Don't Look Up : critique de la fin du monde sur Netflix
Après The Big Short : Le casse du siècle et Vice, Adam McKay continue à dépeindre les Etats-Unis (voire le monde, ici) de manière satirique dans son Don't Look Up : Déni Cosmique écrit et réalisé pour Netflix. Et sans grande surprise, son film de fin du monde s'annonce comme le gros phénomène de cette fin d'année 2021 notamment grâce à son casting affolant mené par Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Jonah Hill ou encore Cate Blanchett.
le monde hallucinÉ
Il y a quelque chose d'assez improbable avec la nouvelle création de Adam McKay. Alors qu'il venait d'acter la production de sa série sur les Lakers et pensait sans doute déjà à la série spin-off de Parasite, le réalisateur, scénariste et producteur de Vice cherche une idée pour un nouveau film dès la moitié 2019. Inspiré par un livre intitulé La Terre inhabitable : Vivre avec 4°C de plus, McKay se lance dans l'écriture avec l'aide de David Sirota, derrière l'idée originale qui fondera le scénario : une comète fonce sur la Terre, mais tout le monde s'en fout.
Ainsi naît Don't Look Up fin 2019, et le casting se forme début 2020 avec d'immenses stars partantes pour son nouveau délire : Jennifer Lawrence est la première à accepter, suivi par Leonardo DiCaprio, Meryl Streep, Jonah Hill et une ribambelle de célébrités hollywoodiennes toutes plus connues les unes que les autres. Et puis débarque mars 2020 et la fameuse pandémie de Covid-19.
Immédiatement, Adam McKay a l'impression de voir son scénario prendre vie dans le monde réel. À tel point qu'il doute alors de l'intérêt de son métrage et pense même l'abandonner. Après mûre réflexion, le cinéaste ne lâche pas l'affaire, choisit même d'aller un peu plus loin dans la folie et de s'inspirer de la Covid pour compléter son récit. Et soyons honnêtes, c'est le meilleur cadeau de Noël qu'il pouvait nous offrir.
killers of the precious earth
Avec The Big Short et Vice, Adam McKay avait déjà prouvé qu'il était capable de mêler avec habileté la pure comédie avec une bonne dose de drame. Mais il n'avait probablement pas dosé ce mélange aussi brillamment qu'avec Don't Look Up. C'est bien simple, le huitième film d'Adam McKay est incontestablement l'un des plus tordants de l'année 2021, tout en étant l'un des plus déprimants.
Dès ses premières minutes, le long-métrage prend ainsi une direction assez dramatique avec la découverte de Kate Dibiasky (quel plaisir de retrouver Jennifer Lawrence), jeune doctorante en astronomie, et son professeur, le Docteur Randall Mindy (Leonardo DiCaprio excellent dans un rôle à contre-courant de scientifique anxieux) : une comète tueuse de planète se dirige inévitablement vers la Terre et anéantira l'humanité dans six mois.
Un point de départ tragique pris au sérieux par les deux scientifiques, conscients de la dangerosité, qui les mène quasi-instantanément à la Maison-Blanche pour avertir la présidente et l'État-major. Sauf que le rendez-vous avec la présidente des États-Unis, sorte de mélange savoureux de Donald Trump dans le corps d'Hilary Clinton (même si on pense surtout à Sarah Palin), se transforme en véritable cauchemar, car personne ne les prend au sérieux.
Au contraire, entre attente interminable, abus de pouvoir d'un chef d'État major (qui amènera un running gag très drôle) et je-m'en-foutisme demeuré de l'administration, affirmant que ce n'est pas le moment de parler d'une catastrophe mortelle et que 99,78% de plausibilité, ce n'est pas 100% donc pas inquiétant... la présidente pense qu'il vaut mieux attendre de voir comment la situation évolue (lol). Les deux scientifiques vont donc décider de faire fuiter l'information dans les médias, sauf que le monde est bien plus taré qu'ils ne l'imaginaient.
C'est à partir de là que le film s'ouvre grand les portes du burlesque, de la satire hilarante, grinçante et absolument jubilatoire tant l'imbécilité entourant les deux scientifiques devient un terrain de jeu comique infini pour le cinéaste.
... avant de comprendre la réalité
délire CO(S)MIQUE
D'une certaine manière, Don't Look Up se mue en véritable quête, sorte de Candide des temps modernes, où les ingénus ne sont pas les héros, mais bien le monde qui les entoure. Adam McKay ne va alors rien se refuser décidant d'attaquer tout ce qui bouge au gré des rencontres de Kate et Randall.
Sans surprise, le film est une critique acerbe de la politique américaine (et notamment des leaders républicains). Ainsi, la présidente et son crétin de directeur de cabinet - qui est également son fils, coucou les Trump (Jonah Hill en roue libre absolue) - décideront de parler de la fin du monde quand ce sera opportun électoralement. D'où cette annonce lunaire de l'existence de la comète avec feu d'artifice à la gloire des États-Unis, cérémonie militaire et choix d'un héros de la nation raciste...
Outre les politiciens véreux et tristement incompétents, le film saborde aussi la sphère médiatique et notamment les médias à la Fox News (Cate Blanchett et Tyler Perry géniaux en animateurs insupportables), n'hésitant pas à mettre à la même hauteur une catastrophe d'ampleur mondiale et la réconciliation entre deux stars du showbiz (Ariana Grande est superbe dans sa propre caricature).
Les réseaux sociaux en prennent également pour leur grade, tout comme les célébrités, les conspirationnistes, les populistes et les faux prophètes cachant leur dessein capitaliste : le fameux Peter Isherwell, porté par un Mark Rylance effrayant, mixant Steve Jobs et Elon Musk tout en gardant la voix de son personnage de Ready Player One. Puissant du monde qui trompe les petites gens crédules et fragiles : les pauvres parents de Kate qui croient plus aux paroles du businessman fêlé que leur propre fille astronome sur le danger de la comète.
On rit donc à gorge déployée devant Don't Look Up, ne s'empêchant quasiment rien pendant ses 2h18 et enchaînant les blagues de mauvais goûts et frasques véhémentes, rappelant tour à tour les chefs-d'oeuvre Docteur Folamour et Network. Alors oui, ces multiples critiques des politiciens, des réseaux sociaux, des médias, des conspirationnistes, des GAFAM... n'ont rien de franchement originales, exception faite de leur lâchée prise complet, le récit s'amusant délibérément à tout rendre excessif. Mais là où le nouveau film d'Adam McKay frappe fort, c'est dans sa capacité à complètement bousculer les codes du genre catastrophe.
DÉni TRAGIQUE
On a beau rire de la débilité des personnages et des poncifs régulièrement dépeints par le 7e art (avec plus ou moins de subtilité, ici assez peu, il faut l'avouer), Don't Look Up évoque aussi en filigrane une injustice rarement traitée : l'effacement historique des femmes.
Pour preuve, le personnage de Jennifer Lawrence qui est à l'origine de la découverte et finit presque par être effacé des médias au profit d'un homme, le personnage de DiCaprio ("le scientifique le plus sexy du monde" selon les médias). Ce dernier prend la lumière involontairement certes, mais sans jamais vraiment rechigner à recevoir les mérites de cette trouvaille quand Kate Dibiasky reçoit uniquement les critiques, moqueries et comme la comète porte son nom, en porte littéralement le fardeau.
Une thématique inattendue qui donne une autre valeur ajoutée au film plutôt bienvenue et marchant vraiment bien. En tout cas, à une époque où les inégalités hommes-femmes sont toujours aussi grandes, sa présence dans le film est plus que justifiée. Et d'ailleurs, il y a quelque chose de fort et meta à voir Jennifer Lawrence incarner Kate Dibiasky, vu comment l'actrice a également subi les frasques des réseaux sociaux de son côté ces dernières années.
"On a le soutien d'Ecran Large, ça change des critiques américaines"
Et puis évidemment, c'est surtout un message alarmant sur le monde qu'Adam McKay porte à l'écran. Décidé à ne plus seulement s'amuser et délirer avec des personnages comme ceux de Ron Burgundy, le cinéaste fait de son talent de satiriste, un moyen d'alerter le monde ou de simplement lui ouvrir les yeux.
Ici, il n'est plus question de la Guerre froide ironiquement pastichée dans Dr Folamour, mais bien de la crise environnementale (tout en rappelant forcément la période pandémique que la Terre traverse depuis 2020) couplée à l'incapacité des terriens à communiquer entre eux (alors même qu'ils ont tout à leur disposition pour le faire). C'est ce qui fait la plus grande force du long-métrage, son récit parvenant à capter à merveille l'absurdité du monde, avant de sombrer dans une atmosphère funeste et déprimante :
À partir de quand le monde a décidé de ne plus croire les personnes qui ont travaillé toute leur vie à apprendre la vérité et à la transmettre ? À partir de quand le monde a décidé de détourner les yeux, alors même que l'évidence est sous son nez ? À partir de quand les médias ont décidé de privilégier les petites polémiques aux réflexions sérieuses et primordiales ? À partir de quand l'humain a décidé de tout exploiter pour devenir riche, quitte à en crever ? À partir de quand avons-nous décidé de ne plus prendre nos responsabilités ?
Dans son dernier tiers, Don't Look Up nous fait ainsi passer du rire à l'effroi. Certes, il faut passer par un bon ventre mou pour en arriver là. D'abord, à cause d'un récit qui peine à avancer, souffrant de sous-intrigues un peu futiles. Puis, à cause d'un montage beaucoup moins joueur que dans les deux précédents films du cinéaste, captant avec moins d'acuité l'extravagance des situations ou des personnages. L'exploitation d'images naturalistes, un peu comme dans Tree of Life, pour illustrer la beauté du monde est aussi un peu facile à quelques reprises.
Toutefois, cela fonctionne admirablement dans un dernier souffle frissonnant. Et quand l'émotion pure et simple, voire les pleurs, remplace les rires, le choc est bel et bien là. Car plus qu'un énième film-catastrophe fictionnel à la Armageddon ou Deep Impact, Don't Look Up devient un véritable reflet de notre réalité. Le miroir d'une apocalypse vers laquelle on court tête baissée. Alors si le film a quelques défauts, sa puissance comique et réaliste met une grosse claque.
Et finalement, même avec des défauts, si le parterre de stars et la notoriété de Netflix parviennent à éveiller quelques consciences dans le monde réel avant qu'il ne soit trop tard, comme tente de le faire la chanteuse Riley Bina avec son entêtant Just Look Up dans le film, on ne dira pas non.
Don't Look Up est disponible sur Netflix depuis ce 24 décembre 2021 en France
Lecteurs
(3.8)01/08/2022 à 00:01
Adam Mckay frappe fort avec ce film qui nous fait passer par pas mal d'émotions. En accord avec votre critique, un film très original dans sa façon de traiter le sujet.
16/01/2022 à 09:57
J'ai aimé globalement le film poussé dans une certaine caricature de l'amérique mais tellement proche à la fois d'un réel. L'intrigue est bien vue, jusqu'à ce repas décalé de la fin du film, où chaque personne présente sait qu'il va disparaître. Ce décalage apporte un final très poétique, mais je n'ai pas apprécié l'envolée d'objets dans l'espace et le retour 20000 ans après où la présidente se fait manger par d'étranges oiseaux. Pour ma part, cette fin casse le message du film sur la nécessité de croire ce que disent les scientifiques avec en parallèle ce qu'on vit sur le changement climatique où sur les déchets nucléaires. Cette fin relègue le film à une entreprise qui en fait trop, ne sait pas s'arrêter, veut plaire à un public classique. Dommage, mais le message passe quand même !
31/12/2021 à 23:20
Vu ce soir en famille. Excellent film, une claque et une réflexion sur notre monde actuel. De quoi réfléchir...
28/12/2021 à 00:15
Bonne surprise pour moi. Bon, chef d'oeuvre faut pas pousser non plus ! Cela impliquerai que le film soit parfait, ce qui n'est pas le cas. La réal est loin d'être top et y a du ventre mou niveau rythme. Bcp de spectateurs se contentent de peu à priori pour crier au chef d'oeuvre au moindre film original.
Mais dans la lignée d'idiocraty, j'ai trouvé cette satyre bonne et rafraîchissante. Et en ce moment, ça tombe à point nommé !
27/12/2021 à 15:03
Adoré ce film !!
Aussi j'aimerais comprendre pourquoi les films de Adam McKay divise la presse américaine, voir un mépris que je m'explique pas.
27/12/2021 à 13:16
"Kate Blanchett incroyablement sexy (même si elle devrait limiter ses visites chez son chirurgien esthétique)"
Bon alors encore une fois on précise pour les neuneus... c'est exagéré POUR le film, elle n'est pas encore passée par la case chirurgie esthétique, en vrai.
27/12/2021 à 08:28
@lefarris @Flash : pour régler ce bug sur la VF, je me suis déconnecté puis reconnecté à Netflix.
26/12/2021 à 21:44
Pour moi ce film est justement destiné au type de personnes qui ne l'ont pas aimé. Il parle justement d'eux. Très bon film qui fait reflechir et qui nous offre un aperçu du monde dans lequel on vit actuellement. Personnellement je m'y retrouve pas et je ne me reconnais plus dans tout ce bordel.
26/12/2021 à 15:47
Le côté remake de "Mars Attack" n'apparait à personne ? Et le fait que le réchauffement climatique ou l'écologie ne soit pas mentionné (sauf les insert ad hoc risibles de documentaires animaliers) n'amuse pas plus que cela ! La fin avec prière, double happy end et "subscribe" et "tout était bien avant" ne choque pas ceux qui y voient un discours révolutionnaire ?
26/12/2021 à 15:28
@Lefarris, merci pour l’info , je pensais que c’était voulu par le réalisateur.