The Essex Serpent : critique qui se mord la queue sur Apple TV+

Axelle Vacher | 13 mai 2022 - MAJ : 13/05/2022 20:38
Axelle Vacher | 13 mai 2022 - MAJ : 13/05/2022 20:38

Adapté du roman éponyme de Sarah Perry, la nouvelle série Apple TV+The Essex Serpentplonge le spectateur dans les contrées brumeuses de l’Essex victorien à la recherche d’un serpent légendaire, supposément revenu hanter les eaux du comté quelque 300 ans après son courroux meurtrier. Réalisée par Clio Barnard (Le Géant égoïste) et écrite par Anna Symon (Indian Summer), la romance sur toile de fond mythique se veut le théâtre d’un échange entre le rationnel et la croyance religieuse, le raisonnement scientifique et la peur de l’inconnu. Attention, possibles spoilers !

Apple défendu

Nouvellement libérée des carcans infernaux d’un mariage abusif, Cora Seaborne (Claire Danes) décide de se réapproprier son existence et, si tôt que les rumeurs d’une mystérieuse créature marine lui parviennent, s’en va en Essex investiguer la nature exacte du reptile accompagnée de son fils et de sa domestique Martha (Hayley Squires). Sur place, la jeune férue de paléontologie découvre avec un émerveillement largement mis en exergue par l’esthétique apothéotique dont profite la série, la beauté mélancolique et pittoresque du village d’Alwinter, où elle rencontre le vicaire William Ransome (Tom Hiddleston) et sa femme, Stella (Clémence Poésy). 

Une rencontre bouleversante pour cet homme de foi, dont le brusque désir contraste amplement avec ses morales religieuses. Mais que le pauvre bougre ne se jette point la pierre, la jeune femme suscitant manifestement une attraction à laquelle personne ne semble en mesure de réchapper. De l’aimable Martha au vicaire, en passant par le chirurgien prodige Luke Garett (Frank Dillane),  l’entourage de Cora semble ainsi, sans aucune raison particulière, pris au piège de son charme décidément inexorable. 

 

The Essex Serpent : Photo Claire DanesLibérée, délivrée

 

Les relations interpersonnelles que partage chacun des personnages semblent donc être le véritable moteur de The Essex Serpent, laquelle, en dépit d’un rythme pour le moins efficace, manque finalement d’une intrigue assez solide pour supporter le récit. Simultanément mystère gothique, drame socio-réaliste, testament pseudo-féministe, et mélodrame, The Essex Serpent peine à établir une identité qui lui soit propre. Bien trop de trames narratives sont ainsi engagées puis laissées à l’abandon sans autre considération que celle de ne pas faire d'ombre au dépliage pourtant mal assuré d'une alchimie bancale entre le duo de tête.

Le spectateur éprouvera donc sans nul doute quelques difficultés à saisir les tenants et aboutissants de l'irrépressible désir que ressentent, sans trop de préambules, les personnages l'un pour l'autre. Acteurs d'une tension organique fabriquée de toute pièce par leurs interprètes respectifs (solides, mais sans saveurs) et sans réel appui scénaristique, Will et Cora développent ainsi l'un pour l'autre une attirance physique peinant à investir son audience, ou encore soulever le moindre enjeu.

 

The Essex Serpent : Photo Tom HiddlestonVicarius erotica

 

Science, baby !

En toile de fond de cette romance malhabile, The Essex Serpent se répond non sans mal d’un conflit opposant la foi religieuse qu’incarne Will, à la rationalité que figure Cora. Une dichotomie qui se retrouve dans un premier temps au travers des personnages, mais également dans le montage parallèle qu’emploie la série, laquelle dépeint une dualité aussi bien narrative que visuelle, et multiplie les retours en arrière, bonds en avant, et autres simultanéités temporelles entre Londres et Alwinter.

Le différend idéologique entre les deux personnages principaux nourrira toutefois moins un débat qu’un échange. Alors que Cora essaie de comprendre la nature exacte du serpent, et se plait à imaginer qu’il pourrait s'agir d'un "fossile vivant" qui aurait échappé à l’évolution, le pasteur préfère le considérer comme une manifestation des angoisses relatives aux inévitables changements de l’époque. Des vues radicalement distinctes qui les pousseront toutefois à chercher à  apprendre l'un de l'autre.

 

The Essex Serpent : Photo Tom Hiddleston, Claire DanesDiscourir du sens de la vie au petit matin

 

Si Cora et Will parviennent assez rapidement à s'entendre, l'arrivée de cette dernière dans la petite bourgade d'Alwinter sous-tend toutefois un désaccord profond et irréconciliable entre le personnage et les moeurs du village. Tandis que Will essaie tant bien que mal de contenir l’anxiété grandissante de ses paroissiens, le personnage de Claire Danes essaie d’ouvrir leurs esprits étriqués à d’autres considérations, en proposant de dispenser son savoir scientifique à l’école du village.

Cette dernière sera toutefois rattrapée par le poids de superstitions inépuisables, si ancrées dans l’inconscient collectif qu’elles en investissent les corps et provoquent une brusque frénésie générale. Le discernement embruiné par un fanatisme religieux et un conservatisme aveugle, les villageois d'Alwinter refusent alors d'entendre raison, persuadés que le serpent mythique est revenu dans le comté pour mieux se repaître de leurs pêchés.

 

The Essex Serpent : Photo Clémence PoésyPlus doux que ce personnage, tu meurs

 

Hiss-térie

Cédant à la paranoïa, les habitants d’Alwinter se saisissent de bois, torches, et filets afin de construire barrages et barricades, comme autant de manifestations physiques de leurs réticences intérieures à considérer la bête (et par extension, l'inconnu) comme autre chose qu’une incarnation du démon. L'hystérie atteint son paroxysme dès lors qu'un cadavre de plus est découvert à proximité du marais. Une fièvre affolée sévit tandis que le dispositif cinématographique de Clio Barnard figure par un montage et une mise en scène convulsive les affres d'une névrose de masse, brièvement apaisée par l'écoulement de sang d'un bouc sacrificiel.

Simultanément créature marine, châtiment divin, et entité omniprésente, la bête terrifie les enfants, investit les bancs de l’église, et semble rôder dangereusement sous la surface des eaux embrumées de l'Essex. Pourtant, le serpent semble moins se répondre d’une physicalité abstraite que d’un symbole, d’une vaste métaphore modélisant en une seule et même image tout ce que la vie a d’inévitable : le regret, le chagrin, le deuil, et la crainte.

 

The Essex Serpent : Photo Tom Hiddleston"Exile-toi à la campagne, qu'ils disaient. Ce sera reposant, qu'ils disaient."

 

Miroir sur lequel les personnages projettent leurs propres blessures, le serpent se fait le reflet d’une condition humaine insaisissable, et sous-tend au passage qu’en dépit de la révolution industrielle et des incroyables progrès effectués par l’Homme, ce dernier fait avant tout partie de la nature et demeure à fortiori imparfait. 

Ainsi, par dessous les élans maladroitement romantiques des deux protagonistes, et les diverses sous-intrigues congédiées sans trop de scrupules du récit principal, The Essex Serpent peut être considéré comme une histoire de fantômes. Des fantômes créés de toutes pièces non par manque de foi, ou de savoir, mais par les peurs et les doutes profitant des eaux troubles de l'inconnu pour mieux s'insinuer dans les coeurs et les esprits.

Après un lancement avec deux épisodes ce 13 mai 2022, The Essex Serpent dévoilera un nouvel épisode chaque vendredi sur Apple TV+

 

The Essex Serpent : affiche (2)

Résumé

Portée par une esthétique indéniable et une atmosphère oppressante brillamment rendue, The Essex Serpent peine toutefois à réellement faire décoller son intrigue, laquelle s'efface regrettablement au profit des considérations romantiques incertaines de son duo de tête.

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Lecteurs

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commentaires
Vio
15/06/2022 à 20:56

Effectivement ça part dans tous les sens sans aller nulle part et ils m'ont perdue en route...
Il y a tous les ingrédients mais la sauce ne prend pas, c'est fade avec un scénario très bancale. Entièrement d'accord avec la critique

jplale
03/06/2022 à 11:43

Les 5 premiers épisodes sont passés très bien, les acteurs, la photographie, l'ambiance, certes c'est lent mais c'est l'époque victorienne qui veut ça et ça fait un bien fou cette lenteur de nos jours je trouve.Diane Lane est parfaite ici, elle s'accroche à ses envies, choses rares à l'époque pour une femme, Clemence Poésy est d'une douceur et d'une retenue magistrale.
A voir

Cat24
17/05/2022 à 22:34

Les 2 premiers épisodes sont très bien...de toute façon Tom Hiddleston lirait la notice d'un micro onde que je regarderais...

Kuneru
15/05/2022 à 15:34

soporifique

Big law kid
14/05/2022 à 01:37

Enfin je vais pouvoir me mater cette serie qui m'a tapé dans l'oeil depuis son annonce, principalement pour son casting. Mais je suis sûr que je ne serais pas déçu, les series apple tv étant au pire bonnes, au mieux, de véritables chef d'oeuvre

Maïs soufflé au sucre
13/05/2022 à 20:15

Je pense moi aussi y consacrer quelques heures de visionnage les séries Apple étant visuellement ultra abouti, ce sera au minimum un plaisir pour les yeux, et je suis sûr que l'histoire se laisse suive également. Et puis il y à Loki pour les fans de Marvel, ça c'est sûr que ça va les changer MDR !

Eddie Felson
13/05/2022 à 18:58

Grosse hype pour moi. J’apprécie beaucoup ces 2 acteurs ainsi que cette époque, l’originalité historico-fantastique de l’intrigue et la photographie qui semble des plus réussies. 2/3 soirées tv sympa en perspective… j’espère!

Pi
13/05/2022 à 18:40

Le casting intrigue. L'histoire, moins.
Mais le casting intrigue. Mais l'histoire moins...
Mais le casting. Intrigue.
Y'en a qui ont essayé.
Ils. Ont. Eu. Des. Problèmes.

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