Désordres : critique du Sex and the sad city de Foresti sur Canal+

Ange Beuque | 25 octobre 2022
Ange Beuque | 25 octobre 2022

Révélée sur le plateau de Laurent Ruquier, consacrée par ses sketchs puis son spectacle Mother Fucker en 2009, Florence Foresti passe derrière la caméra pour la série Désordres, qu'elle écrit et interprète sur Canal+ avec la participation d'Audrey Lamy, Béatrice Facquer, Clément Bresson et Luc Antoni dans le rôle de... La Mort. Son sujet : Florence Foresti, en proie au célibat, aux plugs récalcitrants, aux parodies de Sex and the City et à la dépression.

Nombril party

Avec Désordres, Florence Foresti s’engouffre dans la veine de l’autofiction anglo-saxonne des Larry David, Ricky Gervais (mentionné dans la série) et bien sûr Louis C.K., dont le fameux Louie avait pour principal défaut d'occulter son versant pervers. Côté français, La meilleure version de moi-même de Blanche Gardin faisait le choix d'un point de départ décalé à base de problèmes intestinaux et d'une injonction à se sevrer d'auto-dérision (avec la participation de son compagnon à la ville... Louis C.K.). Entre 2011 et 2019, Judor parlait également d'Eric dans la comédie méta-uchronique Platane.

Rien de tout cela ici, tant l'existence du personnage principal pourrait être trait pour trait celle de son alter ego. C'est un corollaire du genre de brouiller les repères entre fiction et réalité : outre l'usage de son vrai nom, elle a déjà occupé l'appartement dans son passé, la femme de ménage travaille vraiment pour elle, le chien est "le neveu du sien"... mais les péripéties sont imaginaires.

 

Désordres : Florence Foresti, Renan PachecoVous auriez des protections hygiéniques contre la morosité, s'il vous plaît ?

 

Ce dispositif lui permet de cultiver cette authenticité, et de surfer sur la proximité qu'elle a su tisser en tant qu'humoriste aux sujets proches des préoccupations de ses fans. Une familiarité dont la rançon est d'ailleurs largement traitée : non, on ne demande pas un selfie à quelqu'un qui est au téléphone ! La superposition avec son existence lui épargne également le piège de la composition forcée, ce qui peut être aussi perçu comme une forme d'humilité.

Reste qu'en se prenant pour sujet, Foresti s'expose à la suspicion nombriliste. Désordres se devait donc de contrebalancer son centre de gravité mégalo par un regard acéré, des thèmes novateurs et une aspiration à l'universel pour toucher au-delà de son cercle d'aficionados.

 

Désordres : Florence ForestiHollyboo

 

On a tout platiné

Célibat, drague laborieuse, connexion internet défaillante... la plupart des thèmes abordés par le prisme de l'humour ne subjugueront ni les amateurs de sitcom ni ceux de stand-up. Certaines ficelles sont même tellement élimées qu'on frôle le dévissage (l'accent anglais approximatif...). Au moins, Foresti évacue-t-elle son enfant au bout de deux minutes dans le premier épisode, afin de s'épargner la redite d'un sujet qu'elle a largement poncé.

Les fans se sentiront en terrain connu. Mais si rien n'apparaît foncièrement déplaisant, les gags ne sont pas suffisamment incisifs et traités trop mécaniquement pour s'extraire du déjà-vu. Même le tempo comique, sans être honteux, n'atteint jamais les sommets espérés.

 

Désordres : Florence Foresti, Clément BressonOrdres, désordres, contre-ordres

 

Que Foresti en ait fait un axe méta, en mettant en scène sa peur du ressassement et ses difficultés à trouver de nouvelles vannes, ne peut camoufler quelques réserves sur sa capacité à se réinventer. De même qu'il ne suffit pas de nommer la série Désordres pour commuer comme par magie quelques articulations brouillonnes en anarchie féconde.

Surnagent toutefois quelques vraies bonnes séquences, structurées autour de moments de malaise bien tenus dont un "dernier verre" qui tourne à la ventriloquie canine. La concurrence vacharde d'Audrey Lamy fonctionne parfaitement, et si on saura gré à Foresti de ne pas avoir transformé sa série en guest house de pastilles stériles, on aurait aimé quelques interactions supplémentaires.

 

Désordres : Florence Foresti, Laetitia VerckenSex and the Fores(i)ti

 

D'autant qu'elle met également en scène son groupe d'amies dans un parallèle assumé avec Sex and the city, dont la relecture franchouillarde d'un dialogue à base de coconut fait mouche. Certes, une bande de femmes qui jure, désacralise la maternité et parle de cul sans complexe n'a plus rien de très transgressif, même avec un pénis masculin en full frontal.

On regrettera toutefois qu'elles ne soient pas davantage exploitées : leur énergie chorale offre un combustible auquel l'humoriste ne peut recourir sur scène, et dont elle aurait pu tirer profit pour renouveler sa grammaire comique. De plus, Foresti a déjà abondamment traité de la féminité, notamment dans son spectacle Madame, et elle aurait pu tirer de cette sororité un nuancier de portraits. La scène inspirée de Ce que pensent les femmes au cours de yoga laisse imaginer qu'il y avait un sujet.

 

Désordres : Florence ForestiFlorence Foresti partie. En dépression.

 

Foresti and (hello darkness my old) friend

Puis, d'épisode en épisode, l'axe principal de Désordres se renforce : la dépression. Un sujet on ne peut plus personnel, Florence Foresti ayant profité de la promotion pour évoquer celle dont elle souffre depuis de nombreuses années : "J’apporte mon caillou à l’édifice. La dépression doit être traitée comme une vraie maladie". Une démarche d'autant plus courageuse que le regard des autres, trop souvent culpabilisateur, est évidemment exacerbé à l'endroit d'une star cumulant succès, argent et humour présumé à toute épreuve.

Trouvant un bel équilibre entre pudeur et dévoilement, c'est quand elle délaisse la bouffonnerie pour représenter sans fard son état latent et ses difficultés à accepter le passage du temps que la série dégage une identité. Sa réalisation tente de s'ouvrir à coups de plans débullés et de cadres étouffants, même si c'est dans le dépouillement d'un visage défait scruté au naturel qu'elle est la plus percutante. La fin du sixième épisode émeut notamment par la tendre simplicité de son dispositif.

 

Désordres : Florence ForestiUn peu de douceur dans ce monde sans but

 

Cette vulnérabilité renforce certains axes, par exemple son complexe d'infériorité vis-à-vis de ses pairs : les mères aux préceptes d'éducation dogmatiques, la yogi qui en plus d'être jeune et jolie se révèle aussi indécemment sympathique qu'une naturopathe shootée aux huiles essentielles de Tea tree bio... Elle pointe également avec une certaine justesse l'ambivalence derrière l'attachement revendiqué aux photos non retouchées, dans un monde de la représentation si prompt à accoler une date de péremption professionnelle aux femmes.

L'héroïne est épaulée par une allégorie personnifiée en laquelle on pourra lire l'angoisse, la dépression, la peur de vieillir, et qu'elle ne se gêne pas pour désigner comme "La Mort" elle-même. Foresti gère plutôt finement cette astuce hallucinatoire en misant sur des dialogues parfois décalés et en rendant leur relation presque touchante. Au point qu'on en vient à regretter qu'elle n'ait pas osé une inflexion plus radicale, quitte à renoncer à ce rire trop souvent inoffensif au profit d'une franche mélancolie.

Désordres est disponible en intégralité sur Canal + depuis le 24 octobre 2022

 

Désordres : Affiche, Florence Foresti

Résumé

Selon que vous serez puissant ou misérable, la dépression vous affectera de la même façon : en s'utilisant comme véhicule pour parler sans fard de cette maladie, Florence Foresti livre avec Désordres une autofiction touchante, dont on regrettera qu'elle n'ait pas embrassé plus frontalement encore son sujet au détriment de gags convenus.

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commentaires
The Poulpix
26/10/2022 à 20:38

Un "truc" français avec une comédienne qui n'en est pas une..
Il faut arreter de soutenir ce genre d'artiste arriviste sinon on va se les taper encore 20 ans de plus!

RGTHB
26/10/2022 à 14:28

Mouais, une série avec quelques bonnes idées, mais jamais exploitées jusqu'au bout. Fade et souvent lent, la série n'aura pu que me soutirer quelques trop rares sourires. Peut être mes exigences étaient trop hautes ?

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