James Gray explique comment le terrible Harvey Weinstein a détruit la carrière de The Immigrant

Geoffrey Crété | 26 mars 2017
Geoffrey Crété | 26 mars 2017

Dans la longue liste des ennemis de Harvey Weinstein : James Gray, avec The Immigrant.

The Immigrant était sur le papier un pari gagné d'avance : Marion Cotillard et Joaquin Phoenix réunis devant la caméra de James Gray, pour raconter l'histoire d'une immigrante Polonaise poussée à la prostitution dans le New York des années 20. Le film, avec également Jeremy Renner, a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2013, présage d'une carrière prestigieuse.

Sauf que le film a été un échec : absent de la saison des Oscars malgré une belle presse, The Immigrant est passé inaperçu à sa sortie, finissant sa carrière avec moins de 6 millions de recettes pour un budget de 16. James Gray le mal-aimé, le maudit ? Peut-être, mais pas que : le cinéaste est revenu sur le rôle de Harvey Weinstein.

 

 

La relation orageuse entre James Gray et le célèbre producteur et distributeur américain remonte à The Yards, son deuxième film sorti en 2000. Présenté lui aussi à Cannes, le thriller avec Joaquin Phoenix, Mark Wahlberg et Charlize Theron a été montré avec une fin imposée par Weinstein. Le cinéaste n'a pas eu le choix : il n'avait pas le final cut. Le film sera un échec en salles, et la vraie fin sera finalement mise sur le DVD.

Depuis, James Gray a acquis une belle notoriété et retenu la leçon. Ou presque puisque Harvey Weinstein a acheté les droits de The Immigrant sans qu'il ne soit au courant et sans qu'il n'ait son mot à dire. En promo pour The Lost City of Z, le réalisateur explique au Telegraph :

"Je pensais que c'était une horrible idée. J'avais complètement raison, mais je ne pouvais rien y faire. Ce n'était pas ma préférence, ce n'était pas mon choix, je ne voulais pas que ça arrive. Je n'ai aucune relation avec Harvey. Donc ce n'est pas comme si j'avais réparé une relation, et que je m'étais encore fait avoir, je ne suis pas un idiot qui lui a fait confiance deux fois !".

 

 

Le réalisateur de La Nuit nous appartient explique ainsi en détails ce qui s'est passé en coulisses avec Harvey Weinstein :

"J'avais le final cut sur The Immigrant. Donc je savais qu'il ne pourrait pas m'obliger à changer quoi que ce soit. Mais il a exercé toute la pression qu'il pouvait, notamment en mettant de côté le film. Donc à ce stade, j'en étais réduit à deux choix :

a) Est-ce que je change le film, quitte à le détruire à mes yeux ? Sa version durait 88 minutes (NDLR : environ 30 minutes de moins que la director's cut), avait une fin style La Mélodie du bonheur avec un dernier plan où Marion et sa soeur marchent sur une montagne à Los Angeles, avec une voix off qui disait 'J'ai réussi, j'ai réussi", avec la musique pompeuse, tout ça. Le public ne sait pas que ce n'est pas votre idée. Vous êtes tenu pour responsable parce que vous êtes le réalisateur, le scénariste. Donc je me suis dit, 'Je ne vais pas être tenu pour responsable de ça'. Ce qui se serait passé, c'est que le film aurait été mal accueilli par la presse de toute manière, donc non seulement il aurait eu de mauvaises critiques, il n'aurait pas marché, et en plus ça n'aurait pas été ma version.

b) Ou, c'est ma version et le film ne sortira jamais. Et peut-être que si je continue ma carrière ça deviendra ce film légendaire que j'ai fait et que personne n'a vu.

 

James Gray sur le tournage de The Immigrant

 

Donc je me suis dit que b) était bien mieux que a). Et Weinstein a pensé que c'était une position totalement terrible, égoïste et tenace de ma part, parce qu'il pensait que la sienne était plus "commerciale". (...)

Quand le film est sorti aux Etats-Unis, Marion a quasiment gagné tous les prix de la critique sans être poussée par Weinstein. Harvey aurait facilement pu lui obtenir une nomination aux Oscars, peut-être même une victoire, s'il avait mis en marche sa machine derrière elle. (...)

Les gens agissent souvent poussés par des pulsions d'auto-destruction. Et Harvey qui enterre le film était un acte d'auto-destruction. (...) Quand on ne fait pas exactement ce qu'il veut, ça ne compte pas que ce soit dans son propre intérêt de protéger le film".

De quoi encore nourrir la terrible légendaire de Harvey Weinstein, surnommé "Harvey aux mains d'argent" pour sa capacité à couper les films, pour le meilleur et pour le pire.

 

 

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commentaires
Geoffrey Crété - Rédaction
24/10/2017 à 08:58

@Juken

"Concrètement" on ne cherche pas d'excuse : on cite les déclarations et mots du réalisateur, qui parle de son film et les coulisses de la sortie. Et c'est un fait : Marion Cotillard a reçu de bonnes critiques pour son interprétation. Que vous n'aimiez ni le film ni elle : c'est un avis. Pas la preuve qu'ils ont besoin "d'excuses".

Nulle part vous ne lirez qu'un Oscar est la preuve indéniable d'un talent immense. C'est bien pour ça qu'on mentionne le pouvoir de Weinstein aux Oscars.

Pour info : cet article a été publié en mars dernier, bien avant le scandale sur Weinstein.

Atréides
27/03/2017 à 23:32

@Kiddo

Je comprends. Et je suis tenté de dire : dans ce monde parfait, les réalisateurs seraient tous des artistes, intègres et nobles ;)

Kiddo
27/03/2017 à 18:36

@Altraides
Et je lirai ce livre a n'en pas douter.
Et c très vrai qd aux qqes films qui ont été rattrapé par un producteur avisé lorsque le réal partait un peu en sucette, on est bien d'accord.. ;)

Kiddo
27/03/2017 à 18:04

@Atreides
Pour le coup je me concentre depuis le début de nos echanges que sur cette façon de produire, uniquement, tu peux l'imaginer.
Et que justement les bons producteurs laissent la latitude nécessaire aux artistes pour défendre leurs visions sinon pourquoi les mettre sur tel ou tel coup si c'est pour leur couper les ailes par la suite..
Ce qui parfois est dc la méthode honteuse de Weinstein et d'autres bien malheureusement..
Bien sur que tout film a besoin d'être produit et on pourrait citer d'excellents producteurs, a commencer par Vincent Maraval en France..
Je parlais de ma naiveté a vouloir un monde parfait ou tous les producteurs du monde entier feraient leurs boulots et laisser les artistes faire le leur, notamment ds le mainsteram.
ce qui arrive once every blue moon.. (hello Logan..)

Dirty Harry
27/03/2017 à 13:08

la biopic sur Weinstein qui sortira un beau jour de 2050 sera bien gratiné...

Atréides
27/03/2017 à 10:46

@Kiddo

Naïf, je ne sais pas, mais peut-être un peu manichéen ?
Je m'explique : on a tendance à vite voir le producteur comme un ennemi, et le réalisateur comme l'artiste à protéger. C'est vrai dans une certaine mesure. Mais le producteur joue aussi un rôle essentiel au-delà du flic : il peut dénicher un réalisateur et le soutenir coûte que coûte (voir quelqu'un comme Christine Vachon : si Todd Haynes existe, c'est en partie grâce à elle, qui l'a soutenu bien avant qu'il soit applaudi et puisse intéresser Cate Blanchett et compagnie), et peut ensuite poser un regard intelligent sur l'oeuvre (donc pas uniquement pour la charcuter afin qu'elle soit commerciale : il est aussi là pour épauler le réalisateur, lui apporter un regard extérieur, l'empêcher de livrer un film d'autiste, lui donner des outils pour concrétiser sa vision, etc).
Il existe des exemples de films qui, en version director's cut, ne sont pas forcément mieux, plus profonds, plus réussis. C'est peut-être une minorité (du moins lorsque c'est su par le public, et pas une histoire en coulisses), ce qui explique l'opposition producteur/commercial vs réalisateur/artiste. Il y a sûrement des exemples de collaborations fructueuses peu connues, où la collaboration est intelligente et ne donne lieu à aucune guerre ou destruction de l'oeuvre.

Donc non, je ne dirais pas "naïf", tout ce que tu dis est sensé, et tout cinéphile pense la même chose, surtout ici ! Tout cinéphile a des exemples de films qu'il adore, et qui n'ont pas eu le sort qu'ils méritent à ses yeux (comme Birth). Reste que le cinéma est aussi un business, à un degré plus ou moins important. Le cinéphile en a conscience aussi, de ça comme de plein de paramètres (les distributeurs, le public... et dans l'histoire, le public joue un rôle essentiel, potentiellement très négatif, comme celui du producteur : il dicte par ses choix et ses tickets de ciné les tendances, les motifs à succès.... Par ce qu'il voit et surtout ne va pas voir)

@Rara

Oui, et malheureusement ce n'est pas nouveau, on en parle depuis des années. Il me semble dans dans le livre Sexe, mensonges et Hollywood de Peter Biskind, le sujet est abordé. Peut-être moins que Weinstein lui-même d'ailleurs (@Kiddo : à lire absolument sur la question, si tu ne l'as pas déjà fait, parce que c'est passionnant niveau coulisses et négociations entre art/business, et c'est de là que je tire l'exemple de Studio 54)

Rara de Ben
27/03/2017 à 02:20

En dehors du fait que les producteurs sans foutent qu'un film soit mauvais s'il est commercial, ce qui est ici important c'est que Gray avoue que si weinstein veut qu'un comédien obtient un Oscar ils mets en marche sa machine et il l'emporte, une peu comme Jean Dujardin et the artiste... Parcontre le gars est tellement puissant qu'il peut te faire fermer les portes en claquant des doigts même si ton film est un chef d'oeuvre par pure égo !!!

Kiddo
27/03/2017 à 02:03

@Atreides
Très juste.
(et oui, le film malheureusement était raté au final..)
Alors p-etre me trouveras tu naîf de croire et d'espérer que seul le réalisateur puisse avoir le droit de vie ou de mort sur son oeuvre.. (en gros) et pas le producteur derrière son combo en interdisant a l'artiste l'entrée de la salle de montage (pratique odieuse bien connue la-bas) pour en dénaturer parfois complètement le contenu juste pour une histoire d'ego mais surtout pour des raisons bassement commerciales.
De plus, comment ne pas reconnaitre lorsque l'on aime autant le cinema que les Weinstein (et je n'en doute pas) qu'ils y aient certains réalisateurs comme Gray, Scorsese et qui sait, p-etre un jour a venir les Paul Thomas Anderson, Jonathan Glazer, Haneke, Audiard, Dumont, Carax, Villeneuve (liste non exhaustive..),qui représentent pourtant les joyaux du cinema contemporain d'aujourd'hui et d'hier et qu"il serait tellement plus productif et malin de les soigner, y faire attention et les laisser accomplir leurs visions en leur donnant les outils nécessaires..
Car ce seront tjrs ces films qui resteront ds nos mémoires, avec le temps.
ceux-la meme qui seront etudiés ds les écoles en question.
Les fils de l'homme m'aura hanté longtemps, très longtemps malgré une promotion inexistante.
Birth et le plan sequence de Kidman a l'opera, le seul qui me restera sur mon lit de mort p-etre..) et sa sortie honteusement confidentiel..
Plus que de dénaturer l'oeuvre en question, ils l'empêchent surtout de rencontrer légitimement son public, celui pour lequel il était destiné au départ (toi, moi, Corleone, Visiteur, Zanta et un le fan base restant..)
Mais oui, je dois être naïf.
Mais a ce niveau la, c un sentiment tellement agréable cette vision parfaite de l'art que tu aimes et le respect qui va avec..

Atréides
27/03/2017 à 00:59

@Kiddo

Cela dit le cas de Grace de Monaco est spécial : c'est la version de Dahan qui a été montrée à Cannes, après qu'il ait lutté contre Weinstein. Et il n'a pas eu besoin de Weinstein pour tuer son oeuvre : sa director's cut est une sombre merde (avis personnel certes mais avis très répandu).
Le film a ensuite été remonté pour devenir un téléfilm de luxe, et le scénariste (qui n'était pas venu à Cannes, tout comme Weinstein) l'a défoncé en direct lors de sa diffusion pour montrer que c'est Dahan, selon lui, qui a bousillé le projet avec ses choix. Donc ce n'est pas un cas classique de "Weinstein détruit et remonte un film"

Il y a des exemples bien plus parlants, comme Studio 54, ce teen movie avec Ryan Philippe qui est ressorti l'année dernière il me semble : Weinstein l'avait édulcoré, retiré l'intrigue gay, retiré 45 minutes, et ça a été un échec qui a quasi enterré la carrière du réal. Alors que sa version, depuis, a été bien mieux accueillie. Gangs of New York aussi a connu de gros soucis en coulisses.

Kiddo
27/03/2017 à 00:45

@Visiteur
Personne ne dit que Weinstein n'a produit ou distribué aucun bons films (Carol est effectivement un magnifique et on pourrait en citer d'autres..)
Mais c'est loin d'être la première fois que le mogul détruit certaines oeuvres (hello Olivier Dahan et son Grace of monaco récemment..) pour des raisons inexcusables lorsque c'est simplement lié a un ego et non pas a l'oeuvre en elle-même, peu importe les dissensions.

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