Rencontre avec Jérémy Banster, réalisateur de La vie pure.

Christophe Foltzer | 25 novembre 2015
Christophe Foltzer | 25 novembre 2015

Alors que le cinéma français se complait dans la facilité de la comédie de boulevard aux budgets faramineux, une nouvelle génération de réalisateurs émerge, et elle a les crocs. Et parmi eux, Jérémy Banster, le réalisateur de La vie pure, qui a bien voulu nous accorder quelques instants pour nous expliquer pourquoi il s'est lancé dans ce projet complètement fou. Attention, il y a un risque de SPOILERS.

 

EcranLarge : Vous êtes qui tous, là, vous qui avez fait La vie pure ?

Jérémy Banster : (Rires) A la base, j'ai une formation d'acteurs. J'ai fait la classe supérieure d'art dramatique de la ville de Paris et puis j'ai été sur pas mal de pièces de théâtre, j'ai fait une cinquantaine de films et de séries et ça m'a appris tous les corps de métier du cinéma. J'avais cette curiosité parce que je viens d'une famille de techniciens du cinéma : ma maman était chef-maquilleuse et mon père était dans les effets spéciaux avant de finir à la production chez France Télévisions. Mes techniciens, je les ai trié sur le volet. C'était très important de ne surtout pas se tromper de techniciens sur ce film parce que ça pouvait tout mettre en péril. J'avais déjà travaillé avec tout le monde dans des conditions difficiles.

 

Pourquoi avoir fait ce film-là pour débuter ta carrière de réalisateur ?

Je tournais mon dernier court-métrage en Guyane en 2010 et j'y ai rencontré Stani Coppet (ndlr : le rôle principal du film) et son papa qui m'ont offert Aventures en Guyane de Raymond Maufrais que j'ai trouvé être un beau journal de bord d'un aventurier naïf mais déterminé. Ce parcours initiatique me touchait beaucoup mais ça ne me suffisait pas. Le lendemain, on est partis avec Stani et mon chef-opérateur Rudy Harbon, sur le fleuve Maroni et là j'ai eu un gros coup de coeur. J'ai découvert toutes les populations du fleuve, Bushinenge, Amérindiennes, Créoles, Brésililennes, Chinoises..., qui ne parlaient qu'une seule langue, le taki-taki (un dérivé du créole hollandais qui est la seule langue qu'ils comprennent tous) dans un endroit qui n'est répertorié sur aucune carte, sans lois ni règles de navigation, et ça se voit. C'est là que j'ai fait le parallèle avec Maufrais.

De retour à Paris, j'en ai parlé à mes associés Olivier Compère et Fabien Montagner (de Cantina Studio), ils aimaient l'idée mais trouvaient que c'était compliqué à monter. Il fallait déjà récupérer les droits du livre. On a contacté le Président de l'Association des amis d'Edgar et Raymond Maufrais qui m'a dit qu'il y avait déjà un réalisateur et une production sur le coup, et avec un scénario. Je suis allé en Bretagne et j'ai déjeuné avec lui pour lui expliquer le film qui n'existait alors que dans ma tête. Le lendemain, il a dit que c'était moi qui devais le faire et personne d'autre. On a tout de suite eu le soutien de la Région Guyane, qui est la première à avoir compris l'exposition que pouvait leur apporter le film.

J'avais déjà écrit deux films qui ne se sont jamais faits et que je qualifierais de "films d'appartement". Je m'étais un peu censuré en les écrivant, en pensant que ce serait plus simple à tourner si ça se passait chez moi, à Paris. Mais comme ça ne s'est pas fait, je me suis dit que j'allais écrire le film que j'avais vraiment envie de voir. Et ça a marché.

 

A combien se monte le budget du film ?

On est à moins d'un millions d'euros, sans toucher nos salaires, donc en coût réel le film est encore moins cher que ça. La seule chose qui m'ait vraiment manquée, ce n'est pas l'argent, mais le temps. Tous les soirs je remettais mon scénario en place, en fonction de la météo très capricieuse.

 

Et comment s'est passée la rencontre avec Aurélien Recoing ?

Je lui ai envoyé un mail, il m'a répondu tout de suite, on a dû se voir deux jours après et il m'a dit oui. Il s'est passé exactement la même chose avec Daniel Duval et Elli Medeiros. Ils ont tout de suite été touchés par le scénario même s'ils n'avaient pas des rôles forcément importants. Aurélien, comme Daniel d'ailleurs, c'est une Ferrari. Quand tu es sur le plateau et que tu n'as pas beaucoup de temps, on sait ce qu'il faut faire d'un simple regard. Ils se documentent beaucoup, amènent plein de propositions mais en même temps, ils restent très ouverts. Ce sont des gens d'une grande générosité.

 

Il n'empêche que, faire un premier film avec un tel sujet et des moyens aussi limités, c'était quand même très risqué...

C'est seulement maintenant que je m'en rends compte. Après coup, on est partis un peu la fleur au fusil, comme Maufrais en fait. Enfin, pas vraiment, puisqu'on a fait beaucoup de préparation, de repérages et qu'on est tous revenus en vie et avec un film. Mais c'est vrai qu'il faut un peu d'inconscience, de folie et croire en sa bonne étoile. Avec Stany, on est allé voir un chaman. Moi, je suis totalement athée mais je n'ai jamais autant cru à quelque chose qu'en allant le voir pour lui demander de protéger toute l'équipe.

 

D'ailleurs, le côté chamanique est très présent dans le film...

Oui, c'est ce qu'a vécu Maufrais. Peut-être pas à ce point-là, mais c'était très important. Je voulais en être le témoin sans le juger. Juste voir ces rites, ces incantations et découvrir cette culture. La chance d'avoir un personnage comme Maufrais qui a 23 ans et qui débarque de Toulon pour découvrir tout ça  fait que la caméra est un peu l'oeil de ton personnage. Cela permet de montrer sans expliquer. Il y a des choses qu'il comprend, d'autres non, mais il les vit toutes et les ressent.

 

Quelles ont été tes influences pour ce film ? On pense évidemment à Into the Wild, Werner Herzog, John Boorman, Peter Weir...

Into the Wild ne m'a pas tant influencé que ça. Je pense que c'est tout mon inconsicient qui s'est exprimé, tout ce que j'avais vu gamin. Forcément, FitzcarraldoAguirre et tous les documentaires qu'a pu faire Herzog. Boorman aussi, même si c'est encore autre chose. Il y a chez lui une dimension cruelle que j'aime, une dimension humaine tout simplement. Ce qui est drôle c'est que j'avais pris des films avec moi pour le tournage en Amazonie mais mon ordinateur ne lisait pas les disques que j'avais achetés aux Etats-Unis. Il y avait Apocalypse Now, Requiem for a dream, Le voleur de bicyclette, mais du coup je n'avais que les jaquettes à regarder. Je me suis dit que c'était un signe et que je n'allais rien revoir. 

 

Quel regard portes-tu sur Raymond Maufrais maintenant que le film est derrière toi ?

Ce mec avait quand même une détermination et une abnégation bien accrochées. C'était un jusqu'au boutiste qui voulait surtout se découvrir lui-même. Ce que j'aime en lui, c'est qu'il a essayé alors que tout le monde lui disait qu'il n'y arriverait pas. Et essayer, c'est déjà réussir un petit peu. C'est quelqu'un qui a touché du doigt sa vie pure comme il le dit. J'ai beaucoup d'affection pour lui, même si je sais qu'il était naïf, pas bien préparé, ni bien équipé. Mais c'était un gamin, donc on peut lui pardonner. Il est arrivé à quelques kilomètres de son objectif, il a pratiquement réussi. Pour moi, en tout cas, il a réussi. 


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commentaires
nageuse
13/07/2018 à 15:05

Un film merveilleux et inoubliable. Merci...

Capitaine
27/11/2016 à 13:09

Ce fim pour le moins très estetique est une vrai réussite ,Stany Coppet y est époustouflant et l'équipe de Jeremy Banster exemplaire ,cette expérience à changée ma façon de voir la vie . Il a aussi changé ma vie mais ça c'est une autre histoire .merci à toute l'équipe pour ça et surtout merci Jeremy Banster

Bolderiz
25/11/2015 à 13:03

Trés cool. Bien envie de voir ce film.