True Detective : hypothèses, théories et révélations

Simon Riaux | 13 mars 2014
Simon Riaux | 13 mars 2014

True Detective aura provoqué nombre d'analyses délirantes, les spectateurs les plus acharnés se perdant en théories et en suppositions. Qui est le Yellow King ? Que signifient les nombreux messages symboliques disséminés dans les épisodes ? D'où vient le Culte délirant que pourchassent les héros ? Pourquoi Marty n'a-t-il des relations sexuelles qu'avec des femmes extrêmement désirables, en dépit de sa calvitie naissante ? Beaucoup de questions, auxquelles nous tentons ici d'apporter quelques réponses.

 

ATTENTIONS SPOILERS 

 

 

 

Qui était le Yellow King ?

 

Il est le personnage mystérieux qu'évoquent à plusieurs reprises des témoins ou victimes. C'est également la figure tutélaire du culte païen porté sur les sacrifices et viols d'enfants que Rust traque. On pourrait également dire qu'Errol Childress est le Yellow King, mais c'est un peu plus compliqué que cela. En effet, comme l'a révélé le costume designer Jenny Eagan, ce souverain maléfique est une entité divine, représentée par un totem macabre que l'on aperçoit dans les ruines de Carcosa (voir illustration ci-dessus). Il s'agit donc probablement de la divinité à laquelle les membres du culte sacrifient leurs victimes, ou en l'honneur de laquelle ils se livrent à des actes pour le moins répréhensibles.

Pour autant, si nos deux héros pensent traquer le Yellow King, c'est parce que le meurtrier Errol Childress s'y identifie. Parti en roue libre depuis que le Culte à proprement parler s'est dissout, l'homme cherche à la fois la reconnaissance de ses actes et l'accession à un rang supérieur, à une grâce particulière. On peut comprendre son énigmatique réplique « My ascension removes me the disc in the loop » ainsi : prisonnier comme tous les humains du cercle des réincarnations, Errol veut s'élever au rang du divin, quitter la vie mortelle et son cercle (autre figure essentielle de la série). Il entend à sa manière devenir un Yellow King.

 

 

 

Quel est le lien entre True Detective et le livre Le Roi de Jaune vêtu ?

 

Ils sont de plusieurs natures. Nic Pizzolatto s'est clairement inspiré de ce recueil de nouvelles de Robert W. Chambers publié en 1895. Pour la petite histoire, l'ouvrage est une date dans l'histoire du fantastique moderne, il influença notamment Lovecraft dans son Mythe de Cthulhu et plus encore dans sa conception de la poésie fantastique (La Malédiction de Sarnath).

Le livre se compose de plusieurs récits macabres, certains évoquant une pièce fictive intitulée Le Roi de jaune vêtu, qui aurait pour propriété de rendre fous ses lecteurs, notamment durant son deuxième acte. Outre la mention de ce Yellow King, l'idée de lecteurs (donc d'enquêteurs, de décrypteurs) condamnés à la folie par l'exploration d'une œuvre fait clairement écho au parcours de Rust et Marty. Notons également que le Yellow King y est décrit tel qu'il apparaît dans la série :

« Les Chansons qu'aux Hyades un jour on chantera

Là où flottent en bruissant les guenilles du Roi

Doivent mourir sans bruit

Dans Carcosa »

 

Le texte évoque à plusieurs reprises Carcosa, nom donné dans True Detective à l'enclave du culte meurtrier et au temple d'Errol Childress.

 

 

 

 

Qu'est-ce que Carcosa ?

 

Il s'agit originellement d'une cité fictive inventée par Ambrose Bierce, écrivain américain, qui apparaît dans la nouvelle Un Habitant de Carcosa. Ce nom lui aurait été inspiré par l'étymologie latine de Carcassone, Carcaso.

Dans True Detective, Carcosa est un fort en ruine où se réunissait un culte de notables pour honorer le Yellow King (et accessoirement violer puis tuer des enfants). Errol Childress a continué d'entretenir le lieu pour le consacrer à sa propre vision dévoyée de cette mystique païenne. Le lieu existe vraiment, il s'agit d'un fort abandonné de Louisiane, appelé Fort Macomb.

 

 

 

 

Les costumes sont-ils porteurs d'un message caché ?

 

Le costume designer Jenny Eagan a beau affirmer que non, il explique également que lui et Pizzolatto ont laissé quelques indices ici et là. Ainsi, le motif de l'étoile, ou encore la glauquissime serviette My little poney portée par Reggie Ledoux n'auraient pas d'autre vocation que de renforcer l'ambiance du show. On peut en douter. Par contre, la couleur jaune est, elle, utilisée à dessein. Peut-être aurez-vous remarqué que le révérend Tuttle porte une cravate jaune... Voilà une référence au Yellow King tout à fait indiscutable, qui aura même poussé certains internautes à chercher du sens dans les choix de cravates de tous les personnages. Le jaune symbolisant traditionnellement au théâtre la richesse et la traîtrise, ce choix semble parfaitement adapté à l'un des individus les plus sombres de True Detective.

 

 

 

 

Quel est véritablement le rôle de la famille Tuttle ?

 

Il est difficile de démêler les faits des sous-entendus, ce que nous savons de ce que nous soupçonnons. Le révérend Tuttle a fait partie du culte du Roi Jaune, il en conservait photographies et vidéos dans son coffre. Son cousin sénateur l'a au minimum couvert et a peut-être lui aussi participé aux agapes. Tous deux ont œuvré afin que les meurtres d'Errol Childress ne soient pas révélés au grand jour. Ce dernier en sait trop sur eux et leurs proches pour qu'on le laisse se faire appréhender. Sam Tuttle, patriarche, père du révérend et oncle du sénateur semble être le grand père d'Errol Childress, qu'il aurait violé ainsi que sa demie-sœur, en dépit des dénégations télévisées du dernier épisode. 

Nous savons également que le révérend Tuttle a couvert au moins une affaire d'abus sexuel dans les écoles que gérait sa congrégation. Le coupable faisait-il partie du culte ? Était-il partie prenante dans ce crime ? Nous l'ignorons.

 

 

 

 

Qui a passé le mystérieux coup de fil au prisonnier qui se suicide après avoir évoqué le Yellow King ?

 

Il y a fort à parier qu'il s'agisse d'un membre de la famille Tuttle, ou d'un factotum envoyé par l'officier Childress (père d'Errol), voire Childress lui-même. Il a pu menacer les proches du prisonnier, ou pour peu qu'il ait fait partie de près ou de loin du culte du Yellow King, faire appel à ses convictions.

 

 

 

 

Quel est le lien entre Reggie Ledoux, son complice et le Yellow King ?

 

Il est difficile de savoir avec exactitude quelle était l'implication de Reggie dans la vie du culte. Plusieurs indices nous éclairent néanmoins sur son rapport avec l'organisation. Il est à priori le seul des anciens pratiquants à avoir mené une vie de criminel « classique » (fabricant de meth en l'occurrence), en dépit de son charisme il n'est qu'un vulgaire délinquant marginal, qui n'a pu s'empêcher de se répandre en prison sur ses agissements au sein du groupe mystique. Sa vantardise est typique de l'homme de main tenté de réécrire l'histoire à son avantage et de s'attribuer un plus grand rôle que celui qu'il a tenu en réalité.

Sans doute marqué par ce qu'il a accompli, vu et découvert en théorie comme en acte, il continue de molester des enfants, planqué dans le bayou. Mais l'absence de rites autour de ces pratiques et le mépris avec lequel Errol évoque sa disparition dans l'épisode final indiquent bien qu'il n'a jamais été qu'un des satellites du Culte. Peut-être était-il une sorte de geôlier, à moins qu'il n'ait été chargé de « préparer » les enfants aux supplices qui les attendait.

 

 

 

 

D'où viennent les cicatrices d'Errol Childress ?

 

Nous l'ignorons. Toutefois, deux possibilités s'offrent à nous. Soit il s'agit de ce que lui a fait subir le Culte dans sa jeunesse, puisqu'il évoque des rites pratiqués sur sa personne dans le dernier épisode, soit d'un banal accident. Cette seconde hypothèse n'ayant aucun intérêt, focalisons-nous sur l'idée d'une mutilation intentionnelle. Le créateur de True Detective étant un homme lettré, il y a fort à parier qu'il connaisse L'Homme qui rit de Victor Hugo, que d'autres auteurs (notamment James Ellroy ces dernières années) ont popularisé outre-Atlantique. À la manière de Gwynplaine, Errol a pu être mutilé à cause de ses origines.

S'il est effectivement le fils illégitime du patriarche Tuttle, on a pu le mutiler pour dissimuler une ressemblance avec le reste de la lignée, ou tout simplement chercher à le déshonorer. 

 

 

 

 

Pourquoi les symboles du cercle et de la spirale reviennent-ils sans cesse ?

 

Ils font sens à plusieurs niveaux. Comme indiqué dans l'excellent article de Slate consacré à la série, un cercle, c'est aussi le contour d'un gouffre, gouffre dans lequel les héros de True Detective choisissent de plonger. Pas besoin d'être diplômé d'Histoire de l'art pour saisir le rapport entre la plongée ténébreuse des héros et la figure de l'abîme, ou celle de la spirale.

La spirale est aussi un symbole souvent utilisé dans l'occultisme. Une de ses significations les plus pertinentes ici serait celle du Soleil Noir, qui représente l'élévation de l'âme du monde matériel à une dimension éthérée et supérieure (soit exactement ce que recherche Errol).

On peut également rappeler la conception du temps selon Philip K. Dick, qui aimait à y voir une structure proche d'un oignon, plutôt qu'une structure linéaire. Ainsi, chaque point de la ligne temporelle serait en contact étroit avec plusieurs autres et leur correspondrait directement. Voilà qui expliquerait les allers-retours temporels, les correspondances fines mais essentielles entre les époques, lieux et rebondissements de l'enquête.

 

 

 

Que signifient les masques ?

 

Ils sont de différentes natures tout au long de la série. Il y a évidemment les masques d'animaux portés par les membres du Culte, leur rôle est esthétique autant que pratique (pour sauvegarder l'anonymat des participants). Ils nous indiquent aussi les origines de la Secte ne sont pas tant vaudou que païennes, voire Celtes. On pourrait en effet les rapprocher des célébrations de Samhain (Dieu des morts Celte, souvent représenté cornu et accompagné de divinités animales), comme nous l'indique la couronne de cornes qui orne le premier cadavre que découvrent Cohle et Marty.

On demande plusieurs fois durant cette première saison à Cohle de « retirer son masque », il est encore une fois question du Roi de jaune vêtu, ici directement cité :

 

« CAMILLA : Vous devriez, monsieur, vous démasquer.

STRANGER : Vraiment ?

CASSILDA : Vraiment, il est temps. Nous avons tous ôté nos déguisements, sauf vous.

STRANGER : Je ne porte pas de masque.

CAMILLA (terrifiée) : Pas de masque ? Pas de masque ! »

 

Cohle est effectivement un étranger, seul personnage à ne pas être originaire de la Louisiane, mais du Texas, il est toujours perçu comme un élément exogène. De plus, son passé d'infiltré amène ses proches à douter de sa sincérité ou de ses intentions. Enfin, les policiers qui l'interrogent le considèrent clairement comme un homme qui avance masqué et dissimule son agenda. In fine, c'est cette absence de masque qui lui permettra de progresser jusqu'à la vérité, faisant s'écrouler un édifice de mensonges bâtit depuis des décennies.

 

 

 

 

Que représente la dernière hallucination de Rust ? Quel est ce maelström ?

 

Les fans d'Alan Moore et de son impérial From Hell auront probablement reconnu cette vision, on ne pourra les blâmer de voir ici un hommage très bien senti, absolument cohérent. Cette représentation des forces en présence doit être reliée à la symbolique du cercle, dont elle est voisine, qui habite Rust depuis le début de l'enquête (voir le deuxième épisode, où un vol d'oiseau se mue en spirale).

C'est aussi le moment pivot de la série, son véritable twist. Lorsque dans la dernière séquence Cohle explique à Marty que d'après lui, la lumière gagne du terrain sur les ténèbres, c'est car au cœur de Carcosa, au plus profond des ténèbres, il les a vus s'affronter. C'est basiquement ce qu'est ce maelström : une lutte aux allures de tempête, la source inextinguible d'une luminescence qui n'existe pas sans l'horreur la plus noire, mais y puise son origine et s'en extrait.

 

 

 

Que nous réserve la saison 2 ?

 

Il est beaucoup trop tôt pour le dire. Il y aura des femmes. Pour imposer du changement bien évidemment, mais aussi prémunir HBO, les auteurs et le show contre les accusations de machisme pathétiques que certains affutent déjà. On sait également qu'il sera question du service de transports américain. Un concept très vague, mais qui pourrait se révéler un indice d'importance.

En effet, si la série continue de nous proposer des enquêtes autour de meurtres en série, le service des transports routiers jouera logiquement un rôle particulier puisqu'il a permis à certains serial killers de dissimuler leurs agissements pendant des années. Les banques de données policières n'ayant été fédéralisées entre états qu'assez récemment, des assassins tels que Wiliiam Bonin purent proliférer quasiment en toute impunité. 

Peut-être est-ce là la piste que HBO compte creuser et qui pourrait s'avérer passionnante. 

 

 

 

 

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commentaires
Pseudo
13/07/2017 à 03:31

Wtf ?