Cyrano : critique c’est pas la taille qui compte

Antoine Desrues | 31 mars 2022
Antoine Desrues | 31 mars 2022

Habitué aux adaptations de textes prestigieux (Orgueil et préjugés, Anna Karénine), Joe Wright est de retour en salles avec Cyrano, adaptation décalée de la pièce d’Edmond Rostand… ou du moins de la comédie musicale d’Erica Schmidt. Le célèbre poète n’est pas ici considéré disgracieux par son nez proéminent, mais par sa petite taille. Sans grande surprise, cette relecture audacieuse, portée par Peter Dinklage, a été accueillie aux États-Unis dans l’indifférence générale. Ne faisons pas la même erreur !

Joe is (W)right

Par la vision d’un théâtre de marionnettes qui rejoue la scène du balcon de Cyrano de Bergerac, Joe Wright marque, au-delà d’une mise en abyme évidente, une hyper-théâtralité, qui était déjà au cœur de sa vision d’Anna Karénine. Avec son style ampoulé, le réalisateur des Heures sombres a toujours appuyé la surréalité de ses mondes fictionnels, portés par une mise en scène exigeante et une photographie souvent évocatrice (y compris sur ses quelques ratés comme Pan ou La Femme à la fenêtre).

En fait, quoi qu’on pense des prouesses stylistiques du bonhomme (comme son fameux plan-séquence vertigineux dans Souviens-moi), Wright s’impose depuis ses débuts comme un fervent croyant dans la puissance iconographique du septième art. Sa sincérité fait même sa spécificité, au milieu des torrents de projets uniquement motivés par un rapport cynique ou ironique à leur univers.

 

Cyrano : photo, Peter DinklageDu kitsch et des lettres

 

Cyrano en est non seulement l’exemple le plus évident, mais aussi le plus jusqu’au-boutiste. Malgré la beauté du texte d’Edmond Rostand, pas sûr que tout le monde se retrouve encore dans l’histoire de cet amoureux transi, incapable de dévoiler ses sentiments à celle qu’il aime à cause de sa difformité.

La suite, on la connaît : Roxanne (excellente Haley Bennett) tombe amoureuse de Christian (Kelvin Harrison Jr.), mais celui-ci se révèle incapable d’écrire des lettres d’amour, du moins jusqu’à ce que Cyrano choisisse de rédiger pour lui. Au-delà de son contexte militaire, la pièce de Rostand a plus que jamais quelque chose de chevaleresque, voire une forme de nostalgie pour un romantisme béat, où la puissance des bons mots parvient à matérialiser les émotions les plus fortes.

 

Cyrano : photo, Peter Dinklage"Belle ! C'est un mot qu'on dirait inventé pour elle" (ou un truc comme ça)

 

Mais Joe Wright joue clairement avec le feu en choisissant d’adapter la relecture de la pièce par Erica Schmidt, qui a décidé d’en faire une comédie musicale. En remplaçant "le roc, le pic, le cap" du personnage par un corps de nain, le film s’attelle à désarçonner et à s’attaquer à nos préjugés sans aucun filet de sécurité, et ce dès une séquence de duel magnifiquement montée. Avec ses couleurs bariolées et certains décors aux élans carton-pâte, l’esthétique globale du métrage assume sa dimension kitsch, qui donne d’ailleurs du corps à un récit où Cyrano est moqué par une société qui ne réalise pas son propre ridicule.

Si le personnage a appris à mettre une distance envers les railleries à son égard, on sent bien que Wright est avant tout passionné par le paradoxe qui entoure son héros romantique. Cyrano arbore une fierté et une assurance face à un monde qui le rejette, mais ne peut pas s’empêcher de penser que la belle Roxanne ne puisse l’aimer au vu de sa condition physique. Malgré ce dilemme, le protagoniste est au cœur d’une approche ouvertement libre, qui ne peut que s’accorder avec les envies d’un réalisateur qui ose tout.

 

Photo Kelvin HarrisonAttention : des noirs et des nains au Wokistan !

 

Love Actually

C’est autant la plus grande qualité que la principale limite du film : Wright part dans tous les sens, avec une force revigorante qui ne se prive de rien. D’une séquence de combat en plan-séquence à quelques montages aux relents clippesques, Cyrano épouse sa nature bigarrée, quitte à plonger dans un too much irrattrapable. Il faut dire que le cinéaste est peu aidé par la musique assez quelconque de Schmidt, elle-même peu mise en valeur par la performance vocale laborieuse de Peter Dinklage. L’acteur a beau être extrêmement convaincant dans son jeu à fleur de peau, sa façon de pousser la chansonnette donnera à certains le même visage crispé qu’à l’écoute de Russell Crowe dans Les Misérables.

Pour autant, Joe Wright confirme ses talents d’esthète en parvenant à transcender les problèmes avec lesquels il doit composer. Sa mise en scène se veut toujours ludique, à l’instar de ce travelling pénétrant, qui nous emporte au milieu d’une multitude de soldats en plein entraînement à l’épée. Le réalisateur n’en oublie jamais sa note d’intention principale : donner à son film une réelle dimension enivrante, pour mieux traduire la passion ressentie par son triangle amoureux.

 

Cyrano : photo, Haley BennettLe secrétaire de rédaction d'Ecran Large en fin de semaine

 

Dans la plus belle séquence du film, où les fondus et les fragmentations d’images relient les sentiments de ses personnages comme s’ils rebondissaient les uns sur les autres, Wright matérialise cette fièvre des mots et de l'amour par une sublime sensualité. Sa caméra frôle le corps de Roxanne, et épouse ses gestes sensuels, tandis que les mots de Cyrano la caressent littéralement.

Tout le postulat de Joe Wright peut être trouvé dans ce saut dans le vide, dans ce point de non-retour qui ne souffre d’aucune nuance. Alors que le réalisateur se permet une rupture de ton tétanisante lors de son dernier acte au cœur de la guerre, sa vision de Cyrano de Bergerac brille par sa sincérité, qui a quelque chose de flamboyant au vu de sa rareté dans le cinéma contemporain. C’est peut-être triste à dire, mais le long-métrage n’en est que plus précieux, malgré ses maladresses.

 

Cyrano : affiche

Résumé

S’il est indéniablement kitsch et malhabile, Cyrano est aussi un pur shot de cinéma sincère et romantique, qui combat le cynisme trop ancré de l’époque par la figure du poète. Une bien belle manière de ramener la pièce de Rostand dans l’actualité.

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commentaires
Je
03/04/2022 à 01:43

Version naze, 1, 6 étoiles sur AlloCiné, il y a qu’Ecran large qui défend cette grosse daube !

Onurb
01/04/2022 à 13:17

J'avoue que j'ai été attiré par l'audace de l'adaptation . j'ai trouvé ça assez marrant. Mais , par contre , le coté comédie musicale m'a vite soulé. Et puis , ça ne marche pas. On est peut être trop attachés à nos versions originales.

Thekiller
01/04/2022 à 11:54

Correction :

De la merde.

Thekiller
01/04/2022 à 11:53

De le merde.

Sanchez
01/04/2022 à 11:53

Le nain a la place du nez , pourquoi pas .
Par contre on ne s’étonnera bientôt plus de voir des asiatiques jouer du Molière et pourquoi pas Jackie chan dans le rôle de Charlemagne . D’ailleurs il doit y avoir une sérier avec une Anne boleyn noire et bizarrement on en entend plus parler.,. Espérons qu’ils se sont rendu compte que c’était ridicule. Évidemment pour Christian c’est moi grave hein , on est dans la fiction, mais ça reste assez pathétique

Gascon
31/03/2022 à 22:23

J'avais vu Cyrano de Bergerac quand j'avais 9 ans, et l'annonce de ce remake m'a donné envie de revoir celui de Rappeneau. J'ai adoré! Quel beauté! Oh là là! Pour le moment je ne suis pas très fan de la bande annonce de la nouvel version, mais je suis curieuse de savoir comment le texte sera traduit. Je ne pense pas qu'un français de langue maternelle puisse être certain, et je laisserai juger mon copain Anglais qui a adoré la version de Rappeneau en français pour savoir si la même sublime émotion s'en dégage.

Birdy en noir
31/03/2022 à 20:28

Tyrion a décidément toujours un bon mot à la bouche. Perso c'est le côté kitsch qui m'effraie.

Pi
31/03/2022 à 18:15

@Chris11

Tu n'es pas réac, en tout cas pas du seul fait de n'associer Cyrano qu'à un nez. Je dirais que l'intransigeance dont tu fais preuve ça s'appelle être obtus. L'art est traversé d'interprétations diverses et variées des oeuvres les plus célèbres. Et c'est très bien. L'art c'est comme la langue, quand c'est figé, c'est mort. C'est pourquoi cette version de Wright est intéressante et mérite d'être vue.

Pour l'interprétation de son casting. Pour ses décors qui renvoient à la fois à la comedia dell'arte et à Fellini. Pour sa mise-en-scène soignée. Pour son texte à entendre en version originale, la version française ne rendant pas bien les émotions exprimées.

En plus, Cyrano est bien plus complexe dans les thèmes abordés que la simple difformité nazale du protagoniste principal. C'est une histoire d'amour complexe à plusieurs lectures.

Quand à Edmond, je l'ai également trouvé excellent.

Skill33
31/03/2022 à 16:45

C'était sympa, mais sans plus

Roukesh
31/03/2022 à 14:51

@JR, Merci, j'avais complétement oubié Edmond, je devais le voir, mais c'était sorti de ma tête.
Pour ce qui est de ce Cyrano, j'aime ce cinéma romantique, alors pourquoi pas.

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