Flee : critique qui doit vivre avec

Mathieu Victor-Pujebet | 31 août 2022
Mathieu Victor-Pujebet | 31 août 2022

Après une triple nomination aux Oscars 2022, l'attribution du label Cannes 2020 et son récent sacre aux festivals de Sundance et d'Annecy, le très acclamé Flee débarque enfin en France. Premier long-métrage de cinéma réalisé par Jonas Poher Rasmussen à sortir dans nos salles hexagonales, Flee est un documentaire animé centré sur Amin, un réfugié afghan de 36 ans qui raconte au réalisateur sa fuite de Kaboul durant sa jeunesse et son périple jusqu'au Danemark.

Conversations secrètes

Alors qu'il est encore tout jeune, Amin doit fuir Kaboul avec sa famille. Il a vécu un moment à Moscou, a tenté de rejoindre l'Europe en passant par l'Estonie, mais est finalement passé par la Turquie pour arriver à Copenhague. Si l'ampleur démesurée du voyage d'Amin a de quoi inspirer une dense fiction, Flee est pourtant un véritable documentaire qui repose sur les entretiens entre le principal intéressé et le réalisateur du film, Jonas Poher Rasmussen, un de ses proches amis.

Le scénario de Flee a été architecturé autour de ces témoignages, Amin allant jusqu'à prêter sa voix à son alter ego cinématographique. La fidélité du long-métrage à ces confessions est donc totale, leur donnant immédiatement un poids et une puissance assez folle. De la même façon, des images d'archives viennent régulièrement traverser le film et apporter un ancrage d'autant plus palpable et concret au réel.

 

PhotoLa Vie des autres

 

Un ancrage pertinent puisque Flee n'est pas un documentaire en prises de vues réelles, c'est un long-métrage d'animation. En effet, l'authentique témoignage d'Amin est illustré par des projections animées plus ou moins proches du réel. Ce passionnant dispositif permet à Flee de ne pas visuellement exposer son protagoniste – dont le nom Amin est d'ailleurs un pseudonyme – qui était initialement retissant à l'idée de se confier dans un documentaire.

Le vernis de l'animation permet alors de le protéger avec une jolie pudeur qui transparaît également dans la voix tremblante du bonhomme qui le rend immédiatement attachant. La forme même du film se range avec tendresse de son côté. En témoignent ses passages plus stylisés et évocateurs permis par l'animation, comme ceux où les souvenirs les plus confus et douloureux d'Amin sont retranscrits par des dessins en noir et blanc, plus bruts et métaphoriques que le reste du métrage.

Grâce à l'animation, Flee évite la lourdeur d'une forme trop didactique et s'essaie à un ton plus poétique pour narrer avec d'autant plus d'impact le voyage de son protagoniste. Par ailleurs, ce niveau de stylisation permet d'avoir une approche beaucoup plus sensible du récit et d'épouser de façon plus immersive le point de vue d'Amin.

 

PhotoPortrait intime et animé

 

Il était une fois... amin

Le principe de Flee devient alors de raconter la grande Histoire à travers la petite. La haine du communisme par l'Afghanistan est rattachée à l'enlèvement du père d'Amin par l'état, la guerre civile du pays est évoquée lorsque son frère fuit l'engagement dans l'armée afghane et la prise de Kaboul par les talibans est associée à la fuite de sa famille.

Flee étant véritablement centré sur le témoignage d'Amin, les évènements politiques et historiques de son récit sont donc constamment raccrochés au ressenti du bonhomme et à l'intimité de ses proches. Toute la charge émotionnelle du long-métrage réside alors en la capacité d'écoute de Jonas Poher Rasmussen, qui ne se contente pas de relater avec une vague distance l'histoire de son ami, mais bien d'épouser avec sensibilité son intériorité.

 

PhotoDéchirure d'un pays, déchirure intime

 

En témoigne le traitement de la sexualité d'Amin. En effet, alors que la forte répression de l'homosexualité dans la société traditionaliste afghane poussait les individus à la dissimulation, Flee n'évoque celle d'Amin qu'en arrière-plan du récit durant toute une partie du film. Seuls quelques vagues indices et mentions sont offerts aux spectateurs, au détour d'un fantasme sur un acteur par exemple.

Ce n'est qu'à son arrivée au Danemark qu'Amin peut vivre pleinement sa vie sentimentale et sexuelle et que le film fait de cette découverte du désir un enjeu principal. Cette façon de prioriser certaines thématiques à un instant T du récit témoigne de la grande sincérité du dispositif de Jonas Poher Rasmussen et de sa tendresse pour son ami. C'est bel et bien Amin qui est au coeur du film, soit une façon de se recentrer sur l'intime pour toucher à l'universel.

 

Flee : photoEn-frère et contre tous

 

La danse de la vie

Une universalité qui amène irrémédiablement Flee à explorer les aspects les plus lumineux du parcours d'Amin, qui malgré ses sombres mésaventures était tout de même un enfant, puis un adolescent, lors de son voyage jusqu'au Danemark. Quelques musiques pop des années 80/90 accompagnent alors l'itinéraire de notre protagoniste, entre Take on Me d'a-ha et Wheel of Fortune d'Ace of Base. Ces choix musicaux traversent le film en quelques ruptures de ton étonnamment solaires pour un métrage aux problématiques si graves.

C'est que le cinéaste et son ami n'oublient jamais d'insister dans leur récit sur la grande humanité qu'a aussi croisé Amin dans son périple, aux interstices de la monstruosité humaine. Que ce soit à travers la dévotion du grand frère pour sa famille, la chaleur de ce jeune homme croisé sur la route du Danemark ou bien encore la tendresse du réalisateur retranscrite jusque dans le film même, le parcours d'Amin a, aussi, été traversé de rencontres magnifiques.

 

Flee : photoDécouverte d'un monde

 

Des rencontres dont toute la pureté a été retranscrite dans Flee à travers quelques séquences bouleversantes comme celle, rythmée par le Veridis Quo des Daft Punk, de la boîte de nuit avec l'oncle du protagoniste. Si Flee n'édulcore pas les horreurs qu'a vécues Amin durant toute sa vie, c'est aussi dans sa grande humanité que le long-métrage bouleverse.

Une humanité qu'Amin doit se battre pour conserver puisque le traumatisme de son passé et les secrets qu'il a dû conserver pour sa survie l'ont isolé du monde et empêché de véritablement créer un lien avec autrui. Tout l'enjeu de Flee devient alors pour lui de se libérer de ce poids et de sortir de ce passé anxiogène pour mieux pouvoir vivre et aimer librement.

Une problématique retranscrite visuellement à travers une belle et grande idée du film dans un épilogue où l'animation du sombre passé d'Amin laisse peu à peu place à des plans en prises de vues réelles. L'impalpable passe alors à l'organique, Amin peut enfin vivre avec son amant dans ce jardin certes paradisiaque, mais finalement bien réel. Un très beau dernier plan qui confirme que l'enjeu de Flee n'était peut-être pas tant l'histoire racontée que la nécessité d'un homme de se libérer de son passé par le récit, pour mieux appréhender le présent.

 

Affiche

Résumé

Malgré la violence du témoignage d'Amin et grâce à son dispositif cinématographique sensible, Flee ne succombe jamais à une forme de pathos et propose un voyage initiatique lumineux et passionnant. Jonas Poher Rasmussen livre un film précieux sur la nécessité de transmettre et de raconter son passé pour mieux se reconnecter au présent.

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