Aucun exterminateur ne viendrait à bout des petites vermines de Willard, le remake sale et méchant avec Crispin Glover qui enterre le film original.
Comme une épidémie ravageant tout sur son passage, la folie des remakes a durement entaché le cinéma d’horreur du début des années 2000. Si on en sauve volontiers quelques-uns, à l’instar du Massacre à la tronçonneuse de Marcus Nispel ou de La Colline a des yeux d’Alexandre Aja, il faut en revanche se farcir une pelletée de navets tout juste comestibles : Amityville, Fog, Hitcher… arrêtons-là le supplice. Dans ce panier rempli de produits faisandés, le Willard de 2003 fait néanmoins office de miraculé.
Réalisé par Glen Morgan, épaulé dans sa tâche par son fidèle collaborateur James Wong, avec lequel il a signé les scénarios du premier et du troisième Destination Finale, ce remake se plante royalement au box-office à sa sortie. Le manque de prestige de son acteur principal, Crispin Glover, véritable outsider dans son genre, explique peut-être cela. Pourtant, cette relecture a le mérite de transformer le film original, relativement inoffensif, en exercice de style gothique ultra généreux.

FAIT COMME UN RAT
Oui, c’est un fait, depuis la naissance de l’incontournable Mickey, les rongeurs ont déployé leur capital sympathie comme jamais sur les écrans, et le cinéma familial américain ne s’y est pas trompé en leur octroyant le devant de la scène. De Bernard et Bianca à Fievel en passant par Stuart Little et Ratatouille, ils ont tous su s’attirer les faveurs du grand public. Mais pour les amateurs de frissons, il en existe aussi des plus voraces et cruels, à l’instar des rats meurtriers de Willard, premier du nom ou nouvelle version.
Dans les deux cas, l’histoire est la même. Un homme baptisé Willard (Crispin Glover donc pour le remake) et vivant encore chez sa maman, découvre dans la cave familiale une armée de rats qu’il va dresser et utiliser selon sa volonté. Parmi eux, Socrate, un rat albinos très affectueux, devient le fidèle compagnon du héros, tandis que Ben, un rat noir plus agressif, cherche à commander le gros des troupes. Un équilibre qui vole en éclats lorsque le patron de Willard (R. Lee Ermey, l’odieux sergent instructeur de Full Metal Jacket) s’en mêle.

Là où le film original de 1971 révélait avec parcimonie ses bébêtes, le remake affiche très vite des ambitions plus spectaculaires. Avec près de 600 rats entraînés et dirigés sur le plateau, répartis en fonction de leur prédisposition (ceux qui sautent, ceux qui grimpent, ceux qui grignotent…), le Willard de 2003 montre sa horde de rongeurs sous toutes les coutures et la laisse envahir les lieux avec une vélocité décuplée. Et si une poignée de plans bénéficient d’effets spéciaux numériques, l’approche pratique l’emporte.
Pour autant, le remake a beau s’épanouir dans une surenchère permanente, il réussit toujours à rendre son cortège de rats menaçant. Un petit exploit dû essentiellement au travail de la lumière qui choisit de maintenir le plus souvent les rongeurs dans la pénombre et de les faire avant tout exister en tant que silhouettes furtives ou vigilantes. Inutile alors de tisser un parallèle entre ces petits parasites grouillant dans la cave du héros et les idées noires qui dévorent de plus en plus son esprit.

BOSS LEVEL
Comme dans toute histoire de vengeance, et Willard en suit scrupuleusement les rouages, le plus important est de reconquérir sa dignité en même temps que le pouvoir. De ce côté-là, le héros a fort à faire puisqu’il subit les remontrances de son entourage sans broncher. Entre sa mère castratrice, son patron adepte de l’humiliation, et Ben, le premier rat de l’Histoire à souffrir d’un complexe de supériorité, le voilà cerné par des figures d’autorité particulièrement coriaces.
« Avec Crispin, on a parlé de ce type [Willard] dont la frustration, la colère et la conviction selon laquelle les autres lui ont pourri la vie permettent en quelque sorte à ces rats de se manifester dans sa maison« , raconte Glen Morgan, dans le making-of du film. Une analogie qui fait sens puisque les rongeurs, d’abord enfermés au sous-sol, gravissent peu à peu les étages pour reprendre le contrôle, à l’instar de Willard dont l’ascension finale reproduit la même logique (on pense à cette scène où il monte jusqu’au bureau de son patron en empruntant l’ascenseur de service).

Là encore, les mises à mort sont bien plus jouissives ici que dans le film original. Sans verser des hectolitres d’hémoglobine, le remake maltraite les personnages avec davantage de cruauté, et se permet des ajouts à l’humour noir décapant (cette scène où un chat tente d’échapper aux rongeurs avant de finir en pâté). « Walt Disney, ici Mickey, je viens te rejoindre« , lance le patron de Willard en verbalisant les dernières volontés de Socrate, le gentil rat albinos qu’il tente d’éliminer sous les yeux du héros et de ses collègues.
C’est une certitude, le réalisateur n’y va pas de main morte, et à ce titre, les retours des projections-tests n’étaient pas au beau fixe. Jugé trop grossier, idiot, bizarre ou incohérent en termes de tonalité (allez, qui dit mieux ?), ce remake a failli être interdit en salles à tout un public adolescent avant d’écoper d’une classification « PG-13« , recommandant uniquement aux mineurs d’être accompagnés d’un adulte. Hélas, l’aspect macabre et grand-guignol du film n’a pas séduit grand monde, y compris les jeunes amateurs de sensations fortes.

VIVE LE FREAK
S’il y a bien une veine que ce remake choisit d’embrasser, c’est celle de l’épouvante gothique chère à Tim Burton. De la même façon que le Pingouin dans Batman, le défi, Willard est autant un phénomène de foire qu’un rebut de la société. En ce sens, Glen Morgan lui attribue toutes les caractéristiques de la créature mythologique. La pâleur exsangue du visage et le costume noir évoquent le vampire, tandis que les grimaces outrées font écho au clown. Mais c’est aussi et surtout au zombie que le héros emprunte sa pulsion anarchiste.
En tant que personnage esclave de son rôle social, Willard renoue symboliquement avec l’idée du revenant englué dans des tâches répétitives (à la maison, il veille aux bons soins de sa maman, et au bureau, se soumet aux injonctions de son patron). Qu’il finisse par se propager comme un virus avec sa horde de rongeurs pathogènes résulte au fond d’une aliénation toxique qui n’a que trop duré, et tout le dernier acte est un vrai défouloir à ce niveau-là.

Mais il faut rendre à Crispin Glover ce qui lui appartient, et l’acteur se dépasse une nouvelle fois dans le cabotinage intégral, surtout après avoir joué Sac d’os, l’assassin frappadingue de Charlie et ses drôles de dames. Non content d’effacer de nos mémoires la prestation un peu terne de Bruce Davison, son prédécesseur dans le rôle de Willard, Glover réussit le tour de force de jouer sur deux registres opposés : l’austérité et l’excentricité. Si bien que l’on croirait assister au numéro de cirque d’un officier nazi qui singerait Jim Carrey.
On se réjouit alors que le comédien se soit imposé face à Joaquin Phoenix et Mark Ruffalo, pressentis pendant un temps. Et s’il a refusé à ses débuts de tourner dans la suite de Retour vers le futur, lui qui avait incarné George McFly, le père de Marty, dans le premier volet, c’est qu’il espérait pouvoir se réinventer. Or, il est resté l’un des énergumènes les plus fascinants du cinéma américain, et on est les derniers à s’en plaindre (surtout quand on le voit métamorphosé en Grendel dans La Légende de Beowulf).

Spécimen peu cité parmi ses congénères de la même époque, Willard fait donc office de remake outrancier et de fait, totalement légitime. Alors non, on ne parlera certainement pas de classique du genre, mais l’artisanat déployé par Glen Morgan, avec son fidèle co-scénariste et producteur James Wong, emporte le morceau. De quoi oublier les futurs méfaits du duo, le premier avec un autre remake, celui de Black Christmas, et le second, avec… Dragonball Evolution.
Vu il y a très très longtemps, Crispin Glover n’a pas eu la carrière qu’il aurait mérité.