploser les conventions et la logique oppressante d’une société trop rarement interrogée dans son bien-fondé, la marionnette et l’artiste se complètent, et reviennent à une humanité plus essentielle et universelle que jamais, où la mort et son appréhension s’imposent comme certaines de ses composantes majeures, qu’on ne peut esquiver.
À partir de là, Del Toro suit sa logique jusqu’au bout, et se réapproprie pleinement le récit de Pinocchio, ainsi que sa morale, pour un final dévastateur et doux-amer. Habité par son sujet, il donne vie comme personne à ce conte de fées, qu’il magnifie en permanence par son casting vocal incarné (Ewan McGregor, Cate Blanchett, Ron Perlman, David Bradley, entre autres). Del Toro en deviendrait presque lui-même un personnage de conte : un Gepetto qui a réussi à briser la malédiction.
Pinocchio est disponible sur Netflix depuis le 9 décembre 2022
Lecteurs
(3.9)26/12/2022 à 20:31
Je regrette de regarder ce film… surtout avec mon enfant de 9 ans…
Très sombre, noir, lourd, déprimant et très violent.
Je ne le conseille vraiment à personne, surtout aux enfants!
23/12/2022 à 10:54
Faut arrêter de croire que les contes pour enfants se limite à la vision qu'en a fait Disney.
A u départ les contes, c'est des récits fait pour faire peur les enfants, et les dissuader de faire des bêtises, hein. C'est bien plus dure et crue que les adaptations Disney.
Personellement, j'aurai voulu que aille plus loin dans sa vision de la mortalité et l'éternité. Pour moi dans l’ensemble ça manquait d’ampleur dramatique pour que je sois pleinement investi, mais pour un enfant il y a tout, l'horreur, et l'émerveillement.
23/12/2022 à 08:21
J'au vu ce film hier soir. Certes, rien à redire sur la technique, parfaite. Mais lire dans un commentaire que ce long métrage serait "le film parfait pour la sortie familiale"... Euh... Pardon, mais non. Ce film est une horreur viscérale, à ne surtout pas montrer à des enfants en dessous de dix ans, et encore. Les personnages sont physiquement flippants, Pinocchio fait peur, littéralement, Gepetto aussi, le marionnettiste est hideux, le singe est à mi-chemin entre un gremlin et une hyène, le curé est une caricature d'être humain, le chef fasciste n'en parlons même pas, La "fée bleue" est cauchemardesque comme son pendant du monde de la mort, qui dit être sa soeur (ce sont les personnages les plus intéressants et on aimerait en savoir plus sur elles, qui sont-elles, leur lien, leur antagonisme puisque la "mort" parle des lubies de sa soeur...) Et passons sur les chansons, complètement ratées, en tout cas en version française.
Pourtant j'aime les fils de Del Toro. Le Labyrinthe de Pan est une pure merveille de noirceur, et l'Orphelinat est riche en signification. Et je sais apprécier la noirceur au cinéma. Mais dans ces films, il y avait une lueur dans le noir, un "après" qui rend le présent acceptable, une quête dont le caractère improbable ou même impossible rendait néanmoins la vie "vivable". Il y avait un mince filet d'espoir qui coulait. Là, dans ce Pinocchio que je ne conseillerai à personne et surtout pas à des enfants, il n'y a rien d'autre que la finitude, la vieillesse, la maladie, la décrépitude et la mort, des réalités certes, qu'il faut affronter au quotidien, mais il n'y a rien pour les adoucir et les rendre supportables. Pas le moindre espoir. Juste la souffrance, la violence, la maltraitance, la mort, et le néant au bout de la route, y compris l'évocation de la mort de Pinocchio lui-même. C'est un film très, très violent pour des enfants. L'existence est suffisamment dure pour ne pas leur infliger un tel désespoir.
L'époque actuelle, instable, incertaine et très noire, où les totalitarismes et les idéologies radicales politiques et morales sont à l'oeuvre partout, à droite comme à gauche, et rongent nos sociétés déboussolées et déracinées, est déjà suffisamment déprimante pour ne pas nous infliger nous-même le masochisme de regarder un film aussi désespérant. Sommes-nous, dans nos pays occidentaux, devenus aussi cyniques et sans vision d'avenir ? Ne savons-nous plus rêver ? Nous détestons-nous à ce point que nous n'avons plus d'espoir ?
La seule scène qui m'a fait éclater de rire ? Lorsqu'une mouette se pose sur la bombe flottante...
22/12/2022 à 19:02
Un dessin animé assez sombre et pas approprié pour des enfants en dessous de 10 ans. Il n'y a pas de scène gaie avant les retrouvailles et était il besoin de faire mourir gepetto et ses amis a la fin ? sombre de bout en bout.
13/12/2022 à 11:42
J'ai beaucoup aimé, le seul regret est de ne pas avoir pu découvrir le film sur grand écran
13/12/2022 à 01:25
@Lordjr
je viens de terminer Pinocchio il n'y a aucune scnène violante c'est pour tout public, il a également le making off avec toute l'équipe de création .
12/12/2022 à 21:01
@Lordjr
Je suis pas du tout expert, mais je dirais que oui, j'imagine que quelques images peuvent effrayer un tout petit quand même
12/12/2022 à 10:21
Un très beau film, à voir au moins une fois.
11/12/2022 à 22:51
Quelle merveille ! Je n'ai pas su retenir les larmes à la fin...
Et la relecture marche tellement bien dans le contexte fasciste, qu'elle bonne idée !
11/12/2022 à 20:52
Hello la rédaction, c'est déconseillé pour des jeunes enfants (5 ans) ?