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Cannes 2025 : on a vu Sirât, un trip choc entre Mad Max et Le Salaire de la peur 

Par Antoine Desrues
19 mai 2025
Cannes 2025 : on a vu Sirât, un trip choc entre Mad Max et Le Salaire de la peur  © Pyramide

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour le Festival de Cannes 2025. Et c’est l’heure de parler de Sirât, notre plus gros choc issu de la compétition, et réalisé par Oliver Laxe.

Parfois, on est ravi de se plonger dans la sélection cannoise sans trop savoir à quoi s’attendre. Pour ce qui est de Sirât, on en savait peu, si ce n’est que le film d’Oliver Laxe (Viendra le feu) prenait place dans le milieu des rave parties au Maroc, tandis qu’un père recherche sa fille disparue au milieu de la foule.

On ne pouvait pas se douter qu’on allait se retrouver face à un road-trip halluciné, qui convoquerait aussi bien Mad Max que Gerry et Le Salaire de la peur. Si les réalisateurs confirmés de la compétition se montrent (jusque-là) enthousiasmants avec leurs nouvelles œuvres, c’est bien pour ce type de découvertes, modernes et proposées par des cinéastes émergents, que l’on adore le Festival.

Easy Raver

De quoi ça parle ? Un père et son fils parviennent à une rave perdue au cœur des montagnes du sud du Maroc. Ils cherchent Mar — fille et sœur — disparue depuis plusieurs mois lors de l’une de ces fêtes sans fin. Plongés dans la musique électronique et une liberté brute qui leur est étrangère, ils distribuent inlassablement sa photo. L’espoir s’amenuise, mais ils s’obstinent et suivent un groupe de ravers vers une dernière fête dans le désert. À mesure qu’ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante, le voyage les confronte à leurs propres limites.

Et ça vaut quoi ? Sur le papier, Sirât peut inquiéter, tant sa démarche semble se limiter à un agrégat de références prestigieuses. Sa manière de filmer le désert marocain comme une apocalypse remplie de véhicules rappelle indéniablement Mad Max. Le danger du décor et de la conduite en son sein convoque Le Salaire de la peur, tandis que la folie progressive qui s’empare des personnages se nourrit de son remake par William Friedkin, Sorcerer.  

Ajoutez un peu de l’errance existentielle du Gerry de Gus Van Sant, et un peu de Jodorowsky pour l’absurdité, et vous avez là un combo qui avait tout pour sembler indigeste. Par miracle, c’est tout l’inverse, sans doute parce qu’Oliver Laxe cherche moins le mix d’influences que les ruptures et les transitions d’une partition à une autre.  

sirat
C’est beau mais c’est loin

Après tout, le sirât du titre est, selon l’Islam, un pont qui relie l’enfer et le paradis, la dernière passerelle entre deux dimensions, la mort avant la mort. Ce purgatoire, cet entre-deux hypnotique, le film l’installe dès sa magistrale séquence d’introduction, où des suites d’enceintes sont posées avant de pulser de la techno.  

Au milieu de la foule dansante, recouverte de poussière et de sueur, il n’y a plus de lendemain, seulement des basses pénétrantes et des percussions violentes. Alors que des projections lumineuses se superposent aux montagnes, on remarque aussi que le grain si caractéristique de l’image semble matérialiser les vibrations de la musique, celles que le corps ressent de manière purement viscérale. 

Mais peut-on vraiment s’abandonner et tout oublier ? Oliver Laxe semble d’abord répondre par l’affirmative en présentant certains de ses personnages, une bande de freaks – majoritairement incarnés par des acteurs non professionnels – dont certains des membres sont estropiés. Alors qu’ils ont laissé une partie de soi derrière eux, Luis (Sergi Lopez) débarque avec son fils Esteban dans cette rave party au milieu de nulle part, à la recherche de sa fille disparue.  

sirat
Pas de nitro, mais de la techno

Dans ce bout du monde hors du temps, il y a encore une connexion au réel et à la famille, qui ne va cesser de rattraper cette mauvaise troupe. Des soldats viennent pour clôturer les festivités, et Luis décide de suivre ses nouveaux copains teufeurs, à la recherche d’une autre soirée où pourrait se trouver sa progéniture.  

A partir de là, on comprend bien que ce point de départ ne sera qu’un prétexte, délaissé au fur et à mesure de cette aventure aux confins du psychédélique et de l’onirisme. Une fois que la voiture de Luis – pas vraiment adaptée à ce genre de voyage – réussit à traverser une rivière comme on passe sur le Styx, Sirât navigue à vue dans un road trip bourré de surprises. Il serait criminel de spoiler les tenants et aboutissants de l’intrigue, mais disons juste qu’on n’avait pas vu une projection presse cannoise réagir de la sorte depuis longtemps.  

A vrai dire, bien qu’il ait été présenté parmi les premiers films de la compétition, le fait que le long-métrage nous reste autant en tête prouve bien qu’il a réussi son coup (surtout lorsqu’on enchaîne 4 à 5 projections par jour). En faisant de ce Maroc hostile et solitaire un vide dans lequel chacun projette ses craintes, Sirât ne peut pas s’empêcher d’être hanté par la mort.

sirat
Nous quand Cannes se termine

Les radios des personnages diffusent des informations autour d’une guerre. Les pays concernés ne sont pas précisés, mais le progrès du conflit laisse sous-entendre l’arrivée d’une Troisième Guerre mondiale. Alors que le monde de la fête ne cherche qu’à fuir l’horreur du réel et la peur de notre autodestruction (guerrière comme écologique), Oliver Laxe réinjecte du macabre à la manière d’un naturel chassé qui revient au galop.  

Cela donne à son étonnante proposition un humour noir souvent malicieux, mais aussi un sens du suspense (trop ?) cruel. Tout s’écroule, mais il reste encore la prégnance du corps, sa sensitivité qu’il faut savoir écouter. Et dans le cas de Sirât et de sa présence dans un Festival aussi jouissif qu’épuisant, il nous a redonné un coup de fouet.  

Et ça sort quand ? Le 3 septembre 2025, grâce à Pyramide.

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Sanchez

Le film qui me fait le plus bander de la sélection pour l’instant