High Desert : critique de Patricia, reine du désert sur Apple TV+

Nicolas Cinq | 3 juin 2023
Nicolas Cinq | 3 juin 2023

Alors que ses séries sont désormais disponibles en France sur Canal+Apple TV+ continue de s'installer aussi discrètement que sûrement dans le paysage. Après l'excellente série Severance, la Pomme accueille à nouveau Patricia Arquette et Ben Stiller (ici simplement producteur exécutif) avec High Desert. Créée par Nancy FichmanKatie Ford et Jennifer Hoppe, et entièrement réalisée par Jay Roach (derrière les Austin Powers), la série se voudrait être la vitrine d'une comédie gonzo à la gloire de la contre-culture américaine... mais se perd en cours de route. Récit d'une petite déception.

patricia, la femme qui était là

Après la très bonne mini-série Escape at Dannemora et SeveranceHigh Desert offre à nouveau à Patricia Arquette une superbe vitrine pour faire exploser son talent, cette fois à l’opposé de la rigidité fascisante de son rôle d'Harmony Cobel. Elle incarne Peggy Newman, une femme toxicomane sur le chemin d’une rédemption accidentée. Suite au décès de sa mère (Bernadette Peters) avec qui elle vivait à Yucca Valley, une petite ville perdue dans le désert californien, elle décide de changer de vie. Cette expérience traumatique va ainsi la mener sur le chemin de Bruce Harvey, un détective privé de seconde zone qui accepte malgré lui de prendre sous son aile cette élève turbulente et dissipée.

Avec son style bohème et ses aviateurs vissés sur le nez, l'actrice excelle dans un rôle comique qui semble avoir été taillé sur mesure pour elle. C’est bien simple, elle est de toutes les scènes et imprime chaque plan de la série, qui lui semble entièrement dédiée. Dans un registre doux-amer, elle donne tout le corps comique à cette âme en déroute, qui navigue dans le chaos qu’elle semble elle-même provoquer par son aura libre et destructrice. La comédienne démontre une aisance dans la comédie qui sied à merveille à la maturité de sa carrière, et lui offre la chance de briller dans un style où elle a trop rarement pu évoluer.

 

High Desert : Photo Brad Garrett, Patricia ArquetteLe deuxième soleil californien

 

Dans sa course folle au milieu du désert, l’actrice est secondée par une distribution qui n’est pas en reste. En tête, on retrouve une autre gueule culte des années 90 (et 80) avec Matt Dillon, et l’association des deux artistes est tellement évidente qu’on se demande pourquoi elle n’arrive que maintenant. L’acteur de Rusty James incarne le mari repris de justice de Peggy et se révèle parfait en perdant magnifique, romantique invétéré adepte des coups fourrés.

Les deux comédiens se complètent superbement, l’énergie de Patricia Arquette étant parfaitement équilibrée par le charme calme d’un Dillon qui surnage comme un poisson dans l’eau trop rare du désert. Brad Garrett, en détective paumé et au bout du rouleau, et Bernadette Peters, en figure maternelle égarée, sont absolument rayonnants, mais leur trop faible présence à l'écran met en lumière l’une des plus grosses tares de la série.

 

High Desert : Photo Patricia ArquetteTrue Highway

 

dans le désert, personne ne se souvient de toi

Même si les seconds rôles apportent un humour savoureux aux nombreuses joutes verbales avec l'héroïne, l’écriture poussive et le charisme mal géré des interprètes révèle vite les limites de High Desert. La série semble tellement entièrement dédiée à son actrice principale que cette dernière finit par prendre une place beaucoup trop grande, et empêche quiconque de véritablement exister autrement que comme faire-valoir. Les seconds rôles deviennent alors les dommages collatéraux de la performance de Patricia Arquette.

Leur écriture délibérément ridicule vient alourdir le trait d’une série qui se veut pourtant légère voire régressive, mais qui oublie ses personnages et son intrigue. Du détective complètement paumé de Brad Garett à l’homme enfant d’Eric Petersen, en passant par la femme-objet de Susan Park (impériale au demeurant, rappelant son rôle hébété dans la saison 1 de Fargo) et le gourou de l’excellent Rupert Friend : chaque trait de chaque rôle secondaire est tellement forcé qu’il devient presque impossible de s’investir dans la série à mesure qu’elle progresse, très lentement de surcroit.

 

High Desert : Photo Matt DillonPatricia à tout prix

 

Ces personnages laissés sur le bas-côté d’une route perdue au milieu du désert mettent en lumière la paresse d’une écriture destinée à mettre en valeur son interprète principale, dont le talent n’a pourtant absolument pas besoin d’un tel artifice. Pire encore : alors que le scénario voudrait être du côté des laissés pour compte, il laisse place à une forme de cruauté, et manque totalement de provoquer l’empathie pour ces âmes égarées.

Et les personnages ne sont pas les seules victimes de ce trop-plein de Patricia Arquette. Forcément, si l’écriture n’est pas à la hauteur, l’intrigue pâtit également de ce manque de direction.

 

High Desert : Photo Bernadette PetersLA Woman

 

où est le corps ?

En effet, High Desert a été présentée comme une série autant de comédie que d’enquête. Avec son cadre désertique et ses promesses de criminalité déjantée, la série aurait pu marcher dans les pas de Weeds ou de la plus récente (et excellente) Poker Face. Malheureusement, elle suit tellement la route encombrée de son personnage principal qu’elle oublie d’ouvrir les tiroirs d’une enquête qui prend inexorablement la poussière à mesure que les épisodes défilent.

Jay Roach, le réalisateur des huit épisodes, parvient pourtant à imposer un rythme lors du sympathique plan séquence qui ouvre la série, et promet un déferlement euphorique de personnages et de séquences loufoques. Mais la réalisation s’essouffle encore plus rapidement que l’intrigue et, dépassé cette scène d’ouverture entraînante en diable, patine autant que son enquêtrice. À force d’égarements et d'histoires secondaires bien peu exaltantes, la série achève de se perdre. Et lorsque la résolution de l’intrigue principale arrive, on a déjà oublié pourquoi elle avait commencé.

 

High Desert : Photo Matt Dillon, Patricia ArquetteA la recherche d'une enquête

 

C’est d’autant plus dommage que High Desert aurait véritablement pu proposer un néo-noir comique et jubilatoire, quelque part entre Shane Black et les frères Coen, mâtiné d’une bizarrerie lynchienne. Au final, le voyage est tout sauf déplaisant, mais la frustration de voir l’énergie de Patricia Arquette (et du reste du casting) se perdre en cours de route, et le manque de direction claire, ne permettent pas de véritablement emporter l’adhésion. High Desert ressemble ainsi à une occasion manquée.

Un nouvel épisode de High Desert est diffusé tous les mercredis sur Apple TV+ et Canal + depuis le 17 mai 2023

 

High Desert : Affiche officielle

Résumé

Même si elle tient la route et que Patricia Arquette est impériale, High Desert manque le coche et ne parvient pas à livrer la comédie noire et tendre qu'elle aurait pu être.

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Lecteurs

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commentaires
Voigtlander
06/06/2023 à 09:53

C'est marrant cette envie de mettre de grosses étiquettes... Donc Apple c’est la panacée, le successeur de HBO, et tout le reste des plateformes SVOD ou des chaînes TV c'est de la merde.
Comme des éléments de langage marketing repris en chœur par des fans. :) Alors que les contre-exemples sont légion. Chacun fait sa guéguerre de marque alors qu'il y a du bon et du mauvais partout. (Mrs Maisel sur Amazon, Queen's Gambit ou Beef sur Netflix, alors que See ou Morning Show, c'est quand même pas la crème de la crème...)

Par contre, que le niveau général des séries commence à baisser, ça peut se défendre. En tous cas il y a moins de constance dans une même saison. Rings of Power n'a pas de problème d'argent, de visuels, ou même de mise en scène, c'est avant tout écrit n'importe comment (par des gens qui en plus avouent débuter...).

Et Silo, pour continuer sur cet exemple récent... prometteur sur ses 2 ou 3 premiers épisodes, qui présentent le concept et l’environnement, tout en nous proposant des enjeux et du drame. Depuis c'est le calme plat, le développement au ralenti d'une enquête inintéressante au possible. La différence de qualité entre le début et les derniers épisodes est assez dingue. Comme s'il fallait juste appâter le chaland, et on déroule derrière en mode auto (et ce malgré la présence de Rebecca Ferguson, dommage pour elle).

Kelso
04/06/2023 à 17:12

@Altaïr Demantia

Dire que SILO est un emballage sans contenu et donc que tu n'aime pas l'adaptation alors que tu as lu les livres c'est vraiment n'importe quoi si tu veux mon avis. J'ai lu les trois romans SILO et la série est vraiment une adaptation très fidèle et malgré que je connais l'histoire et les futurs rebondissement je suis épaté par la qualité de la série dont j'attend chaque semaine impatiemment la suite. Presque tout est réussi dans cette série, que ce soit les décors, l'ambiance, le rythme et bien sur le casting impeccable, d'après moi une des meilleure série de cette année. Et franchement en ce moment c'est chez Apple qu'on doit aller si on veut voir une série de qualité, d'ailleurs High désert est très bien aussi, toujours un plaisir de revoir Matt Dillon. Quand je vois le triste niveau des séries sur Netflix actuellement, bien content de trouver un peu de qualité chez Apple.

Altaïr Demantia
04/06/2023 à 13:29

@I phone
Oui, exactement ça. Toutes ces séries que tu cites à part Severance que je n'ai pas vu et sur laquelle je n'ai pas d'avis, mais Foundation et Silo dont j'ai lu les livres avant d'en voir les adaptations sont des emballages sans contenu. Et, alors que le matériel d'origine est riche, les séries semblent n'en rien comprendre.

Et ce qui vaut pour Apple vaut pour Amazon qui a exactement le même problème. Dans les deux cas, on a des plateformes qui n'ont aucun rapport avec le cinéma mais qui tentent de prendre des parts de marché dans la SVOD. La raison est que ce sont des écosystèmes fermés qui veulent garder captifs leurs clients. Chez Apple c'est une mentalité depuis toujours mais chez Amazon le ciné et la série c'est juste un domaine en plus de tout le reste. En effet, on n'a pas envie que son client qui consomme déjà un max chez soi, aille voir ailleurs pour un service qu'on ne propose pas.

Du coup, ils mettent beaucoup d'argent en produisant des séries à marques fortes comme Foundation, Silo ou Le seigneur des anneaux, mais ne savent rien en faire. Ils créent du contenu hors de prix sans valeur artistique.

C'est pour ça que leur Fondation n'a à peu près rien à voir avec les bouquins d'Asimov, que Le Seigneur des anneaux est à la limite de la blague, et que Silo c'est Rebecca Ferguson qui se balade dans un escalier gris sale depuis 6 épisodes entrecoupé de flasback tous plus soporifiques les uns que les autres.

Apple et Amazon ne connaissent rien au cinéma, c'est flagrant. Ce sont des Capitalistes qui pensent qu'un tas de billets va se transformer, après incantation, en art. Le résultat c'est juste une certaine ambition visuelle qui s'avère au final limitée, ce sont des noms d'acteurs et de réalisateurs connus, et rien d'autre.

Je regrette le temps où les séries étaient moins nombreuses, où HBO était encore une chaîne du câble qui faisait du contenu soigné pour un public adulte et ou AMC suivait la même tendance.

Depuis l'arrivée de Netflix, depuis que Disney a commencé à produire tout en série sous la forme du blockbuster et à faire des séries des moyens de garder le client dans des univers étendus frelatés, depuis le Covid et cette opportunité pour les plateformes d'avoir tout d'un coup une manne de milliard des connexions, la production ciné / sérielle est devenue un nivellement permanent vers le bas où la quantité a remplacé la qualité.

Donc oui, plus de séries, plus d'adaptations à coup de millions de dollars - ces plateformes ont les moyens - mais plus de précarité chez les scénaristes et tous les techniciens, et plus de poudre au yeux en mettant en avant quelques vedettes au générique histoire d'appater le chaland.

Dans ce système la qualité d'une série n'a pas d'intérêt puisque le projet final d'une série est d'être remplacé par une autre aussitôt après. C'est la raison pour laquelle la plupart des séries actuelles font moins de 10 épisodes.

Quand on fait de la merde, il est important d'en varier les saveurs le plus rapidement possible pour que le consommateurs n'ai pas l'impression que ça en est.

Spidy
04/06/2023 à 12:38

Les productions Apple sont de loin les plus qualitatives de toutes les plateformes de streaming.

I phone
04/06/2023 à 11:17

Des coquilles vides ??
Severance
Foundation
Silo
Bravo à Apple de sortir des séries comme celles ci.

Altaïr Demantia
03/06/2023 à 19:46

J'ai beau aimé Patricia Arquette, j'ai arrêté au second épisode. Ça ne va nulle part, ou vaguement, sur des chemins déjà empruntés et connus de la comédie. Malgré tout le talent de l'actrice principal son personnage n'a rien d'original.

"High Desert ressemble ainsi à une occasion manquée." Comme la plupart des séries produites par Apple. Des coquilles vides.

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