Monstre sacré de l’interprétation française, le comédien Michel Bouquet s’est éteint à 96 ans.
La voix grave et le visage faussement austères, tout le monde se souvient de sa prestation renversante de Mitterrand dans Le Promeneur du Champ de Mars de Robert Guédiguian, dont le mimétisme aura troublé jusqu’aux proches de l’ancien président français. Figure emblématique des planches comme des plateaux, le comédien qui aura interprété plus de 800 fois le roi Béranger 1er de Ionesco, était l’un des derniers représentants d’une génération née dans l’immédiat d’après guerre.
Le théâtre, qu’il découvre grâce à sa mère, fut dans un premier temps une distraction à la Seconde Guerre mondiale, puis le refuge expiatoire d’une enfance qu’il préfère oublier. Puis, c’est devenu une évidence pour le jeune homme qui préfère s’inventer des histoires au pensionnat plutôt que de se mêler à ses camarades, et enfin la passion de toute une vie.
D’un génie à un autre, Bouquet interprète le peintre Renoir en 2013
Un matin de mai 1943, Bouquet ose un coup de sonnette chez Maurice Escande de la Comédie Française qu’il a vu jouer la veille. Une lecture des Nuits de décembre de Musset plus tard, l’aspirant comédien rejoint sous la houlette du sociétaire les planches du Conservatoire, où il respire enfin et ne vit plus que pour jouer, interpréter, se perdre dans les girons de papier de personnages auxquels il insufflera la vie. Il y rencontre et séduit Albert Camus, qui lui offrira le rôle de Scipion dans sa pièce Caligula en 1945, ou encore Jean Anouilh, qui ne manquera pas lui aussi de jouir de sa rigueur en lui confiant Roméo et Jeannette (1946), ou Le Dîner de têtes, qui fera scandale en 1956.
Amoureux transi et dévot d’un théâtre-religion, Bouquet parviendra au cinéma avec une méfiance prudente, jusqu’au déclic décisif lorsque Jean Grémillion lui offre le rôle de Maurice, jeune bâtard marginal en quête de vengeance pour le film Pattes blanches en 1948. Par la suite, il tournera six films avec Claude Chabrol, dont La femme infidèle, écrit tout spécialement pour lui. Bouquet deviendra alors, entre les dispositifs de maints réalisateurs charmés par son timbre grave et son regard perçant, l’archétype gaulliste du fonctionnaire froid et acerbe.
Interprétation d’un réalisme glaçant de Mitterand en proie à une solitude absolue
Maître de son élément sur les planches, le comédien a toutefois la sensation d’évoluer difficilement sous l’oeil inquisiteur de la caméra. Les rôles de notables sévères, de policiers lugubres, ou de figures politiques douteuses ne le satisfont pas, ou plus, lui qui a besoin de texte, de rythme, et de liberté. Michel Bouquet n’aime pas prétendre, et aime à disparaître derrière les rôles qu’il interprète.
Sacré à deux reprises à la cérémonie des Molières, en 1998 pour Les Côtelettes, et en 2005 pour Le Roi se meurt, et puis, tout de même, une troisième fois en 2014 pour l’ensemble de son immense carrière, Michel Bouquet remporte également, entre autres récompenses, deux Césars : une première fois pour Comment j’ai tué mon père d’Anne Fontaine (2002), et une seconde, évidemment, pour Le promeneur du Champ de Mars de Robert Gédiguian.
Après les trois coups de brigadier, le rideau
En 2017, le corps se fatigue et la diction s’amenuise. Sans le savoir, il interprète une dernière fois le Tartuffe de Molière sous la direction de Michel Fau. Il déclarera par la suite à l’AFP en 2019, et après quelque 75 années de carrière, qu’il ne remonterait finalement plus sur scène, estimant avoir effectué son « bonhomme de chemin ». Il apparaîtra néanmoins dans deux autres films, Villa Caprice (2020) et Cérémonie secrète (2021) avant de revenir, tel un chant du cygne, sur sa vérité d’acteur par le prisme d’un court-métrage intitulé Juste avant la nuit, et réalisé par Jean-Pierre Larcher.
Alors de Molière à Pinter, de Chabrol à Blier en passant par Truffaut et Clouzot, de Pattes Blanches au Promeneur du Champ-de-Mars et de Roméo et Jeannette au Tartuffe, c’est bel et bien un roi, un monstre sacré de théâtre et de cinéma, qui nous a quitté avec élégance, l’année des 400 ans de la mort de Molière.
Encore une belle âme que le duo Macron-LePen aura poussé hors de la grande scène.
Mortifiez-vous bien les résignés !
Salut l’artiste, chapeau bas !
Immense acteur et comédien que j’ai découvert lorsque j’étais ado dans « les misérables avec Lino Ventura « , « un Condé d’Yves Boisset et surtout dans un rôle glaçant d’inspecteur borné et horrible dans « deux hommes dans la ville » avec Gabin et Delon.
Des rôles de personnages qu’il habitait tellement bien qu’on oubliait l’acteur qui se cachait derrière et par conséquent que c’était du pur cinéma. Repose en paix.
c’était aussi un Javert absolument troublant
Un grand acteur. Une filmographie qui en impose. Je l’ai trouvé excellent dans « Juste avant la nuit » de Chabrol. Et son rôle de flic opiniatre et détestable dans « deux hommes dans la ville » m’a marqué.
On reproche souvent au cinéma d’être « Français », pourtant, il est d’une richesse sans fin. Bel âge pour partir.
C’est le bouquet !