PIFFF 2022 : on a vu Something in the Dirt, la nouvelle dinguerie des réalisateurs de The Endless

Antoine Desrues | 12 décembre 2022 - MAJ : 12/12/2022 16:53
Antoine Desrues | 12 décembre 2022 - MAJ : 12/12/2022 16:53

De retour au PIFFF, les réalisateurs Justin Benson et Aaron Moorhead ont réalisé avec Something in the Dirt, une nouvelle pépite indé.

Si la crise du Covid a été particulièrement rude (sans parler du cours du navet sur Animal Crossing...), sa récupération par le cinéma est loin d’avoir arrangé les choses. Beaucoup de cinéastes, à la fois opportunistes et fainéants, se sont empressés de jouer sur l’aspect oppressant des confinements pour organiser des huis clos. Problème, au-delà de l’excuse d’une forme négligée, leurs histoires ont vite tourné en rond, du moins autant que leurs personnages cloîtrés chez eux (Songbird, La Bulle, 8 Rue de l’humanité...).

Pour réussir cet exercice périlleux, il fallait donc des auteurs déjà habitués à la débrouille, et c’est exactement ce que sont Justin Benson et Aaron Moorhead. En quelques années, les deux compères se sont imposés en talents émergents de la série B fauchée, mais ambitieuse, capable de développer des mondes et des concepts fantastiques avec trois bouts de ficelle.

 

Something in the Dirt : photoNous, à chaque découverte d'un film de Benson/Moorhead

 

À la fois réalisateurs, scénaristes, acteurs et même monteurs et chefs opérateurs, ces touche-à-tout ont toujours réussi à transcender leurs limites budgétaires, que ce soit au travers d’une histoire d’amour monstrueuse (Spring), d'un film de secte à la tonalité lovecraftienne (The Endless), ou d'un voyage dans le temps à coup de drogue expérimentale (Synchronic). Cette malice les a amenés à devenir des habitués du PIFFF (où Spring et The Endless ont été diffusés), mais aussi à devenir des poulains de l’écurie Marvel (Moon Knight, et bientôt la saison 2 de Loki).

Pour autant, Benson et Moorhead ne se sont pas contentés d’avoir vendu leurs fesses à l’usine de Kevin Feige. Au contraire, ils ont trouvé un équilibre rare qui leur permet d’alterner entre de telles commandes et des projets toujours plus personnels. Avec Something in the Dirt, présenté au PIFFF dans la section hors-compétition, il est fascinant de les voir franchir un nouveau cap en matière d’inventivité.

 

Something in the Dirt : photoPas très normales activités

 

Entre les murs 

Dans un coin paumé de Los Angeles, deux voisins (John et Levi) se lancent dans la réalisation d’un documentaire alors qu’ils assistent à des phénomènes surnaturels dans l’appartement de l'un d'entre eux. Il convient déjà de souligner qu’en à peine quelques minutes, les deux réalisateurs (et acteurs principaux) posent avec stratégie les bases d’une topographie quasi-unique. Malgré un salon vide et une simple porte menant à un cagibi, Something in the Dirt engendre rapidement une sensation d’inquiétante étrangeté, que le film ne cesse de développer au fur et à mesure que les caméras décident d’en capter le moindre centimètre carré.

Ce théâtre épuré se laisse ainsi envahir par une dimension cosmique ensorcelante, qui confirme après The Endless le talent de Benson et Moorhead pour la peinture d'une humanité dépassée par sa petitesse dans le vide angoissant du cosmos. Ce qui renouvelle ici leur recette, c’est justement la donnée du confinement, qu’ils exploitent métaphoriquement comme source d’une crise existentielle. Leurs deux héros, losers magnifiques et pathétiques limités à un job alimentaire, cherchent un sens à leur vie (et à la vie en général) au contact des événements fantastiques qui les assaillent.

 

Something in the Dirt : photoVoilà ce qui arrive quand on éteint son détecteur de fumée

 

Le lien avec la réalité du Covid et de ses conséquences est brillant sans jamais être évoqué, et permet à l’ensemble de prendre une tournure inattendue. Quelque part entre La Maison des feuilles et Under the Silver Lake (un joli combo), Something in the Dirt développe un récit paranoïaque et complotiste fascinant, avec pour base les nombreux fantasmes qui entourent la ville de Los Angeles. Benson et Moorhead font de cette capitale des rêves brisés une cité suspendue dans le temps, sublimée par ses moments de magie et de solitude improbables.  

Mais derrière cette tristesse, cette dimension mélancolique et cotonneuse, le film évolue comme une étonnante comédie sur la spirale dans laquelle se perdent les personnages. Sans jamais se moquer, leur mise en scène essaie au contraire de s’adapter à leurs suites de pensées délirantes, représentées par un montage qui accumule les sources d’images hétérogènes.  

Something in the Dirt s'impose alors comme une évidence, une évolution parfaite du style de Benson et Moorhead, toujours plus sûr de lui et prompt à l’expérimentation. Le duo en tire à la fois son œuvre la plus intime, et la promesse d’un futur stimulant.

Tout savoir sur Something in the Dirt

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commentaires
MystereK
12/12/2022 à 19:06

Un film qui a beaucoup divisé le public du festival de Neuchâtel mais que j'ai adoré. J'ai pu approcher les réalisateurs et discuter avec eux à plusieurs reprises. Moorehead m'a expliqué qu'à Neuchâtel, c'était la première fois que le film était projeté sur un écran, Sundance ayant été virtuel et lui-même était inquiet de l'effet que cela allait lui faire. Epatant également que les deux réalisateurs se soient exprimés au public en français. Plus je vois les vois évoluer, plus j'aime leur cinéma singulier.