Traîné sur le bitume : critique bétonnée

Simon Riaux | 5 août 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 5 août 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

En deux films, Bone Tomahawk et Section 99 - Quartier de haute sécurité, et une poignée de scénarios, S. Craig Zahler s’est imposé comme une des plus singulières révélations du cinéma américain contemporain. Il signe avec Traîné sur le bitume, son troisième long-métrage, sa proposition la plus forte et radicale à ce jour, menée par Mel Gibson et Vince Vaughn.

Disponible en VOD, DVD et Blu-ray le 3 août.

LE ZAHLER DE LA PEUR

Les récits de Zahler ont toujours fonctionné comme des précipités chimiques instables, à combustion lente. Dès son impérial Bone Tomahawk, le cinéaste avait cherché à dilater l’action, tordre la dynamique du récit à la manière d’un élastique, dont le spectateur attend avec délectation qu’il lui revienne en travers de la figure. C’est ce principe qui anime Dragged Across Concrete, amené ici à un niveau d’excellence remarquable d’intensité.

Mélange de sale gosse post-tarantinien mâtiné de punk ultra-violent, le metteur en scène a été à bonne école, et via un découpage ample et maîtrisé, ressuscite simultanément l’abrasivité du Nouvel Hollywood, tout en bâtissant une leçon de style, dont les partis pris photographiques fleurent bon le cool et le style à des kilomètres. Avec jubilation, on se précipite dans les pas de deux flics qui, privés de leurs badges, décident de mettre leur savoir-faire à leur service plutôt qu’au bénéfice de la communauté.

 

photo, Mel GibsonUne surveillance... remuante

 

C’est donc sur le terrain explosif du film de ripoux que Dragged Across Concrete fait mine d’avancer. Et comme toujours, le programme va progressivement dévisser, nous perdre, avant de nous exploser au visage.

S’il a toujours porté des personnages extrêmement forts, dans leur écriture et à travers leur charge symbolique (on tremble encore en se remémorant Kurt Russell, en cowboy spectral) dans ses films, Zahler nous offre ici une équation proche de la perfection. Sous airs de polars brut biberonné à l'urbanité de michael Mann, à l'ambiguité de Friedkin, à la sonorité de Carpenter et au swag ravageur de Tarantino, Traîné sur le bitume se révèle une proposition complexe, presque insaisissable. Sur le papier, le récit est d'une simplicité  cristalline : un duo de flic tourne mal et à la faveur d'une interminable filature, file droit vers la violence et la tragédie. 

Mais S. Craig Zahler sait apporter une quantité de contrepoints (via notamment la musique, qu'il a en partie composée), qui brouillent les pistes avec un plaisir évident. Tandis que cette temporalité étirée porte quantité de situations vers l'absurde, le métrage s'autorise des digressions bizarroîdes, comme celles dédiées au personnage de Jennifer Carpenter, poussant l'ensemble du récit vers un terrain parfaitement inattendu. Ainsi, le polar hardboiled se fait progressivement réflexion métaphysique, vertige surréaliste, avant d'exploser en mille morceaux quand la violence réinvestit la narration. Cette dynamique unique dans le paysage cinématographique américain contemporain confère à l'oeuvre une identité singulière.

 

PhotoUn duo qui va devoir s'employer

 

PAINS QUOTIDIENS

Le duo formé par Vince Vaughn et Mel Gibson est un bonheur de cinéphile, qui autorise les deux artistes à s’approprier de fabuleux dialogues, tout en rejouant les lignes de force de leurs carrières respectives. L’illusion de voir ce couple énervé braconner sur les terres de Friedkin et Lumet ravira les nostalgiques, et permet de réveiller les codes d’un cinéma du trouble et de l’ambiguité, devenu trop rare à l’écran.

Tous deux occupent l'espace comme peu de comédiens y parviennent. Que les mâchoires de Vaughn se déploient lentement pour engloutir un burger lors d'un plan fixe fascinant, ou que le regard azuréen de Gibson se focalise sur une cigarette presque consumée, comme pour mieux conjurer la rage qui l'étreint, la caméra et le montage parviennent systématiquement à transformer le moindre geste en un moment de cinéma puissant.

 

photo, Vince Vaughn, Mel GibsonUn duo ahurissant

 

Mais le réalisateur ne nous a pas simplement invités à une récréation nostalgique, comme toujours chez lui, l’absurdité du monde guette, la folie des hommes attend son heure pour s’emparer d’un monde dont le sens s’est retiré. Egalement scénariste de The Incident et Puppet master : the littlest Reich, S. Craig Zahler sait se faire orchestre d’une violence vertigineuse. Loin de constituer une zone de complaisance, le jaillissement du mal s’impose une nouvelle fois comme le motif premier de son oeuvre, le mouvement qui met en branle ses personnages, un déchaînement qui réaligne soudain des planètes sur le point de se percuter.

Plus qu’un polar hard boiled référentiel, Dragged Across Concrete s’impose comme le mètre étalon d’un cinéma agressif, aussi puissamment générateur de plaisir que de grosses mandales.

 

visuel DVD definitif

 

Résumé

Zahler signe une nouvelle fresque violente, où en transfigurant Vince Vaughn et Mel Gibson, il parvient à ressusciter le cinéma de Lumet, le trouble de Friedkin, tout en continuant de creuser son propre sillon de sang et de rage.

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Lecteurs

(3.5)

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commentaires
Pat Rick
14/01/2020 à 17:00

Très bon polar peut-être un poil trop long tout de même.

Dutch Schaefer
17/08/2019 à 23:17

GENIAL!

corleone
06/08/2019 à 13:50

@Simon Riaux merci bien j'ai dû rater un "épisode"…

Simon Riaux
06/08/2019 à 11:58

@corleone

La critique a été publiée pendant le festival de Beaune et accompagnée d'un petit reportage vidéo après la présentation du film. En mars ;)

Mais ravi que ça vous plaise !

corleone
06/08/2019 à 11:54

Il etait temps EL! Depuis le temps que j'attendais un article ou votre avis sur la pépite qu'est cette oeuvre… Présenté à Beaune 2019, le film a fait sensation en remportant le prix Sang Neuf! Excellent thriller à l'ancienne, sans les fusillades à gogo et clichés habituels du genre. Une excellente interprétation du duo Gibson/Vaughn pour un film efficace, profond, réussi, malgré quelques longueurs pour son scénario d'une grande noirceur. Et c'est toujours une extase de retrouver ce grand fou de Mel Gibson qui décidément ne cesse d'enchaîner les bonnes décisions depuis les années 2010.

Starfox
06/08/2019 à 09:49

Super film. Craig Zahler a réalisé un sacré strike jusqu'à maintenant depuis bone tomahawk. C'est incroyable, le mec en trois films ressuscite quasiment tout un pan d'un certain cinéma américain qu'on croyait perdu à tout jamais.

Mel Gibson est génial là-dedans. Pour une fois, il n'en fait pas des caisses, il est impeccable.

Et dire que c'est même pas sorti en salle...

Gripson
06/08/2019 à 01:44

Un très bon acteur, une belle affiche, une bonne critique, voilà qui fait envie.

fraise
05/08/2019 à 20:11

S. Craig Zahler c'est un peu le fils spirituel de Sam Peckinpah.

Chris
05/08/2019 à 19:14

Si c'est comme Bone Tomahawk, je crains le film long mou sans ryhtme et barbant pendant les 3/4 du film, pour finir par de la violence dans les dernières minutes. " un duo de flic tourne mal et à la faveur d'une interminable filature, file droit vers la violence et la tragédie." Le mot interminable me fait craindre le pire.

saiyuk
05/08/2019 à 16:56

Pour Gibson et Vaughn....je ne comprend meme pas que Jennifer Carpenter ou Don Johnson soit cité sur l"affiche... il y a de l'ambiance, de beaux plans, de tres bons acteur principaux, mais la lenteur ne fait pas un bon film, 30 min de moins aurait ete bienvenue....

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