America : critique great again

Christophe Foltzer | 21 août 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 21 août 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

 Il est indéniable que la civilisation humaine est à un tournant de son histoire. Entre changements climatiques dramatiques, fin programmée des ressources naturelles, mouvements de population, guerres et terrorisme, nous nous apprêtons à vivre de sales moments. Dans ce contexte, et avec le recul, on ne s'étonne pas qu'une personnalité comme Donald Trump ait été élue à la tête d'une des plus grandes puissances du monde. Un constat trouble que le documentaire America de Claus Drexel nous fait explorer de l'intérieur.

POOR LONESOME COWBOY

Le mythe du Far-West est fondateur dans la culture américaine moderne et représentative d'une certaine vision du monde : conquérante, aventurière, fière et surtout, mythologique. Pour son troisième film, et second documentaire après le très fort Au bord du monde, le réalisateur Claus Drexel nous invite donc dans les grandes étendues de l'Arizona, pas loin de la mythique Route 66, à quelques jours de l'élection présidentielle de 2016. Objectif : aller à la rencontre de ses hommes et ses femmes, reliquats d'un rêve américain bien abimé avec les années, pour voir comment ils vivent et ce qu'ils pensent de l'avenir politique de leur pays.

 

photo americaCe qu'il reste du rêve américain

 

Dès le départ, une opposition est clairement établie : aux vastes paysages désertiques sont mis en rapport des personnages vivants dans un espace réduit, fait de bric et de broc, et majoritairement d'armes à feu. En partant de la question de la légitimité du port d'armes et du second amendement de la Constitution américaine, le metteur en scène nous propose en réalité une plongée désenchantée dans ce qui reste du rêve américain.

Jadis terre des possibles où chacun pouvait devenir quelqu'un et réussir en échange d'un travail acharné, le pays est aujourd'hui en pleine transition, dans une douloureuse remise en question symbolisée par la dernière élection présidentielle.

 

photo americaL'Amérique en manque de Captain ?

 

Le film nous invite donc dans un petit bouge de l'Arizona, isolé du reste du monde, replié sur lui-même et qui, de fait, vit selon ses propres règles. Cette communauté, bourrue et rurale, ne semble pas vivre au même rythme que les autres citoyens. S'agit-il d'un cas isolé ou de la majorité de la population ? Le film refuse de répondre à cette question-piège, préférant aller sur le terrain du symbolisme.

A travers ces gens, c'est donc le rêve américain qui perdure et qui s'entrechoque avec les réalités contemporaines. Que faire lorsque la situation économique vacille ? Qu'être lorsque le monde entier ressemble de plus en plus à une gigantesque poudrière ?

 

photo americaUne image riche de symboles

 

RUNAWAY TRAIN

La grande réussite d'America, outre sa facture esthétique renversante, c'est bel et bien de laisser chacun s'exprimer comme il l'entend. Qu'il s'agisse d'un couple féru d'arme attendant son nouvel enfant, d'un ancien pasteur malade, d'un cowboy qui ne mâche pas ses mots ou d'une vétérane de plusieurs guerres, le film offre une liberté de ton indispensable pour bien comprendre à quel point la société américaine, et par extension occidentale, se cherche actuellement.

 

photo america

 

Pourtant son coeur réside ailleurs. A travers ce portrait désenchanté d'un des plus grands pays du monde, Claus Drexel nous met face à nos propres ténèbres. Dans un monde de plus en plus anxiogène et qui ne nous attendra pas, il révèle les conditions du repli communautaire. La pauvreté, la misère sociale et culturelle, les traditions inadaptées au monde moderne... autant de facteurs qui poussent à la paranoïa. Autant de facteurs qui entretiennent la peur de l'autre et donc de soi ou encouragent à alimenter une fierté nationale figée dans le passé et incompatible avec les enjeux contemporains comme pour se protéger plus que de raison d'un monde qui changera quoi qu'il arrive.

Il est fascinant, et terrifiant d'ailleurs, de voir ces quelques personnes se revendiquant d'une Amérique qui n'existe plus que dans les contes, choisissant un mode de pensée binaire parce que plus facile à appréhender alors que leur pensée et leurs réflexions dicteraient tout l'inverse. On serait tenté d'y voir là une vie en dépit du bon sens mais, bien que le film possède un parti-pris certain, il ne juge jamais ses intervenants. 

 

photo america

 

America révèle alors toute la complexité du processus de pensée d'une civilisation qui ne sait plus où elle en est, qui n'arrive pas à trouver un sens à son avenir, dirigée par des médias orientés qui comptent sur cet isolement et ce désintérêt général pour faire passer ses idées et sur ce besoin quasiment ontologique de la recherche d'une figure de père, de leader, de Dieu.

C'est une Amérique piégée par elle-même, par son passé et son identité supposée qui nous est présentée ici. Une Amérique complexe et riche qui se referme de plus en plus, un groupement d'individus qui aspirent aux mêmes envies mais qui semblent avoir perdu toutes leurs illusions.

Ce que l'on retient du film, ce sont ces gens qui ont perdu leurs rêves, blessés par une vie impitoyable, réfugiés dans un trou perdu et qui, pour supporter le reste de leur existence, s'alignent sur un fantasme de grandeur minutieusement fabriqué pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. Comme le prouve le dernier plan du film, magnifique et terrifiant en même temps.

 

Affiche officielle

Résumé

Portrait du malaise existentiel américain, America est un grand film sur la paranoïa, la peur et la mélancolie. Si le parti pris pourra en gêner certains, il est un documentaire à voir absolument parce qu'il pose des questions tellement importantes que nous ne pouvons plus les éviter. Disponible en DVD.

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Lecteurs

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commentaires
Nico
21/08/2018 à 17:49

Ce qui a amene TRUMP au pouvoir l’ecrivain TOM WOLF l’a très bien résumé. Un parti démocrate qui depuis les années 70 s’est mit à draguer les minorités raciales au lieu des ouvriers dont le parti Démocrates étaient censé représenter. Tada une population qui se sent oublié et qui met un gros doigt en votant pour un type’ qui avec les bons mots arrivent à ramasser’ les voix de ces gens. Aussi simple que ça. Ça n’a rien à voir avec le racisme ou autre.

MystereK
21/08/2018 à 15:42

Vétérane n'est pas dans le Larousse, mais est dans le Robert.

nico
21/08/2018 à 15:26

@Alexandre Janowiak

ça marche merci pour la précision!

Arnaud
21/08/2018 à 15:04

Ok Christophe, bon je vais voir si je peux le trouver facilement parce que vous m'avez grave donné envie en tout cas :)

Christophe Foltzer
21/08/2018 à 14:27

@Arnaud :
Le film est sorti en mars dernier au cinéma. Comme on l'avait un peu zappé, on profite de la sortie vidéo pour en parler.

olivier637
21/08/2018 à 13:45

Vétérane, subst. fém. "Les qualifications les plus relevées étaient trouvées facilement par ces vétéranes (Gobineau, Nouv. asiat., 1876, p. 160). En appos. Il y avait les aigles et les gélines, et les perdrix, et les grives vétéranes (Giono, Solit. pitié, 1932, p. 55)."
Source(s) :
http://www.cnrtl.fr/definition/vétéran

Chez EL parfois on déconne avec l'orthographe, et parfois on écrit comme Giono.

Theo
21/08/2018 à 13:38

veterane? mais çà ne peut exister, çà me fait saigner des yeux!,
j'ai ouvert mon vieux dico Larousse de 1993: pas de trace de veterane, mais sur d'autres dico en ligne , dont le dico de refernce du scrabble( en mot tordu on s'y connait!) le terme veteran apparait, ...il doit être tres peu utilsé...
du reste avez vous vu une bonne femme soldat "veterane" d'Irak de 1991, ?de 14/18,? de 39/45,? du vietnam etc..."veterane vous? moi non!

Arnaud
21/08/2018 à 13:23

J'avoue que "veterane" m'a aussi interloqué, mais Alexandre a l'air sur de lui donc je fais confiance :p

Sinon ... ben ca m'a hypé a mort cette critique !!! Par contre c'est un film disponible deja en DVD ? il est sorti en direct to DVD, ou c'est un film qui a 1 ou 2 ans deja ?

Alexandre Janowiak - Rédaction
21/08/2018 à 12:27

Salut @Nico,

le mot vétérane existe bel et bien. Il est rarement utilisé et l'usage préfère habituellement le mot vétéran pour les hommes et les femmes. On a cependant choisi d'user tout de même du mot consacré pleinement à la femme pour notre critique.

Merci pour le retour sur la critique ! Ça fera plaisir à l'ami Christophe Foltzer !

Bonne journée !

nico
21/08/2018 à 12:05

Excellente critique qui donne vraiment envie de découvrir cette oeuvre. Par contre je pinaille mais "vétérane" vous êtes sûr de vous?

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