Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre – 5 preuves qu’Alain Chabat a tout compris

Antoine Desrues | 11 février 2023
Antoine Desrues | 11 février 2023

Pourquoi Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre reste la meilleure version filmique de la BD ? Retour en 5 points sur le génie comique d’Alain Chabat.

Comme l’a reflété notre classement des films Astérix en prises de vues réelles, la qualité des adaptations de notre ami le Gaulois au cinéma a rarement rendu hommage aux classiques de la BD d'Uderzo et Goscinny. L’exemple récent et catastrophique d’Astérix & Obélix : L’Empire du Milieu a confirmé ce douloureux état de fait, alors même que la saga est devenue avec le temps l’une des plus imposantes (et chères) du cinéma français.

Cela étant dit, il y a bien un film qui, à l’époque de sa sortie, a mis tout le monde d’accord (ou presque) : Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre. Au-delà d’avoir été le plus gros succès au box-office de 2002 avec plus de 14 millions d’entrées (dépassant des poids lourds comme L’Attaque des Clones, Les Deux Tours ou Harry Potter 2), la vision d’Alain Chabat, portée par Christian Clavier et Gérard Depardieu, s’est imposée en objet culte et générationnel, au même titre que les précédentes propositions des Nuls, comme La Cité de la peur.

L’occasion était trop belle pour ne pas revenir en détails sur les raisons de cette réussite, qui dépassent largement quelques répliques inoubliables. A tous ceux qui pensent qu’une comédie mérite juste qu’on “débranche son cerveau” : non, du vrai et bon cinéma populaire nécessite de l’exigence en matière de fabrication. Et c’est ce que Chabat a compris.

A lire également : notre classement des meilleurs albums d’Astérix

 

 

1. Une mise en scène ample de live-action...

 

Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre : photoJamel d'Arabie

 

Si le producteur Claude Berri a eu la brillante idée de voir en Alain Chabat un enfant spirituel à l’esprit d’Uderzo et Goscinny, on lui doit aussi l’ambition démesurée de Mission Cléopâtre. C’est bien simple : Chabat admet qu’il avait au départ évincé cet album, au vu du coût conséquent qu’un tel projet allait demander.

Résultat, c’est Berri qui a insisté pour adapter cette BD, qu’il estimait “la plus cinématographique”. De ce postulat qui assume ses inspirations du côté du péplum hollywoodien, son réalisateur ne pouvait pas se contenter d’illustrer ses dialogues avec de plats champs-contrechamps (on ne vise personne). Mission Cléopâtre possède un véritable souffle aventureux et épique, en accord avec la construction de l’imposant palais de la reine, qui a demandé un nombre conséquent de figurants.

Il suffit d’ailleurs de se pencher sur le désert qui doit accueillir la construction pour s’en rendre compte. Chabat, en fin connaisseur de ses classiques, pioche chez David Lean pour mieux encapsuler la petitesse de ses comédiens, et même renforcer l’effet comique de leur pantomime dans des plans fixes (surtout dès que Jamel Debbouze est dans les parages). Le contraste est efficace, et épaule par la scénographie l’humour du film, comme lors de ce plan où Obélix ramasse un insecte, avant qu’un travelling ne révèle à l’arrière-plan l’immensité du chantier.

 

2. …mais une énergie de cartoon

 

Astérix et Obélix : mission Cléopâtre : Photo Gérard Depardieu, Christian Clavier, Jamel Debbouze, Claude RichLe domaine du dieu Chabat

 

Pour autant, Mission Cléopâtre est peut-être le seul film de la saga qui n’oublie pas ses origines. Au contraire même, Chabat fuit toute notion de réalisme que présupposerait le live-action pour une cinégénie fantasque, qui puise à loisir dans la BD et le dessin animé. On le voyait déjà dans certains raccords et effets improbables de La Cité de la peur.

Les Nuls ont toujours utilisé les outils du découpage et du montage pour créer un monde de l’absurde, où chaque coupe peut chambouler l’espace et le temps. Au-delà de la séquence clippesque sur I Feel Good (une perle de trouvailles visuelles), il convient de noter la gestion hilarante que le cinéaste fait du hors-champ.

Qu’il nous fasse entendre Obélix engloutir une immense part de gâteau, qu’il montre Amonbofis se relever d’un grand écart par un plan taille, ou qu’il fasse disparaître Cartapus d’un simple regard, l’inventivité de Mission Cléopâtre mixe à merveille ses dialogues avec du pur comique burlesque, ce que beaucoup de comédies tendent à oublier. Chabat cherche tellement cette porosité entre la bande-dessinée et le cinéma qu’il s’offre une séquence d’animation dans l’obscurité d'une pyramide, où les yeux de ses personnages servent de métonymie à leur tentative d’évasion.

 

3. Un bel esprit de troupe

 

Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre : photo, Edouard Baer, Jamel DebbouzeUne image que vous pouvez entendre

 

Si on peut reprocher à Mission Cléopâtre un effet néfaste involontaire, c’est que tous les Astérix suivants ont cru bon d'implémenter une quantité affolante de comédiens et d’humoristes. En l’état, l’idée est hautement logique, au vu du nombre conséquent de personnages secondaires loufoques et rapidement croqués dans les BD. Le problème, c’est qu’à partir d’Astérix aux jeux olympiques, cette avalanche de caméos inutiles n’a servi qu’à gonfler de clins d’œil lourdauds des récits qui n’en avaient clairement pas besoin.

A l’inverse, la prouesse de Chabat en tant que chef d’orchestre est d’exploiter au mieux l’univers respectif des talents qu’il invite dans le monde d’Astérix. Bien sûr, la surexcitation et les fautes de français de Jamel Debbouze en sont l’exemple le plus flagrant, mais comment ne pas revenir sur le talent d’improvisation d’Edouard Baer, et son sens de la logorrhée qui donnent avec le monologue d’Otis l’une des scènes les plus cultes du film ?

C’est aussi là que cet Astérix devient un parfait objet de son époque, car il concentre avant tout le fameux “esprit Canal+”, avec son côté sale gosse et sa modernité libérée de troupe de théâtre géante. La démarche a beau avoir déplu à Albert Uderzo, qui n’y voyait plus vraiment l’essence de la BD, Chabat a confirmé qu’il fallait trahir pour mieux adapter. La preuve, tout le monde essaie depuis de courir après cette même énergie, sans accepter que l’esprit Canal+ est désormais mort et enterré.

 

4. Les anachronix

 

Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre : photoC'est fantastix

 

Astérix, c’est aussi le plaisir de ses anachronismes, de ses jeux de mots, et autres références modernes amenées avec joie dans le monde des Gaulois. Sur ce point, peu sont les adaptations qui ont su jouer avec ce contraste de façon organique. Mais Alain Chabat y parvient grâce à son tempo comique, et ses jeux de montage évoqués plus tôt, où une blague peut s'accaparer le rythme en un claquement de doigts (l’arrêt d’une scène d’action pour un documentaire sur la langouste).

Cependant, le réalisateur évite le piège au name-dropping facile et de la punchline pour la punchline. A l’inverse, il est fascinant à chaque revisionnage de voir comment il prépare et place habilement certaines vannes, à l’instar du casque de Caius Céplus, dont la forme évoque au spectateur celui de Dark Vador, bien avant que le film ne s’amuse d’une référence à Star Wars.

Pour rester sur le personnage de Dieudonné, le fait de le caractériser par son oubli systématique des noms est une trouvaille inestimable, qui permet au film d’accumuler les jeux de mots (MacolmX, THX, Avosrangsfixes...). On sent l’équipe créative de Mission Cléopâtre fourmiller d’idées, tout en esquivant un effet bourratif.

 

5. Un film qui n’est jamais une suite de sketches

 

Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre : photoQuand tu vois les autres films Astérix couler

 

Quand on voit Astérix aux jeux olympiques ou L’Empire du Milieu, leur accumulation indigeste de saynètes mal agencées s’impose comme le clou ultime dans leur cercueil. Là où Chabat se démarque, c’est qu’il reprend intelligemment les carcans inhérents à la formule Astérix, tout en les cassant quand il le faut.

Certes, la structure solide du récit concentre son arc narratif principal autour de Numérobis plutôt que sur les Gaulois, mais le réalisateur fait justement de ses icônes immuables des passagers actifs de la narration, qui réagissent à des actions qu’ils pourraient de toute façon régler en deux coups de potion magique.

Mais surtout, Mission Cléopâtre sublime ses blagues et ses situations par leurs rappels réguliers, de sorte à rendre les chutes encore plus efficaces. Exemple parfait : les pirates, qui ne font pas qu’une apparition rapide histoire de rendre hommage à la BD. Chabat leur donne trois scènes parfaitement réparties dans le récit, pour un crescendo absurde particulièrement savoureux (la reprise du Radeau de la Méduse, quel génie !). Voilà comment on réfléchit une comédie quand on respecte un tant soit peu son public.

Tout savoir sur Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre

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commentaires
Celestin
11/02/2023 à 21:11

"pas content, pas content, pas content" de l'adaptation de Canet.
"Souquez les artimuses ! "
Chabat le meilleurs et mention spécial pour le caméo de ZZTop !

Dick Laurent
11/02/2023 à 16:17

"Souffle aventureux et épique...." Ce qu'il faut pas entendre.... C'était a l'époque le plus gros budget de l'histoire, comme le Canet aujourd'hui, mais on ne le dit pas... Mission Cléopâtre c'est plutôt une auto-celebration de l'esprit canal/nuls (en fait pompage en règle du SNL et des ZAZ) qui était omniprésent a l'époque. Dieu merci tout ça c'est fini. Et Goscinny peut reposer en paix, personne n'a pu l'adapter, pas plus Chabat que Astier ou les autres.

S.V.K 2
11/02/2023 à 15:37

Pas mal, surtout si on le regarde avec une petite potion magique format cigarette (!!!). Mais le gros point négatif c'est l'absence du lion de Cléopâtre!!!

Pseudo1
11/02/2023 à 14:53

Attention pour le "génie" du radeau de la méduse, c'était déjà présent dans la BD
(mais le génie de Chabat est en effet de l'avoir inclus, et en prime de clôturer l'arc des naufrages de pirates en beauté avec lui)