Critique : Un si doux visage
« Mettre en scène, c’est savoir raconter une histoire ». Sa citation, Otto Preminger l’applique à la lettre dans Un si doux visage. Quintessence du film noir, cette œuvre, véritable modèle de narration, est pourtant moins connue que Laura, film auquel on se réfère immédiatement quand on évoque le nom du réalisateur. Un constat bien injuste tant la plupart des obsessions de son metteur en scène se retrouvent rassemblées dans cet Angel Face (le terme d’ange personnifiant à merveille le visage de Jean Simmons).
À commencer par l’omniprésence de la femme fatale. Elle
symbolise ici le deus ex machina : toute évolution des personnages se doit de
passer par elle. C’est ainsi vrai pour Franck, véritable suiveur, qui ne semble
jamais vraiment dupe des manipulations que lui fait subir Diane mais qui ne fait strictement rien pour l’en empêcher.
La démarche nonchalante et le jeu désabusé de Mitchum fait d’ailleurs
merveille. Les autres protagonistes sont dans le même état d’esprit. Le père dont
Diane est éperdument amoureuse (on nage en plein complexe d’œdipe que le
réalisateur s’amuse souvent à accentuer) n’arrive plus à écrire et ne fait rien
pour se remettre sur la bonne voie. La belle mère n’a aucune réelle ambition si
ce n’est d’assister à ses tournois quotidiens de bridge. La petite amie de
Franck passe son temps entre l'envie de le larguer car il n’arrive pas à
s’engager ou l'envie de s’amouracher d’un de ses collègues de travail. Tous
font donc du surplace et c’est Diane qui va faire avancer les choses de la
manière la plus terrible qui soit. C’est elle et uniquement elle qui a les clés
de leur destin.
Preminger, totalement fasciné par ce type de femme, sait les filmer sous leur
plus beau jour. À l’instar de Gene Tierney dans Laura, Jean Simmons n’a
jamais été aussi belle et désirable. Et l’on comprend aisément que Mitchum
se laisse entraîner dans cette spirale fatale. Car, c’est aussi ça la force du
film de Preminger : jamais le dénouement de l’histoire ne surprend. Tout
est mis en place/scène pour que l’on ressente l’inexorable descente aux enfers.
D’une œuvre de commande, Otto Preminger a tiré un formidable film noir,
véritable métaphore des plus anciennes tragédies grecques. Quant au spectaculaire
final, il n’a pas fini de nous hanter.
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