Blade Runner 2049, Skyfall... le chef opérateur Roger Deakins tacle les méthodes d'Hollywood
Roger Deakins a été oscarisé pour son travail de directeur de la photographie sur plusieurs chefs-d'oeuvre et dénonce les méthodes de travail hollywoodiennes.
Il y a des techniciens qui méritent le nom d'artistes et c'est le cas de Roger Deakins. Directeur de la photographie icônique, il a collaboré avec les plus grands réalisateurs et participé à des joyaux de l'histoire du cinéma.
Multi-récompensé par les plus grandes institutions, son tableau de chasse est totalement dingue : il a remporté deux fois l'Oscar de la meilleure photographie pour 1917 et Blade Runner 2049, et a collectionné les nominations de la prestigieuse cérémonie (Skyfall, True Grit, No Country for Old Men, The Barber, Les Evadés). Mais il a aussi récolté d'autres prix et contribué à d'autres grands films (Fargo), et l'autre question après "combien d'étagères sont dédiées aux statuettes", est : quel est son secret ?
Ryan Gosling dans Blade Runner
Si le cinéma est un art collectif qui demande d'être à l'écoute de toutes les équipes réunies, cela n'empêche pas d'avoir du tempérament et de savoir imposer sa vision pour métamorphoser le divertissement en art. La personnalité bien trempée de Roger Deakins a su s'imposer dans le paysage cinématographique. Assuré d'être talentueux et de n'avoir plus rien à prouver, il n'y est pas allé de main morte sur les méthodes de travail d'Hollywood, qui le débecte.
Dans une vidéo-interview de 90 minutes pour Collider, Roger Deakins et sa femme/collaboratrice James Ellis Deakins ont élevé la voix contre le fonctionnement des tournages à Hollywood, en insistant sur l'emploi de plusieurs caméras, alors qu'une seule est suffisante quand on sait où on va, d'après le maître en la matière. James Ellis Deakins a raconté que pour le Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, le producteur délégué comptait sur l'utilisation de neuf caméras :
Roger Deakins si on lui proposait un Avengers
ELLIS JAMES DEAKINS : « Nous répétions sans cesse "non, non", on n'en a pas besoin. Et le producteur ne nous croyait pas. La même chose avec Skyfall. Ils ont dit : "vous n'avez pas besoin de cinq ou six caméras ?" »
ROGER DEAKINS : « C'est toujours pareil. Ils disent : "on a besoin d'une liste de quatre ou cinq équipes caméras, celles que vous voulez, parce qu'il nous faut obtenir toutes ces images". J'ai répondu : "pourquoi quatre ou cinq ? Non !" J'ai trouvé bizarre qu'on nous demande ça sur Blade Runner 2049 alors qu'on avait déjà travaillé avec Denis auparavant, et avec beaucoup de succès [Prisoners et Sicario, ndlr]. Mais c'est toujours comme ça avec la production (...) : "Oh, on va utiliser six caméras pour obtenir la scène." Non merci.
Les films aujourd'hui concernent plus l'esthétique que l'histoire et son contenu, et ce qu'ils essaient de dire. Je trouve que c'est assez décevant et déprimant. »
Avec une caméra, Daniel Craig ne sait plus où regarder
Ces mots sur les méthodes de tournages d'Hollywood sont très durs et pour enfoncer le clou une dernière fois, Deakins a défini que l'usage excessif de caméras était une manière bâclée, négligente, bordélique (sloppy) de faire du cinéma. Le directeur de la photographie a pointé une réalité, car Hollywood délègue beaucoup de ses scènes secondaires lors des tournages, et il est rare d'avoir la vision d'un artiste de A à Z. Marvel Studios par exemple, est connu pour travailler de cette façon, avec des équipes spécialisées dans les scènes d'action, ce qui permet par ailleurs d'alléger la tâche aux réalisateurs non spécialistes.
La parole de Roger Deakins est professionnelle, engagée et révèle la passion de l'homme pour son travail, mais force est de constater que tout le monde ne peut être à ce niveau. Son dernier film 1917 est le parangon de cette esthétique, avec l'illusion d'un long plan-séquence - caméra unique assurée à 100% !
La critique de ce petit bijou de Sam Mendes est ici.
11/04/2020 à 20:52
Ce qui se passe aussi quand on filme avec de multiples caméras, c'est que la lumière est réglée surtout travaillée en post-production. Une seule caméra permet de faire une lumière plus précise pour chaque plan, et d'alléger le travail de post-production.
11/04/2020 à 02:39
Ouais après quand Deakins parle de films qui ne misent plus que sur l'aspect technique et formel et plus sur ce qu'on veut dire, 1917 en est une parfaite illustration. Ce film est un défi technique. Sur le fond, il est plat et semble n'avoir rien à dire.
10/04/2020 à 20:34
Même topo au sujet de Clint Eastwood. Lui aussi ne s’embarrasse pas de 36 000 caméras. Après c'est au choix du réal mais ça ne veut pas dire que c'est la meilleur façon de faire un film. Au final pour le spectateur seul le résultat compte.
10/04/2020 à 20:25
Si certains réalisateurs savaient déjà réaliser à une seule caméra, ils n'auraient pas besoin de multiplier les angles. Le soucis, c'est lorsque les prods marchent sur les plates bandes de tels génies... obliger Deakins et Villeneuve à filmer ainsi... il y a des meurtres qui se perdent
10/04/2020 à 17:09
Il me semble qu'Akira Kurosawa aimait bien tourner avec plusieurs caméras pour éviter que les acteurs modifient leur jeu pour se mettre en valeur.
10/04/2020 à 16:33
Comme disait le grand Hitch, il n'y a qu'un seul endroit ou placer sa caméra pour obtenir le plan et l'effet escompté. Hitchcock étant connu pour avoir utilisé extensivement les story-board afin de maitriser précisément le tournage en ayant fait le travail de découpage et montage en avance. Il pensait séquence avant tout et les cadrages découlait de là.
Le tournage n'était après qu'une formalité et il s'y ennuyait un peu parait-il.
Pour lui et d'autres très grands réalisateur un plan = une idée.
Comment faire ça avec 9 caméra à part s'éparpiller ? Et perdre le pouvoir de sa vision (si le réal en a eu biensur)
Après certaines séquences d'actions d'ampleur ont évidement besoin d'être couvertes par plusieurs cam. Mais je pense que les producteurs ont un réel problème de confiance en leur réalisateurs quand des sommes astronomiques sont en jeux, parfois avec raison parfois à tord quand on s'alloue les services d'un bon.
Joker n'a pas couté très cher et ne s'inscrivait pas vraiment dans le multi univers de DC qui de toute façon n'était plus très cohérent, du coup le réal a dû être laissé tranquille jusqu'au bout.
Le coup de (J)poker du studio était à moindre risque.
10/04/2020 à 16:27
Un sacré chef op en tout cas. J'ai encore la rétine qui tremble devant la beauté de la dernière séquence de Skyfall. Ceci dit c'est un exemple parmi d'autres.
10/04/2020 à 15:54
Débat déjà assez ancien... Il est vrai que la multiplication des angles n'a jamais donné de meilleur films, parce qu'il n'existe plus du tout de vision de réalisateur. La présence même de ce dernier devient quasiment inutile: il "suffira" de zapper entre les cams au montage.
C'est du travail de feignasse, et de vrais complications pour les Directeurs Photo qui doivent éclairer les scènes en faisant en sorte que chaque angle reste cohérent avec les autres, et cacher le matériel pour ne pas entrer dans les champs croisés.
Il a raison!
10/04/2020 à 15:39
C'est uniquement un aspect économique. On perd moins de temps sur une scène avec différents angle de vue que si on doit faire une par une.
10/04/2020 à 14:43
- ça peut aussi être un moyen de tourner plus vite, donc d'économiser de l'argent (donc ça arrange le producteur)
- ça peut être nécessaire sur de grosses scènes d'action (mais limité à celles-ci)
- ce qui est certain, c'est que le cinéma se tourne à une seule caméra, sinon ça s'appelle de la télévision.