Week-end Family : critique mignonne mais un peu bretonne sur Disney+

Une fois Eric Judor s’est couché à 00h10

Longtemps, Eric Judor était dans l’esprit des spectateurs, le membre du duo Eric et Ramzy, célèbre pour leurs spectacles burlesques, mais aussi leur prestation dans la cultissime série H. Pourtant, une nette transition s’est opérée au milieu des années 2000 lorsque le duo a commencé à abandonner les surproductions de mauvaises qualités commme Double Zéro ou Les Dalton, pour se consacrer à des projets plus ambitieux d’un point de vue comique et mise en scène.

Un virage à 180 degrés que les fans du duo ont pu constater dans Steak de Quentin Dupieux et dans Seuls Two réalisé par Eric et Ramzy eux-mêmes. Cette nouvelle radicalité qui passe de l’humour brut et enfantin des débuts à un humour plus conceptuel et grinçant a longtemps déplu et s’est incarnée par des chiffres désastreux au box-office.

Votre mission si vous l'acceptez Eric est de nous faire rire

Toutefois, c’est dans cette même lignée de travail qu’Eric Judor continuera d’élaborer une méthode comique riche et singulière dans un paysage audiovisuel comique souvent consensuel dans son humour. Les réalisations réussies d’Eric Judor comme la série Platane ou son dernier long-métrage Problemos témoignent d’une remise en question perpétuelle de son auteur allant du comique des mots, de situations, jusqu’à la noble satire.

Dans le cas de Week-end Family, Eric Judor se laisse ici diriger dans une série familiale bien sucrée calibrée pour les petits et les grands. Sur le papier, le cocktail n’est, a priori, pas aussi juteux que celui que l’on vous sert au bar d’à côté. Malgré quelques similitudes avec le personnage récurrent que s’est construit Eric Judor au fur à mesure des années, celui-ci est marqué cette fois-ci par une douceur et une empathie assez inhabituelle. Qu’à cela ne tienne, Judor incarne Fred, chef d’une famille recomposée dans laquelle il est le père de trois filles issues de trois mariages différents. Néanmoins, la venue de sa nouvelle compagne à l’accent québécois : Emmanuelle (Daphnée Côté Hallé) va venir perturber cet équilibre déjà bancal.

"My God !"

À la recherche de l'humour

Le cadre des huit épisodes se déroule chaque fois durant un week-end de garde et de l’appartement de Fred, véritable cocon douillet dont le décor restitue par ses couleurs une gaieté proche des contes de fées. Le principe de la série est d’abord d’exploiter sa matière principale à savoir le regroupement de la nouvelle famille dans cet appartement. Très peu de décors extérieurs, et c’est a priori tant mieux, puisqu’au premier abord la série créée par Baptiste Filleul a pour vocation de mettre en avant la figure d’Eric Judor.

En effet, le clown chauve n’est jamais aussi génial que lorsqu’il est soumis au dépouillement notamment dans Seuls Two, où la ville de Paris est vidée de tous ses habitants. Cette recherche du vide est aussi incarnée dans Problemos, à travers une pandémie venue cloisonner les habitants de la ZAD. Ce dépointage quasi systématique du monde qui l’entoure permettait à Eric Judor d’exprimer pleinement la démesure de son humour tantôt cartoonesque, tantôt sophistiqué et cérébral comme celui d’un Larry David dans Larry et son nombril (la principale inspiration d’Eric Judor pour sa série Platane).

Il faut creuser pour trouver de l'humour

Malheureusement, la série Disney+ emprunte un chemin comique bien loin des talents habituels d’Eric Judor. Ce dernier était parvenu à puiser la saveur comique de nombreuses situations burlesques par sa maladresse, qui perturbait un cadre rationnel. Ceux qui subissaient le verbe si particulier d’Eric Judor étaient surtout ceux qui avaient un temps d’avance sur Eric Judor qui, lui, effectuait un pas de côté comique.

Pour le coup, Week-end Family jongle avec des gags pensés pour Eric Judor et des situations comiques destinées aux enfants de Fred, qui deviennent ainsi à plusieurs moments les maîtres de la mise en scène. Sauf que le rendu de ces gags est assez peu convaincant par des faiblesses d’écriture et à sans doute des curseurs en termes de situations comiques pas assez poussées. C’est très sympa de voir des plats cuisinés avec la mousse d’une lessive, mais en termes de jouissance comique, on aura certainement vu mieux…

"C'est l'histoire d'une blonde qui glisse sur une banane !"

Les gags formatés par les enfants et l’évolution de leur personnalité ne sont donc pas les plus grandes forces de la mini-série tout comme les dialogues souvent très explicatifs mettant peu en lumière les pauvres seconds rôles. Reste encore l’exception Eric Judor, qui est avant tout le principal atout d’une production moyenne sans trop d’épaisseur. Lorsque la narration donne sa confiance au comique français, le gag est mis en valeur par la gaucherie dévastatrice de ce dernier.

Au milieu de la saison, par souci d’être l’objet d’une thèse psychanalytique sur sa paternité, Fred s’empare de l’ordinateur d’Emmanuelle et renverse malencontreusement de l’eau sur l’objet technologique. Tout le burlesque vient bien évidemment de voir cet être malhabile tenter de réparer sa faute, sauf qu’elle est déjà bien entamée et aucune solution n’est à sa disposition. D’autant plus que son incompréhension face à cet objet technologique qui le dépasse participe au sel comique de la séquence.

Le mec, il a dit que j'étais marrant quand même c'est ouf !"

La Tour du comique infernal

À la fin, la première série française produite par Disney+, mais également d'Elephant Production, souffre d’un plus gros problème encore qui vient tout droit de sa mise en scène. Deux réalisateurs se sont relayés à la réalisation des épisodes : Pierre-François Martin-Laval (Gaston Lagaffe, Les Profs) et Sophie Reine (Cigarettes et chocolat chaud). Et ils rendent une proposition visuelle très lisse, trop même. Les très beaux plans larges de la ville de Paris posent un cadre bien calme à la différence de l’anarchie familiale, ce qui pointe très précisément une alchimie contrastée.

Cette dichotomie montre très vite que la mini-série Disney+ ne prendra jamais le risque de choquer le spectateur par une roublardise comique trop poussée ou libidineuse par exemple (comme une bonne partie des gags de Problemos). Un manque de prise de risque qui dessert le cœur même du projet Week-End Family.

"Il est où l'auteur de l'article que je le massacre !"

Elle n’instaure pas comme on pouvait s’y attendre un état des lieux humoristiques des nouvelles familles urbaines recomposées avec à sa tête un Eric Judor dans sa toute-puissance. Seules deux des ex d’Eric Judor incarnées par Jeanne Bournaud et Anabel Lopez composent des personnages dingues, un poil archétypale, mais tout de même plus agréable à voir que les personnages d’enfants, dont les dialogues sont bien trop proches du parler adultes. Même Eric Judor dans La Tour Montparnasse infernale et sa suite La Tour 2 contrôle infernale savait mieux que quiconque retranscrire le phrasé si singulier d’un enfant, fait de répétition, d’hésitation et de variation de voix.

Tout compte fait, on retiendra de tout ça les souvenirs du passé comique d’Eric Judor avec notamment la présence d’Hafid F. Benamar (très juste dans l’appui qu’il apporte à Eric Judor) et Annelise Hesme déjà de l’aventure dans Platane, mais également un clin d’œil bienvenu à La Tour Montparnasse infernale lorsque Fred joue à Action ou Vérité avec toute sa famille à l’épisode 7, doit mimer un laveur de vitres. Et finalement, ce retour si alléchant du génie comique qu’est Eric Judor n’est pas une franche réussite et il faudra sans doute attendre une reprise en main d’un projet avec le casque de scénariste et/ou de réalisateur pour le revoir à son meilleur niveau.

Week-end Family est disponible en intégralité sur Disney+ à partir du 23 février 2022