Le monstre géant au cinéma : anatomie d'un genre

Thibaud Gonzalez | 21 juillet 2013
Thibaud Gonzalez | 21 juillet 2013

Avec la sortie de Pacific Rim mercredi dernier, et en attendant le remake américain de Godzilla pour l'année prochaine, la figure du monstre géant au cinéma fascine, encore et toujours vivace, traversant les époques comme elle traverse les buildings. Envers et contre tout, le monstre géant ne s'éteint jamais, renaissant constamment sous de nouvelles formes, prenant naissance au delà même du médium cinéma, dans les mythes anciens. Loin d'une force destructrice stupide, le monstre géant représente souvent pour l'homme la peur d'une nature incontrôlable et vengeresse, une puissance quasi-divine dirigée contre l'humanité et ses exactions. Il nourrit les légendes, les peintures, les romans depuis bien longtemps, et c'est tout naturellement que le cinéma s'en est emparé, apparaissant de manière quasi-continuelle tout au long de l'histoire du 7ème art. Voici donc une petite liste non-exhaustive de la créature géante au cinéma.

 

LES ANIMAUX GEANTS

L'animal géant est certainement la figure la plus répandue et la plus connue du monstre géant au cinéma. Tour à tour résultant d'un accident scientifique ou surgissant des coins les plus sombres de la Terre, l'apparition de l'animal géant est presque toujours le résultat des actions destructrices de l'homme envers la nature. Face aux dérives des sociétés humaines, l'animal géant personnifie la réponse de la nature. Un réponse ravageuse et violente, qui s'attaque presque exclusivement à l'environnement symbolique de toute civilisation humaine, la ville, et souvent même à son élément moderne le plus spécifique, le building. C'est littéralement le combat entre la nature et la culture. Les causes provoquant l'origine et la soudaine croissance de ces créatures évoluent avec le temps, reflétant généralement les menaces d'une époque particulière : explosions nucléaires, pollutions chimiques ou encore manipulations génétiques. Et pour accentuer sa monstruosité, la bête appartient souvent aux classes d'animaux les plus détestés de l'homme, de l'araignée au serpent, en passant par l'insecte ou la pieuvre. Tarantula (1955) nous raconte l'histoire d'une tarentule aspergée par erreur d'un produit chimique provoquant sa soudaine croissance. Dans Des Monstres attaquent la ville (1954), ce sont d'innocentes fourmis qui deviennent des monstres terribles après avoir été exposées à des radiations nucléaires. La créature de The Host (2006) résulte de son exposition à un agent chimique répandu dans la rivière. Il arrive aussi parfois que la créature existe déjà sous sa forme géante, et se trouve être réveillée de son sommeil centenaire par les activités humaines polluantes. L'idée d'une sorte d'esprit vengeur protégeant la nature prend dans ce cas un sens encore plus littéral, les hommes provoquant d'une certaine manière la colère de leur environnement, qui répond en envoyant un monstre géant. C'est notamment le cas dans Le monstre des temps perdus (1953), des essais nucléaires réveillant une créature préhistorique. Et c'est sur cette idée que s'est construit et développé un genre tout entier, à savoir le Kaïju Eiga, le  film de monstres japonais.

    

Le Kaïju Eiga

Inspiré justement par des films comme Le monstre des temps perdus, le Kaïju Eiga apparait en 1954 , avec certainement le plus célèbre des lézards géants, Godzilla. Reprenant à peu de choses près la même histoire que le film américain (un essai nucléaire réveille le monstre), Godzilla devient le fer de lance de toute un genre qui se développe rapidement, principalement sous l'égide de deux studios japonais, la Toho et la Daiei. Le succès de ce genre de films au pays du soleil levant peut s'expliquer principalement, surtout à ses débuts, par les traumatismes résultants des attaques nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki. Le Japon, seul pays dont le sol fut victime de la bombe A, devient dès lors le pays des monstres. Outre Godzilla, on peut aussi parler de Mothra, le papillon de nuit géant ou Gamera, la tortue amie des enfants. Les Kaïju Eiga se démarquent aussi par leurs effets spéciaux. Là ou les américains privilégient le stop-motion, souvent réalisé à l'époque par le grand Ray Harryhausen, les japonais font incarner leurs monstres par des hommes en costumes, piétinant des décors en carton pâte. En poussant l'analyse plus loin, on pourrait se demander alors si le monstre japonais, au delà d'une symbolisation de la nature, n'est pas aussi celle de l'homme se punissant lui-même de ses méfaits ? Ces montres mythiques, d'abord présentés comme des menaces pour l'humanité, deviennent au fil du temps de plus en plus sympathiques, comme des sortes de protecteurs, combattant d'autres monstres géants. On verra par exemple Godzilla combattre King Kong dans King Kong vs Godzilla (1962).

King Kong

King Kong, justement, dispose d'un statut particulier au sein de cette ménagerie. Il fut l'un des tous premiers films du genre, marquant durablement la culture populaire. Réalisé en 1933 (puis remaké en 1976 et 2005), le film ne met pas en scène des manipulations ou des accidents scientifiques comme le feront la plupart des films d'animaux géants par la suite. Et pour cause, le film date d'avant la seconde guerre mondiale, qui marque un tournant dans la culture populaire et dans l'idée que l'homme a maintenant atteint un niveau technologique lui permettant de se détruire lui-même. Dans King Kong, c'est en quelque sorte la crise économique de l'époque qui transparait. L'ère industrielle et le capitaliste à outrance ont provoqué la ruine des États-Unis. Et c'est ce même capitalisme à outrance qui arrache Kong de son île natale, afin de le transformer en une attraction de foire et d'en tirer un profit. Kong se libère alors et se déchaîne, incarnant à merveille cette lutte de la nature contre la culture, s'attaquant à son symbole le plus visible, l'Empire State Building. King Kong, c'est la part animale de la société qui se soulève contre sa dérive matérialiste, c'est la nature sauvage, mystérieuse, incomprise de l'homme, reléguée symboliquement à l'autre bout du monde. Skrull Island, un monde où l'évolution s'est arrêtée, où les dinosaures vivent encore. Le dinosaure, encore une autre figure du monstre géant.

 

LES DINOSAURES

Les dinosaure au cinéma peuvent généralement se classer à part du reste des autres montres géants, et en particulier de ceux des animaux, dans le sens ou ils n'ont finalement rien d'impossible ou de science-fictionnel. Bien sûr, un T-Rex traversant une ville américaine en croquant ses habitants est forcément une situation fantaisiste, mais le T-Rex, lui, ne l'est pas. Le dinosaure au cinéma est certes un monstre géant pour l'homme, mais il n'est à l'échelle de la nature qu'une créature comme une autre. Généralement, le film de dinosaure prend souvent la forme d'un film d'aventures. Les personnages partent à la recherche d'un endroit mythique, caché, mystérieux, et tombent nez-à-nez avec ces créatures, faisant alors un bond de milliers d'années dans le passé. C'est bien ce que l'on voit dans les nombreuses adaptations du roman Le monde perdu (1925, 1960), dans la première partie de King Kong (1933, 2005) ou encore dans Le monde perdu : Jurassic Park (1997). Le dinosaure est finalement dans ces films une sorte de fossile vivant, une créature certes dangereuse et mortelle, mais qui doit être à tout pris protégée du monde extérieur, aussi bien pour son salut que pour celui de l'homme. Là ou les autres créatures géantes évoluent dans des environnements qui ne leur sont pas adaptés, détruisant des villes en quelques pas, le dinosaure, dans ces films, vit dans son habitat naturel. C'est l'homme qui n'est pas à sa place. Et la menace de la créature géante le lui rappelle suffisamment bien. On retrouve quelques fois cette idée dans des films ne mettant pas forcément en scène les dinosaures, notamment le serpent géant de Anaconda (1997). A contrario, un film comme Jurassic Park (1993) ne se limite pas uniquement à cette caractéristique.


Jurassic Park

Avec la saga Jurassic Park, et notamment le tout premier film, on se retrouve en fait devant une œuvre faisant réellement la synthèse entre les préoccupations mises en place dans les films d'animaux géants, et celles que l'on retrouve dans ceux des dinosaures. Car les dinosaures de Jurassic Park sont aussi bien le résultat des errements de la science humaine que des animaux évoluant dans leur environnement naturel. Ce sont des créatures créées à la fois dans un but aussi bien commercial que scientifique. Dans Jurassic Park, l'homme cherche à dompter la nature, à faire renaître des animaux disparus. Mais c'est une bombe à retardement. Les créatures se libèrent, reprennent le pouvoir, et "la vie trouve son chemin". Le dinosaure, au début du film, n'est pas à sa place dans ce monde moderne. L'espèce réelle a disparu depuis des millions d'années, et il est une créature anachronique, de fabrication humaine. Mais quand il se libère, les rôles s'inversent, et c'est l'homme qui se retrouve soudainement hors contexte. Là ou la nature rentre en conflit direct avec le civilisation à travers l'animal géant, la figure du dinosaure est plus souvent utilisée comme un symbole de l'incompréhension, l'ignorance de l'homme envers cette même nature. Mais ils existent parfois des montres géants qui n'ont que peu de rapport avec l'idée de la nature terrestre car ils viennent d'ailleurs, au delà des limites de notre planète.

 

LES CREATURES EXTRATERRESTRES

L'extraterrestre géant se démarque clairement des autres monstres géants précédemment cités dans le sens où celui-ci n'est pas une symbolisation de la nature terrestre. Ce n'est pas un animal, ni une expérience humaine. Il provient d'ailleurs. Mais ça ne veut pas pour autant dire qu'il ne signifie rien. Généralement, la confrontation avec un étranger, un alien, qu'il soit ou non géant d'ailleurs, est aussi un moyen de se tendre un miroir à soi-même. À travers la différence, on se regarde aussi. Et un grand nombre de films mettant en scène des monstres extraterrestres géants sont traversés par cette symbolique. Les extraterrestres géants de Starship Troopers (1997) ne sont que des machines à charcuter du troufion, mettant en exergue l'antimilitarisme du film qui dénonce la vanité et le mensonge perpétré autour de cette guerre meurtrière opposant humains et arachnides. Les créatures servent aussi de catalyseur au racisme ambiant qui semble planer dans cette société quasi-totalitaire décrite par Verhoeven. L'arachnide, parce que sa forme est plus ou moins celle d'un insecte géant, est considéré comme un être inférieur, un parasite que l'on écrase. Il n'a pas le droit d'être assimilé à un être vivant doué de conscience, et tout le racisme, toute l'intolérance présente chez les humains est contrôlée et canalisée pour être dirigée contre ces insectes, parce qu'ils sont les coupables idéaux. On retrouve ce même rejet de la différence dans l'extraterrestre géant de Super 8 (2011). Parce qu'il ne nous ressemble pas, parce qu'on ne le comprend pas, on peut se permettre de l'étudier, de l'exploiter, niant sa condition d'être vivant. Et forcément, lorsqu'il se libère, il ne peut qu'être en colère, et devient alors le monstre que l'on a poussé à devenir, le monstre que l'on voyait en lui mais qui n'y était probablement pas. Dans Cloverfield (2008), ce n'est pas tant l'origine du monstre, ou les raisons de sa présence qui importent. Le monstre est ici une menace aux motivations inconnues, qui frappe aveuglément, à la manière d'un attaque terroriste. Cloverfield est l'allégorie parfaite du 11 septembre appliquée au film de monstres. Ce qui importe avant tout, c'est la survie de ses personnages, des monsieur et madame tout le monde, pris dans une situation qui leur échappe. Le monstre extraterrestre est ici une sorte de terroriste. On retrouve, d'une certaine manière, un peu de cette idée dans Pacific Rim (2013).


Pacific Rim

Dans le film de del Toro, les monstres géants sont appelés les Kaïju, mais mis à part certaines inspirations formelles, ils n'ont que peu de choses à voir avec les Godzilla et autre Mothra. Ce n'est pas forcément leur origine extraterrestre (ou extra-dimensionnelle plutôt) qui différencie les Kaïju de del Toro des montres japonais, Godzilla ayant déjà combattu des aliens géants. C'est en fait la nature même des créatures de Pacific Rim qui les éloignent du Kaïju classique. Au Japon, le monstre géant provient le plus souvent d'un accident humain, d'une pollution quelconque. (Attention spoiler dans ce paragraphe !) Dans Pacific Rim, les Kaïju  sont des armes, clonées à la chaîne, conçues de manière ultra précise pour en faire de véritables machines à tuer. Ce sont les créations d'une race alien voulant envahir la Terre. En ce sens, ils ne sont pas si différents que cela des Jaegers, les robots géants construits par les humains pour les vaincre, n'étant finalement que leur pendant organique. Peut-être est-ce aussi là l'un des défauts du film, ne se résumant finalement qu'à une opposition technologique entre deux ennemis. Les monstres y perdent ainsi une grande partie de leur côté allégorique, de leur signification sous-textuelle. À l'opposé, il existe d'autres monstres géants cultivant depuis des centaines, voire des milliers d'années, cet aspect allégorique, bien avant que le cinéma ne s'en empare.

 

  LES CREATURES MYTHOLOGIQUES

Ces montres géants, ce sont les créatures mythologiques qui sont, d'une certaine manière, les premières créatures géantes de l'histoire de l'humanité. Qu'elles soient d'origines grecque, scandinave ou orientale, le cinéma s'est mis à les utiliser très rapidement, notamment à travers les nombreuses adaptations faites des histoires de héros mythologiques tel que Persée, Jason ou Ulysse. Des années 50 aux années 70, l'époque des péplums, on voit se multiplier à l'écran un grande nombre de ces créatures gigantesques, pour la plupart créées par Ray Harryhausen. Le cyclope, par exemple, apparait plusieurs fois durant cette période, notamment dans Le 7ème voyage de Sinbad (1958). On peut aussi parler du Minotaure (Sinbad et l'œil du tigre, 1977) ou encore de Talos, cette statue géante que l'on retrouve dans Jason et les Argonautes (1963). Il y a aussi le Kraken, immense montre des mers, tiré du folklore scandinave (Le choc des Titans, 1981, 2010 - Pirates des Caraïbes : le secret du coffre maudit, 2006). En passant de la mythologie orale et écrite au cinéma, ces créatures ont conservé leur signification symbolique, à savoir, au delà même de sa nature de monstre, un obstacle que le héros doit franchir pour atteindre son but. Car le monstre de la mythologie n'existe généralement que parce qu'un héros se présente en face de lui. Vaincre le monstre, c'est vaincre sa peur, grandir, évoluer et devenir digne des Dieux. Même dans un film comme Pirates des Caraïbes, le Kraken incarne cette symbolique, puisque Jack Sparrow surmonte ses défauts au moment où il décide de se jeter dans la gueule du monstre, se sacrifiant d'une certaine manière. Mais ils existent aussi d'autres créatures mythologiques dont la fonction n'est pas uniquement d'être une épreuve dans la quête du héros. Certaines, de par leur caractère universel, peuvent représenter bien plus que cela. C'est notamment le cas du dragon.

Le Dragon

Le dragon, suivant son origine géographique, peut être la symbolique de plusieurs choses. En Occident, il reste, comme décrit précédemment, un obstacle pour le héros. Il est une créature violente et dangereuse, associée au feu et à la terre. Le dragon est littéralement un monstre. On peut voir cette aspect démoniaque dans Le règne du feu (2002). Les dragons de ce film se rapprochent même, dans l'idée, des créatures des Kaïji Eiga, dans le sens où se sont des monstres ancestraux, réveillés par les activités polluantes de l'homme. Dans la trilogie Le Hobbit (2012), le dragon Smaug incarne aussi cette force destructrice à laquelle on lui ajoute une autre caractéristique mythologique, celle du gardien (rappelant ici encore l'idée d'obstacle à franchir, d'épreuve). A l'inverse, en Orient, même si le dragon reste une force de la nature dangereuse, il symbolise surtout la sagesse et le pouvoir. Des films comme L'Histoire sans fin (1984) privilégie cet aspect de la créature. Le dragon est ici l'ami du héros, son compagnon. Le dragon au centre du film Cœur de Dragon (1996) s'inspire aussi de cette symbolique. Il est une créature sage, altruiste, qui se sacrifie pour sauver un enfant. Les dragons ne sont monstres dans ce film qu'aux yeux des humains.

 

LES AUTRES

Il arrive souvent que toute catégorisation ne soit pas parfaite, et qu'elle laisse toujours certains nombres d'éléments sur le carreau. C'est le cas de certains monstres géants ici présents, difficile à classer de par leur caractère atypique. Lorsque l'on parle de monstres, cela revient généralement à parler de l'autre, de l'étranger, de celui qui est différent de l'homme. Mais parfois, l'homme lui-même devient monstre géant. C'est le cas notamment dans L'Attaque de la femme de 50 pieds (1958), qui met en scène une femme devenant géante et prenant sa revanche sur les hommes l'ayant délaissée par le passé. Une analogie, certes kitsch, au féminisme, où le montre n'est pas forcément celui que l'on croit. Et que dire de Hulk (2003, 2008), là aussi un humain devenant monstre, une sorte de figure symbolique de la colère et de la part sombre de l'homme, une version moderne du Dr Jeckyll et Mr Hyde.

En sortant aussi des sentiers battus, on peut trouver ça et là dans l'histoire du cinéma des monstres géants bizarres et improbables. L'exemple le plus évident en la matière pourrait être par exemple le Bibendum Chamallow, présent dans S.O.S Fantômes.

 

Finalement, loin d'être un genre mineur, le film de monstres géants est intrinsèquement lié à l'histoire du cinéma. Il accompagne aussi bien les évolutions sociales que les évolutions techniques du septième art, et des gens comme Ray Harryhausen sont passés à la postérité grâce à leurs monstres. Sous ses airs simplistes de créature destructrice et parfois stupide, le monstre géant incarne un être symbolique, la personnification d'une idée, d'un message ou d'un miroir tendu vers nous-mêmes. Le monstre géant ne meurt pas, il ne mourra jamais.

 

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.