Ponniyin Selvan : critique de l'anti-RRR

Clément Costa | 3 octobre 2022 - MAJ : 03/10/2022 10:57
Clément Costa | 3 octobre 2022 - MAJ : 03/10/2022 10:57

Adapter en deux films le plus grand classique de la littérature tamoule, voilà le défi fou que s’est lancé l’immense cinéaste Mani Ratnam. Et pour son Ponniyin Selvan : Part 1, il peut compter sur un casting démentiel composé notamment de Vikram et Aishwarya Rai. Le résultat est-il aussi grandiose qu'espéré ?

Déchaîne les enfers

La première fois que Mani Ratnam évoquait son rêve d’adapter Ponniyin Selvan à l’écran, c’était en 1994. Vingt-huit ans plus tard, le cinéaste touche enfin au but. Fort d’une réputation inégalable, ce maître du cinéma tamoul s’est vu confier près de 60 millions de dollars pour condenser en deux films un récit littéraire culte qui s’étale sur cinq tomes. Un chantier dantesque aux risques démesurés.

D’autant que l’œuvre originale de Kalki Krishnamurthy est généralement considérée comme le plus grand chef-d’œuvre de la littérature tamoule, excusez du peu. Et histoire de mettre un peu plus de pression sur les épaules de Ratnam, Ponniyin Selvan bénéficie également d’un immense amour populaire, au-delà des élites intellectuelles.

 

Ponniyin Selvan: Part 1 : photoLa conquête d'un rêve impossible

 

Dès les premières images, un constat s’impose : Mani Ratnam n’a pas volé sa réputation de génie du 7e art. Connu pour ses esthétiques méticuleusement éblouissantes, le cinéaste livre une fois de plus une œuvre visuellement splendide. Le travail sur l’éclairage est passionnant, alternant entre visions fantasques dignes de tableaux de maîtres et plans épurés, subtilement traversés par une lumière naturelle.

Également célèbre pour ses dialogues littéraires et poétiques, Mani Ratnam s’en donne ici à cœur joie et profite pleinement de la dimension tragique et grandiose des écrits de Kalki. Notons que le long-métrage marque les retrouvailles entre le cinéaste et le romancier et dialoguiste Jeyamohan avec qui il avait déjà travaillé sur Kadal en 2013. L’alchimie prend à merveille.

 

பொன்னியின் செல்வன் : photoKali Ma Shakti De !

 

Qui dit cinéma de Mani Ratnam dit cinéma musical. Il retrouve ici le maestro A. R. Rahman, compositeur virtuose qui lui a offert les sublimes bandes-originales de Dil Se, Raavanan ou encore O Kadhal Kanmani. En résulte un album sensationnel, qui mêle grande musique traditionnelle, morceaux épiques galvanisants et titres contemplatifs. On retiendra particulièrement les séquences mystiques autour du culte de la déesse Kali, dignes des plus grandes envolées visuelles de Raavanan.

Pour venir compléter cette démonstration insolente de talents, on a droit à un véritable défilé de superstars à l’écran. Ce casting colossal est totalement dominé par la performance puissante de la grande Aishwarya Rai Bachchan, légende du cinéma indien qui a fait ses débuts chez Mani Ratnam avec Iruvar. Notons d’ailleurs que les différents rôles féminins sont particulièrement bien écrits et incarnés, un fait extrêmement rare dans les récits épiques ou historiques en Inde.

 

Ponniyin Selvan: Part 1 : photoDes femmes d'influence

 

Les révoltés de l'an 1000

Un public ne connaissant rien aux écrits de Kalki Krishnamurthy pouvait aisément s’attendre à un grand spectacle épique dans la lignée du cinéma de S. S. Rajamouli (RRR, La Légende de Baahubali). C’est d’ailleurs ce que semblaient nous promettre les bandes-annonces et teasers dévoilés ces dernières semaines. C’est pourtant loin d’être le cas. Mani Ratnam semble totalement désintéressé par les quelques séquences d’action qui ponctuent le récit.

Les batailles sont souvent abrégées, voire ignorées, par la magie d’une ellipse temporelle. Ces séquences montées avec peu de soin sont même partiellement gâchées par des effets numériques assez laids qui contrastent brutalement avec l’exigence esthétique du cinéaste.

 

Ponniyin Selvan: Part 1 : photoCombat fini, retour aux choses sérieuses !

 

Mani Ratnam fait également le choix catégorique de ne pas se placer en héritier du cinéma de Sanjay Leela Bhansali. Il n’est jamais question avec Ponniyin Selvan de créer une ère fantasmée de gloire et de beauté. Le cinéaste cherche un style visuel plus âpre, charnel, moins clinquant. Il a avoué en interview avoir cherché les imperfections techniques pour nous rendre l’immersion plus réaliste. Et c’est une réussite évidente.

Ça n’est pas un hasard si le réalisateur se place volontairement en opposition aux styles de Rajamouli et Bhansali, qui dominent totalement l’imaginaire du film costumé à l’indienne ces dernières années. Sa vision plus authentique, refusant le spectacle gratuit, peut plutôt évoquer celle d’un Ashutosh Gowariker de la grande époque Lagaan et Jodhaa Akbar.

 

Ponniyin Selvan: Part 1 : photoJodhaa sans Akbar

 

House of the Chola

Si Mani Ratnam sacrifie le grand spectacle, c’est avant tout parce que le cœur de sa fresque historique se trouve du côté des intrigues politiques, des conspirations et des jeux de pouvoir. À l’image d’une grande tragédie shakespearienne, Ponniyin Selvan met en scène des clans qui se déchirent, des royaumes au bord de la chute. Les personnages ne sont que des pions qui ont la folie de penser pouvoir modeler la grande Histoire à leur guise.

Mais cette écriture brillante trouve tout de même ses limites. La principale étant inhérente à la nature du projet. Il semblait impossible de condenser cinq tomes en à peine deux longs-métrages. Et même si Mani Ratnam s’en sort très bien du côté du rythme et de la caractérisation des personnages, l’exercice n’est pas imparfait.

 

Ponniyin Selvan: Part 1 : photoUn Karikalan paie toujours ses dettes

 

Ceux qui n’ont pas lu les romans risquent ainsi de se perdre au milieu d’un flot de noms, de tribus, d’informations historiques. La complexité est telle que le cinéaste est parfois forcé d’utiliser des artifices de narration comme la voix-off explicative afin de nous prendre par la main. Ce premier volet de Ponniyin Selvan veut absolument poser tous les enjeux, mais se condamne à sacrifier des séquences grisantes qui nous impliqueraient plus émotionnellement.

Les bases posées pour le second volet sont tout de même très solides. Il ne reste plus qu’à espérer que le triomphe technique se conjugue à une réussite dramatique et scénaristique complète pour le prochain volet prévu pour l’année prochaine.

 

Ponniyin Selvan: Part 1 : photo

Résumé

Véritable enchantement technique de chaque instant, Ponniyin Selvan : Part 1 nous rappelle toute la puissance du cinéma de Mani Ratnam. Et même si le pari impossible n’est pas irréprochable, le cinéaste nous offre un film brillant qui pose les bases pour une suite potentiellement encore meilleure.

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commentaires
PonniyanSelvan
05/11/2022 à 19:44

Pour info, le film dispo sur Amazon mais uniquement avec sous titre anglais

Serievore
09/10/2022 à 14:58

Je connaissais les films de boule, mais je decouvre les films Tamoule.

J en deduis qu il s agit de la versions feminines des films pornos, c est bien ca?

Et si oui, tamoule, tamoule, ok, mais a qui appartient elle donc?

Ringo
03/10/2022 à 20:24

Ouah, m'a l'air sacrément impressionnant ! Voilà ce que j'aurais envie de voir sur grand écran, je ne me déplace plus pour une Marvellerie ou un film franchouillard.

PonniyanSelvan
03/10/2022 à 20:10

J'ai trouve que les sous titres français ne rendaient pas honneur aux dialogues .
Le rythme lent, la profusion des personnages et les scènes d'action "classique" desservent le film
Pour le reste c'est du Mani Ratnam : scenario, dialogue, costume , photographie et direction d'acteurs de haute volée.
Et content que ce soit les filles qui volent la vedette aux hommes ==> 3.5/5
Maintenant que tous les persos et l'enjeu ont été posés, on espère une 2eme partie plus homériques : hâte de voir la seconde partie !

Clément Costa - Rédaction
03/10/2022 à 15:51

Effectivement c'est avant tout une question d'habitude, particulièrement pour Article 15 qui joue énormément sur des codes culturels très ancrés et assez peu expliqués pour un public novice. Peut-être qu'il vaut mieux commencer avec des longs-métrages plus "abordables" comme Kahaani par exemple, à la fois typiquement indien dans son identité artistique et culturelle mais très accessible pour un spectateur occidental ;)

Pour Ponniyin Selvan, on peut penser aux difficultés que certains rencontraient sur les premiers épisodes de Game of Thrones : il faut faire l'effort de retenir les nombreux noms et royaumes pour réussir à apprécier la finesse des enjeux politiques.

Skill-33
03/10/2022 à 13:26

@pseudo2

Mais cela s'apprend. J'ai ramé avec mes débuts avec ce cinéma, il y a quelques années maintenant, mais aujourd'hui, cela fait partie d'un de ceux ou je m'éclate le plus.

Faut juste persévèrer un peu

pseudo2
03/10/2022 à 11:18

Zut, votre critique soulève LE point qui m'a fait abandonner "article 15" qui est sûrement loin d'être aussi complexe : trop de noms à retenir, trop de codes culturels et géographiques à connaître pour simplement suivre l'intrigue et comprendre les enjeux. C'est rarement la faute du film en lui-même, mais d'un manque de culture. C'est un sacré mur à franchir pour apprécier ces films.

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