Les Évadés de l'espace : le Star Wars japonais délirant par le réalisateur de Battle Royale

François Verstraete | 29 janvier 2023 - MAJ : 29/01/2023 17:41
François Verstraete | 29 janvier 2023 - MAJ : 29/01/2023 17:41

Et oui, Star Wars a eu le droit à sa version japonaise avec Les Évadés de l'espace, un film délirant signé Kinji Fukasaku, connu en Occident pour son féroce Battle Royale, et qui a donné la série San Ku Kaï par la suite.

La sortie des Évadés de l’espace sur les écrans nippons en avril 1978 a constitué un petit événement en soi. Cette production estampillée Tōei (l’un des plus gros studios japonais) censée s’engouffrer dans le sillage de Star Wars qui triomphait alors en salles en Occident a été diffusée localement quelques mois avant le mastodonte de George Lucas.

Nanti d’un budget conséquent à l’époque (6 millions de dollars) pour un long-métrage japonais, ce blockbuster dément faisait presque figure d’anomalie à côté des chambaras et autres kaiju eiga, genres phares sur le territoire domestique. Et 45 ans après, le film signé Kinji Fukasaku (connu en France principalement pour Battle Royale) a acquis un statut d’œuvre culte, qui s’est affranchi avec le temps de son image de pâle copie de Star Wars.

 

Les Évadés de l'espace : photo«Soyez les bienvenus dans le Star Wars japonais»

 

Dans une galaxie pas si lointaine...

Car oui, les auteurs des Évadés de l’espace se sont bel et bien inspirés du travail de George Lucas (et ne s’en sont d’ailleurs jamais caché) aussi bien au niveau du scénario qu’en termes de mise en scène. À tel point que le spectateur attentif et admirateur de Star Wars : Episode IV pourra s’offusquer du dispositif déployé par Kinji Fukasaku.

L’histoire se déroule en l’an 5001 et raconte le combat désespéré mené par les habitants de la planète Jillucia contre le terrible empire des Gavanas, dirigé par Rockseia 12. Le chef des Jilluciens implore alors l’aide du dieu Niabé. Ce dernier dispersera huit noix à travers le cosmos afin de trouver autant de champions à même de sauver ses adeptes. A priori, le synopsis n’a rien à voir avec Star Wars. Pourtant, de multiples éléments coïncident (et non fortuitement) avec le space opera de George Lucas.

 

Les Évadés de l'espace : photo, Sonny Chiba, Peggy Lee Brennan, Makoto Sato, Hiroyuki Sanada, Philip CasnoffLes élus de Niabé à bord du Millenium...oups

 

La princesse Leia (dame Esmeralida pardon), les pilotes casse-cou, le droïde C3PO (Beba oups), le sabreur Hans (non il n’a pas de lightsaber), les stormtroopers (non les Gavans, décidément), les combats spatiaux ou la planète reconvertie en forteresse mobile géante font partie des nombreuses occurrences avec Star Wars ; ce qui peut autant amuser qu’agacer.

On notera en revanche que l’assaut de l’Etoile de la Mort (ah encore une erreur, de Jillucia, désolé) a ici peut-être inspiré les scénaristes de Star Wars, puisque son déroulement ressemble à s’y méprendre à celui existant dans Le Retour du Jedi. Ce qui nous amène à penser que l’influence de George Lucas sur Les Évadés de l’espace repose avant tout sur l’art local dont le cinéaste américain s’est servi pour construire son univers.

 

Les Évadés de l'espace : photo, Vic Morrow«Rends toi George, notre film est meilleur»

 

... Persiste l’aura d’Akira Kurosawa

Il faut en effet rappeler que George Lucas a puisé une partie de ses idées chez Akira Kurosawa et plus précisément dans La Forteresse cachée pour donner naissance au premier volet de sa franchise. Il n’est donc pas étonnant que Kinji Fukasaku fasse de même tout en accouchant d’un long-métrage purement japonais qui se démarque ainsi de son statut d’ersatz de Star Wars.

Lorsque l’on s’attarde un peu sur certains ressorts scénaristiques ou sur le traitement des personnages, on s’aperçoit que l’ombre et surtout l’humanisme d’Akira Kurosawa planent sur Les Évadés de l’espace, bien plus encore que sur Star Wars. L’histoire rappelle fortement par moment Les Sept samouraïs tandis que les causes de la prise de conscience des élus de Niabé renvoient aux valeurs prônées chez le réalisateur de Rashômon.

 

Les Évadés de l'espace : photo, Mikio Narita«Aujourd'hui, nous allons regarder Star Wars, prenez des notes»

 

La compassion, l’abnégation, la rédemption sont les qualités nécessaires aux protagonistes pour accomplir leur destinée. D’autant plus qu’aucun d’entre eux n’est doué d’un pouvoir quelconque, d’un talent hors pair. Général retraité, prince héritier banni, pilotes casse-cou sans le sou ou arnaqueur à la petite semelle, les huit héros ne manient pas la Force et ne sont pas ou plus des soldats émérites. Ils tiennent bien plus du commun des mortels ce qui les rend plus vulnérables et surtout plus attachants.

En outre, Kinji Fukasaku souligne la prépondérance du collectif et ne désire jamais se concentrer sur l’un des protagonistes en particulier, ce pour mieux faire ressortir l’importance de la communauté. Par ailleurs, il n’hésite jamais à varier son approche, en mélangeant les genres habilement (chambara, space opera, horreur ou comédie) et rend hommage au passage aux films en costumes traditionnels chers à ses aînés. Mais évidemment, ces multiples références à peine forcées n’empêchent à aucun moment le réalisateur de greffer son regard très personnel, rempli de rage et de violence.

 

Les Évadés de l'espace : photo«Allez R2, non Beba, donne nous ton avis éclairé»

 

Des yakusas au space opera

Avant de tourner Les Évadés de l’espace, Kinji Fukasaku avait fait ses preuves avec des polars cruels, orientés sur le monde des yakusas et avait marqué les cinéphiles avec Combat sans code d’honneur ou Le Cimetière de la morale. Quentin Tarantino mentionne d'ailleurs régulièrement la filmographie de l'artiste au moment d’évoquer les œuvres qui l’ont impressionné. Confronté très jeune à la violence (il travaille dans une fabrique d’armes durant la guerre), Kinji Fukasaku s’interrogera toute sa vie sur la transformation de la société après le conflit (à l'image d'un Yasujirô Ozu mais en beaucoup plus virulent).

Et évidemment, ce questionnement se retrouvera dans chacun de ses longs-métrages, dans lesquels il inocule du venin et du cynisme. Les Évadés de l’espace n’échappe pas à cette règle et la cruauté instillée dans certaines scènes contraste avec l’humanisme précité. Le cinéaste choque notamment lorsque les forces terrestres bombardent la population innocente de Jilucia afin de frapper les lignes ennemies ou quand une marâtre aigrie fouette férocement la douce Esmeralida.

 

Les Évadés de l'espace : photo«Moi Darth Rokseia, je me déclare empereur de la galaxie»

 

Or c’est en devenant le fruit d’un amalgame osé, né des convergences issues des visions de Star Wars, de la pureté d'Akira Kurosawa et des obsessions de son auteur lui-même, que Les Évadés de l’espace acquiert une véritable cohérence et une singulière identité. Plus que jamais, on peut parler de film culte à défaut de chef-d’œuvre pour ce film à la fois raillé et encensé pour ce qu’il incarne : un pur plaisir coupable dénué de la moindre prétention.

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commentaires
Dock
30/01/2023 à 19:21

Toute ma jeunesse, ryu, ayato et simane. Ce generique qui me revient immédiatement en tête avec ses trois notes de basse que je connais encore par cœur. L'acteur d'ayato, Hiroyuki Sanada, que l'on aperçoit souvent au cinéma encore aujourd'hui.
Culte

BuntM4gnet
30/01/2023 à 08:11

Et ensuite il y a eu la série culte dérivé du film il me semble (que je n'ai jamais vu) ... La fameuse San Ku Kaï, que j'adorais. Et cette chanson de générique. San ku kai, c'est la bataille !

Ah !! Je savais bien que ça me disait quelque chose !!! J'étais fan aussi. Avec Fantome jaune et fantome rouge !!! (et pas marron derrière)

San Ku Kaî 99
29/01/2023 à 15:49

... avec le singe aux cheveux rose ...

Eric Chardon
29/01/2023 à 15:48

Il y a aussi le singe du pauvre dans la série, comme si cela aller assurer le succès.

Kyle Reese
29/01/2023 à 13:32

Et ensuite il y a eu la série culte dérivé du film il me semble (que je n'ai jamais vu) ... La fameuse San Ku Kaï, que j'adorais. Et cette chanson de générique. San ku kai, c'est la bataille !