Canal+ pousse un coup de gueule contre le cinéma français (et les plateformes)

Salim Belghache | 26 mai 2021 - MAJ : 26/05/2021 15:47
Salim Belghache | 26 mai 2021 - MAJ : 26/05/2021 15:47

Face à la possible réforme de la chronologie des médias, le président de Canal+ a contre-attaqué et dénoncé les modalités avantageuses pour les plateformes type Netflix.

La chronologie des médias (l’ordre des sorties des films sur les différents supports d’exploitation) est une partie de la vie d’un film plutôt complexe, visant à organiser l'exploitation en salles des films et de légiférer la vie d'une oeuvre. Toutefois, avec l'accélération de l'importance des plateformes, elle risque d'être bouleversée, ce qui n'a pas manqué de faire réagir le président de Canal+, Maxime Saada.

Ce dernier s’est exprimé sur la nouvelle réforme audiovisuelle votée récemment par le Sénat et bientôt à l’Assemblée Nationale. Actuellement, la diffusion des films en France sur les plateformes comme Netflix est autorisée à partir de 36 mois après leur sortie. Néanmoins, le décret appelé SMAD (Services de médias audiovisuels à la demande) la ferait passer à 12 mois et les grands services de SVoD devraient alors investir 20 à 25 % de leur chiffre d’affaires à la production du cinéma français pour en bénéficier.

 

Photo Anna Mouglalis, Kad MeradCanal+ discute avec le cinéma français

 

Et visiblement, cet assouplissement de la chronologie des médias ne profiterait pas à Canal+, partenaire privilégié du cinéma français depuis la création de la chaîne en 1984. Dans l’obligation d’injecter 12,5% de ses ressources totales dans les films européens, dont 9,5 % sur les films français, la chaîne de télévision avait obtenu en contrepartie, l'avantage d'avoir une fenêtre de diffusion rapide des films. Bien que sa diffusion soit passée de 12 à 8 mois depuis 2018 et six mois pour les films ayant réalisés moins de 100 000 entrées après quatre semaines d’exploitation, Canal+ voit donc d'un très mauvais oeil, cette nouvelle place accordée aux plateformes.

Dans un entretien pour Le Figaro, Maxime Saada a donc voulu marquer un grand coup et taper du poing sur la table pour obtenir un avantage supplémentaire sur ses concurrents directs :

“Tout le monde sera perdant. […] Si nos principaux avantages en matière de cinéma sont remis en question, il n’y aura plus de raison pour notre groupe d’investir autant dans ce domaine. […] Si les plateformes sont en mesure de proposer des films douze mois après leur sortie en salles, le seul schéma viable pour Canal+ serait de diffuser les films dès la fin de leur exploitation en salles, soit trois à quatre mois après leur sortie.”

 

photo, Jonathan CohenAh ouai c'est comme ça...

 

Fondamentalement, la menace d’un désengagement de la chaîne de télévision au niveau du financement du cinéma français est plus que palpable. Même s’il est évident que la chronologie des médias avantagerait les plateformes au détriment des chaînes de télévision, Canal+ conserve tout de même son statut de partenaire privilégié du cinéma et la chaîne reste toujours le premier diffuseur des films (autre que les plateformes de VOD).

Le patron de Canal+ a également évoqué son hégémonie menacée par cette future réforme puisque les plateformes vont “retrouver la place qu’occupait Canal+ avant 2018, et pour laquelle la chaîne payait 200 millions, mais pour 50 à 60 millions d’euros cumulés”. Autre point important à saisir : le nombre d’abonnés grandissant en France du côté des plateformes. À prendre avec des pincettes bien entendu, mais selon Maxime Saada :Netflix, Amazon et Disney+ comptent près de quatre fois plus d’abonnés en France" par rapport à Canal+.

 

Photo Mathieu KassovitzCanal+ joue la négociation agressive

 

Cependant, toute cette agitation que déploie le patron Canal+ ne cacherait pas autre chose. Ne serait-ce pas l’occasion pour la quatrième chaîne de télévision de profiter de cette réforme pour changer son mode de fonctionnement et se désolidariser du cinéma français ? Une opportunité de changer son modèle économique et progressivement fonder sa propre plateforme de streaming (qui existe déjà d'ailleurs) ?

Tout cela est hypothétique bien sûr, d’autant plus que l’accord n‘a pas encore été voté à l’Assemblée Nationale et que l’ensemble des modalités seront prochainement publiées. Et malgré le fait que sa proposition ne tuerait pas les salles de cinéma selon le dirigeant, les fameux 3-4 mois pourraient bien frapper la tête de la distribution française, notamment sur le marché de la vente des films en format physique.

En fin de compte, la marche à suivre des chaînes de télévision française pour concurrencer les Netflix et compagnie semble se diriger tout droit vers la stratégie de la plateforme de streaming, en témoigne la future fusion des chaînes historiques TF1 et M6.

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commentaires
Ethan
28/05/2021 à 23:50

@Simon

Sur les salles oui c'est sûr il y a une soif de ciné de toute manière. Mais bon si canal arrive à avoir les films trois ou quatre mois après leur sortie en salle ça peut augmenter leurs abonnés au détriment des salles.
Les chrono différenciées pas sûr car les plateformes ne sont pas forcément françaises.
Sur les plateformes c'est vrai que rien n'est moins sûr sur la perte d'un style ou de valeurs françaises en raison du business pour plaire aux français. Mais quand même c'est avancé dans l'american way of life
Peu à peu le monde devient anglo-saxon. Il y a qu'à voir la manière de parler (on emploie davantage de mots anglais qu'avant), de faire la publicité : "what else". Les titres de films sont de plus en plus en anglais : Mission impossible depuis Rogue Nation
Si on parle également de la cancel culture ça fait un peu beaucoup : Aux dernières nouvelles le "baiser non consenti" avec Blanche neige et les sept nains

Simon Riaux
28/05/2021 à 16:50

@Futon

C'est bien connu.

Futon
28/05/2021 à 16:46

@Simon Riaux Tu dis n'importe quoi

Simon Riaux
28/05/2021 à 16:40

@Futon

A tous les niveaux.

Volume de production.
Maillage sur le territoire.
Distribution hors le territoire.

En Europe, c'est même pas qu'on est les plus importants, on a littéralement pas de concurrents.
Et on est de facto parmi les 3 ou 4 pays qui fabriquent, de manière importante, et en étant regardés, des films, qui se baladent dans le monde entier.

Futon
28/05/2021 à 16:26

@Simon Riaux puissant de quoi ?

Simon Riaux
28/05/2021 à 16:16

@Futon

Le cinéma français est un des plus puissants et résilients au monde. Pas mal de pays et de studios aimeraient être aussi "bloqués".

Futon
28/05/2021 à 16:01

Toute l'industrie du cinéma a déjà commencé à muter mais le cinéma français reste bloqué dans une époque dépassé. Le groupe Canal plus ne sait faire que du chantage au lieu de s'adapter comme les autres groupes qui essaient des choses

Simon Riaux
27/05/2021 à 10:17

@Ethan

Je ne dis pas que ces questions ne se posent pas hein. Elles sont importantes, et devront être posées. Disons qu'il y a un garde-fou intéressant aux risques que vous évoquez, qui tient à la nature même des plateformes. Elles ont besoin de diversité pour toucher les publics qu'elles visent, et d'une diversité localisée, économiquement moins gourmande que ses équivalents hollywoodiens.

C'est la raison pour laquelle les fictions espagnoles sur Netflix, qui tournent très bien sur la plateforme, y ont conservé leur identité. Prendre de l'espagnol pour en faire de l'américain, ça ne représente aujourd'hui que des risques des surcoûts et des résultats incertains pour Netflix.

Concernant la chrono, il n' y a pour l'instant aucun projet dans les tuyaux qui aille dans le sens de Canal. Du reste, plus qu'une simple contraction des durées de la chrono, la solution pourrait aller vers plusieurs chronos différenciée. Une pour les productions "classiques", une pour celles désireuses de sortir d'abord en plateformes, etc etc, histoire de donner plus de liberté aux petites prods pour rencontrer le public. Ce qui pourrait à l'inverse être très bénéfique aux salles et leur permettre de mieux gérer la temporalité, le renouvellement des oeuvres, et cetc.

La vente de billets, s'il faut bien se garder d'en tirer des conclusions définitives, est actuellement un gros jackpot hein. Même avec des jauges à 35%, les chiffres sont délirants et à peu près jamais vus. Donc bon, gardons-nous bien (au moins pour ce qui est de l'Europe et de l'Asie) de proférer la mort de la salle.

Christiane
27/05/2021 à 10:00

Depuis que je regarde netflix j'ai trouvé enfin des séries et des films de tout pays tres dinamyque ou il y a un énorme choix et de style et d'actions par rapport à canal plus dont je me suis désabonné faute de choix des films et séries

davidg77
26/05/2021 à 21:47

@ Francis Bacon
Le foot FR s'est foutu dans la merde tout seul avec le mirage mediapro.
Pour ce qui est du ciné fra, la différence entre les obligations actuelles de C+ et celles futures des plateformes, c'est que les obligations d'investissements de canal ne concernent que le cinéma (environ 200 M) là où celles des plateformes englobes le ciné, les doc et surtout les séries. En invoquant la possibilité de quitter la TNT, ses obligations resteraient les même, financièrement parlant, mais au lieu de tout investir dans le ciné, il pourrait alors en consacrer une grande part à leurs séries, et là le cinéma français pourrait commencer à s'inquiéter.

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