Joker : critique radicale

Alexandre Janowiak | 7 novembre 2022 - MAJ : 10/11/2022 19:22
Alexandre Janowiak | 7 novembre 2022 - MAJ : 10/11/2022 19:22

D'abord projet très critiqué, redouté voire méprisé, Joker de Todd Phillips est devenu l'un des films les plus excitants et incontournables de 2019. Triomphe critique et succès phénoménal en salles, l'adaptation DC a marqué l'histoire, de son Lion d'or jusqu'aux Oscars, où Joaquin Phoenix a été couronné. Et c'était mérité.

RENAITRE DC CENDRES

Avec la sortie de Man of Steel en 2013, Warner Bros et DC se lançaient dans une nouvelle aventure sur grand écran en instaurant un DCEU à l'image du MCU de Marvel lancé cinq ans plus tôt.

Hélas, après un premier film au succès correct, l'univers DC Comics n'a jamais réussi à convaincre pleinement les spectateurs et la critique. Ainsi, le DCEU a subi plusieurs échecs critiques (Batman v Superman : L’Aube de la justice, Suicide Squad) et un énorme couac commercial avec son Justice League fin 2017, remettant en cause l'ensemble de la franchise super-héroïque au cinéma (malgré le succès de Wonder Woman).

Puis, le navire a été remis à flot grâce à l'aventure solo d'Aquaman en 2018, appréciée de la critique et devenue le plus gros succès public du DCEU. Cependant, si le long-métrage sur l'homme-poisson a marqué un tournant pour Warner et DC, ce n'est rien à côté du tremblement de terre qu'a été le Joker de Todd Phillips (qui ne fait pas partie du DCEU cela dit).

 

photoQue la fête commence...

 

GODDAMN CITY

Ce Joker raconte l'histoire d'Arthur Fleck, homme méprisé par la société qui va devenir progressivement le Joker que le monde des comics connaît parfaitement. Difficile d'en dire plus sur l'ascension dans l'horreur et la folie du personnage culte sans spoiler les multiples séquences. Tout juste pourra-t-on confier que l'histoire qui y est dépeinte s'inspire en partie de deux des comics phares du Joker : Killing Joke et The Man Who Laughs.

Pour autant, le film écrit sa propre légende en n'en piochant que quelques éléments pour mieux créer sa propre voie. Ainsi, le nouveau projet DC surprend voire stupéfie dans ses choix scénaristiques (un twist très marquant) et assurément, il y a aura un avant et un après Joker. En se détachant de l'arc de Killing Joke (celui dont il se rapproche le plus), le film de Todd Phillips s'offre une liberté créative dingue et sans limites.

S'ouvrant avec une certaine poésie, le long-métrage s'enfonce au fur et à mesure au coeur d'une danse macabre et sinistre inédite. Pour la première fois dans l'histoire du cinéma, un film de comic book sombre dans une sociopathie choquante et radicale, où la brutalité n'est jamais cachée et la folie mise en avant (bien plus que dans The Dark Knight oui).

 

photo, Joaquin PhoenixCe rouge qui lui colle à la peau

 

On reprochait souvent aux films du genre de manquer de profondeur et de se contenter d'user des pouvoirs de leur super-héros pour créer un spectacle simple et efficace. Force est de constater que le Joker n'en a pas (des super-pouvoirs) et qu'avec des effets spéciaux invisibles et une action extrêmement rare, la force du film se trouve ailleurs. En cela, Joker est un séisme dans le cinéma de comics tant l'origin story du célèbre clown de Gotham sort de l'ambiance pop, décontractée, spectaculaire et frivole des films du genre (Marvel et les derniers DC en tête) pour nous plonger dans un cauchemar noir, sanglant, violent et pertinent.

Au contraire des derniers films de comics super-héroïque, Joker offre une réflexion poussée et profonde sur la société américaine, le pouvoir des médias et les élites politiques. Le film est un violent brûlot qui retourne le rêve américain pour mieux le transformer en cauchemar anarchique. À ce niveau, le film est de fait, comme ses bandes-annonces le sous-entendaient, très proche de deux chefs d'oeuvre de Martin Scorsese : Taxi Driver et La Valse des pantins. Le Joker de Joaquin Phoenix pourrait d'ailleurs être vu comme un hybride des deux anti-héros qui les composent avec une radicalité tirée à l'extrême.

 

photo,  Joaquin PhoenixUn rire incontrôlé terrifiant

 

VERY MACABRE TRIP

Par ailleurs, on pouvait légitimement avoir des craintes en voyant Todd Phillips, le réalisateur de la trilogie Very Bad Trip au CV bien peu glorieux, aux commandes d'un projet si ambitieux. Bien mal nous en a pris tant il offre un long-métrage bluffant de maitrise dont plusieurs séquences marqueront longtemps par leur sens du rythme et de la narration. La première scène du métro est ainsi une petite leçon de mise en scène, jouant parfaitement des lumières, du découpage et de la musique imposante de Hildur Guðnadóttir pour créer une tension allant crescendo avant de finir par exploser dans une rage salvatrice pour son personnage principal. 

Bien sûr, Todd Phillips ne réalise pas un sans-faute et on pourrait pointer du doigt plusieurs de ses choix. Ainsi, sa mise en scène est parfois trop poseuse et joue excessivement des ralentis. Au-delà, un arc du récit, même s'il n'est pas totalement dénué d'intérêt sur ce qu'il dit de l'Amérique et d'Arthur Fleck, se révèle également très superflu au fil de son avancée. Enfin, sans doute rongé par le dilemme de clôturer fermement son film ou d'ouvrir au contraire la possibilité à une franchise, le réalisateur a également du mal à terminer son métrage sans zigzaguer.

De menues stries qui empêchent le Joker d'être un film totalement parfait malgré la performance impeccable de son interprète principal : Joaquin Phoenix.

 

Photo Joaquin PhoenixÀ quelques minutes d'une scène mémorable

 

THE MASTER

En effet, impossible de ne pas s'attarder sur la prestation remarquable du comédien dans la peau d'Arthur Fleck et futur Joker, tant il est le souffle, l'âme et la raison d'être du long-métrage. Avec la carrière impressionnante qu'il s'est forgée en plus de 20 ans, Joaquin Phoenix n'a plus rien à prouver au monde sur ses qualités d'acteurs. Pourtant, encore une fois, il réussit un tour de force.

 

Joker : photo, Joaquin PhoenixLe clown du spectactle

 

Si la comparaison avec Heath Ledger sera inévitable avec le temps, le Joker de Joaquin Phoenix est bien différent. Ce dernier se révèle avant tout un homme pathétique et méprisable qui ne prend de l'ampleur que par accident. Ainsi, le comédien offre une interprétation jonglant entre la pitié et la démence, portée par des envolées dansantes hypnotisantes ainsi qu'un rire incontrôlable provoquant simultanément un sentiment de compassion et de terreur chez le spectateur.

Et ce n'est finalement qu'après une ultime apparition de l'anti-héros que ce dernier plongera définitivement dans un sentiment de dégoût et d'horreur, lorsqu'Arthur Fleck disparaît à jamais sous les traits et l'esprit d'un Joker cruel et macabre. Fort.

 

Affiche fr

Résumé

Malgré ses imperfections, Joker est un véritable séisme pour les films du genre. Un brûlot radical contre les médias, les élites politiques et la société retournant le rêve américain en cauchemar brutal, sanglant et macabre. Un film puissant mené par un Joaquin Phoenix habité et monstrueux.

Autre avis Geoffrey Crété
On entend souvent que le cinéma hollywoodien des studios n'a plus de courage et d'audace, que tel ou tel film corrosif des années 70-80 ne pourrait plus être produit, et qu'en 2019 on ne peut plus rien dire ni montrer. Joker est la réponse parfaite et inattendue : noire, sèche, brutale, qui ne cherche ni excuse ni amour.
Autre avis Simon Riaux
Todd Philips récite son bréviaire du petit Scorsese illustré, mais le fait avec un brio et une intelligence qui imposent le respect. Phoenix et la caméra peuvent dès lors entamer une danse macabre qui adresse à l'époque un réquisitoire implacable.
Autre avis Arnold Petit
Un film doté d'une profonde noirceur, avec un discours corrosif à souhait. Dans les tréfonds d'un Gotham aussi malade que lui, un homme humilié, moqué et avili se change petit à petit en une force incontrôlable du chaos, jusqu'à devenir un ouragan séditieux qui renverse tout sur son passage. Joaquin Phoenix est habité par le Clown Prince du Crime.
Autre avis Déborah Lechner
Un drame social très sombre au discours intemporel qui suit un homme malmené par la société qui se laisse entraîner dans une spirale de violence que les habitants de Gotham n'auront de cesse de légitimer, politiser et donc nourrir jusqu'à un dénouement chaotique. Le film a ses défauts, mais qui n’entachent en rien la puissance du récit.
Autre avis Lino Cassinat
Joker jongle avec une témérité folle avec quantité de thèmes et de représentations qui affolent notre époque. C'est bien, mais c'est dommage que son amoralisme semble camoufler ses impensés - c'est probablement d'ailleurs ce qui explique la polémique ridicule qui l'entoure. Pourtant, c'est l'évidence, Joker résonne terriblement avec notre temps.
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Lecteurs

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commentaires
Mathilde T
08/11/2022 à 18:15

Ce film est pas inintéressant bien qu'on voit qu'il est fasciné par le New York violent des années 80 et par les films de Scorsese . Excepté le caricatural Thomas Wayne brutal sans motif, j'ai bien aimé les autres personnages troubles comme la mère au passif bien décrit ou bien nuancés telle l'assistante sociale, les collègues de Napier. Je trouve que les protagonistes avec une personnalité fouillée manquent un peu au cinéma en ce moment ou on leur invente des traumas clichés juste afin de les rendre artificiellement attachants et non pour raconter une histoire.Même le Joker ne tombe pas dans l'hystérie d'un coup de façon caricaturale .
J'ai apprécié le refus d'effets spéciaux au profit d'un décor urbain humide et brutal à la Seven.
Cependant j'ai toujours eu du mal à imaginer un génie du crime sadique et créatif tel que le Joker en ex-loser blessé dans ses émotions. Pour cette raison je n'avais pas accroché au comics Killing Joke . Je comprends aussi que certains jugent le film "populiste", encore que le film capte assez les manifs qui intervenaient souvent à l'époque de sa sortie. Pour moi il est tombé pile au bon moment

Flo
08/11/2022 à 13:01

Revu aussi avec joie "Joker"...
Dans la foulée de "Au revoir là haut", ce qui est intéressant par les quelques points communs : un contexte passé/actuel sur la disparité entre les classes sociales, un Édouard Péricourt monstrueux et utilisant lui aussi les masques de la Comedia del arte, l'ombre des comiques chaplinesques...
Et le plaisir de mise en scène, mais avec encore moins de limites puisque se contentant de reprendre une origin story basique (un moins que rien, pas drôle, qui bascule dans l'horrible), puis de l'étirer pour en faire une plongée dans la psyché tordue d'un personnage mortellement dangereux et insaisissable. Et souvent drôle, mais toujours à ses dépens.
Grâce à son économie budgétaire, chacune des scènes ont tout loisir d'être surchargées d'indices et de sens (trop, pour certains)... mais qu'on ne s'y trompe plus, c'est bien un thriller, aussi malaisant que fascinant. Un des meilleurs d'une décennie.

Wooster
08/11/2022 à 12:46

The Joker (comme The Batman du reste) montre que l’essentiel est de construire une histoire forte (pas forcément originale d’ailleurs, mais solide et bien écrite). Beaucoup de films, et les films de SH en particulier, semblent avoir oublié ce principe de base. Combien de productions Marvel ou DC ne sont fondées aujourd’hui que sur des CGI et quelques punchlines lourdingues, l’idée étant que le spectateur au centre de la gaussienne n’est intéressé que par des effets spéciaux toujours plus spectaculaires.

Marvelleux
08/11/2022 à 10:54

Deçu du film et pourtant je suis fan du personnage

Time is Coming
08/11/2022 à 09:42

quand j'ai su que le personnage Joker qui se dandine dans un escalier du Bronx, la scene clé du film, ou l"une des mega grosse sequence,sous la musique "rock and Roll part 2" de Garry Glitter ancienne rock star annee 70 condamné a multiple reprise pour actes de pe do-philies le Glitter s'est quand même fait choper au vietnam avec de mineurs de 10:11 anns et a passé 3 ans en taule la bas, sans compter les autres peines aux USA
alors je me suis dis qu'il faut black listé ce film, ne pas en faire la promo, ceux qui ont utilisé cette musique là savaient tres bien le genre de type derriere, Realisateur, producteur, m^me l'acteur principal auraient dire Niet

Prisonnier
08/11/2022 à 09:13

Bé bé béeee

(Oui je suis un mouton j'ai kiffé le film)

Carablanca
07/11/2022 à 21:26

Nul. Une daube. Beaucoup ont crié au chef d'œuvre et les moutons ont suivi.

Batman
07/11/2022 à 21:02

Fake, recycleur et démonstratif du début à la fin mais comme ça sortait de l'ordinaire on a crié au chef-d'œuvre sur la toile. Juste surprenant.

Rico
07/11/2022 à 20:58

Film d'un néo-populisme crasseux, d'une bêtise abyssal.
Pas sûr qu'avec les changements radicaux de l'industrie cinématographique le second film atteignent les chiffres improbables du premier.

Fridrich
29/10/2022 à 13:18

We live in a society

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