Interview de Tobias Lindholmn, réalisateur de Hijacking

Thibaud Gonzalez | 9 juillet 2013
Thibaud Gonzalez | 9 juillet 2013

Le cinéma danois se porte bien. Entre Lars Von Trier, Nicolas Winding Refn et Thomas Vinterberg, d'autres jeunes cinéastes tentent de se faire une petite place, et le font bien. C'est le cas Tobias Lindholm avec Hijacking, son deuxième long-métrage qui sort ce mercredi 10 juillet. Un film qui nous raconte l'abordage d'un bateau par des pirates en plein océan indien, ainsi que  l'âpre négociation qui s'en suit entre les ravisseurs et le PDG de la compagnie maritime qui possède le bateau. Tobias Lindholm évoque dans cet entretien ses influences, ce qui a motivé son histoire. Il nous explique aussi sa méthode de travail, qui cherche le plus de réalisme possible. Il revient enfin avec nous sur le cinéma danois en particulier, et sur son succès actuel.


Pourquoi s'intéresser à ce sujet si particulier, celui de la piraterie moderne ?

En fait, une des principales raisons est le fait que le Danemark est un petit pays constitué d'îles. Et notre flotte commerciale est ainsi très grande, avec beaucoup de marins. Il y a des marins dans toutes les familles, et c'est une tradition. La manière dont le Danemark s'est développé est extrêmement lié à cet état de fait. Nous nous sommes étendus à travers le monde et avons ramené beaucoup de choses chez nous. En bien ou en mal d'ailleurs, puisque nous avons aussi notre part de responsabilité dans la traite des esclaves. Mais au final, chaque famille a un père ou un oncle qui est marin, et donc pour moi, c'était au départ une histoire très locale. On ne devait suivre, dans les premiers temps, que Mikkel sur le bateau. Mais je ne pouvais pas forcément aller très loin avec cette situation, car il n'y a finalement pas grand chose à faire lorsque l'on est otage. On reste juste assis là, à attendre. Mais lors de mes recherches, j'ai pris contact avec des négociateurs qui ont vécu ce genre de situation, et j'ai découvert le véritable jeu de poker auquel ils s'adonnent. Donc j'ai recentré mon film sur la négociation de la prise d'otages.

 

Justement, tout ce qui tourne autour de la négociation, qui se passe au Danemark, est certainement l'un des points forts du film. Comment avez-vous abordé cet aspect plus précisément ?

C'est le genre de situation qui est vraiment géniale à mettre en place, avec toute la tension que l'on peut créer à l'écriture. Mais comme le film est basé sur beaucoup d'appels téléphoniques, il fallait les rendre moins ennuyeux. Donc, nous devions faire quelque chose en plus. Nous avons donc réalisé les appels téléphoniques en live. Dans le bateau même, nous avions un téléphone satellite, et nous avons appelé directement le Danemark. Et à chaque fois, tout était tourné en une seule prise. On gardait tous les défauts, comme les échos, et les acteurs devaient s'ajuster à ces échos, ce qui a rendu ces conversations téléphoniques très spécifiques et particulières. C'était pour moi une des clés pour faire marcher ces séquences là.


Avez-vous réellement tourné dans l'océan indien, sur un bateau ?

Oui, nous avons loué un vieux cargo vide a Mombassa, et nous avons découvert que le bateau avait été victime d'un acte de piraterie deux ans auparavant. Et les membres de l'équipage, qui étaient sur le bateau et qui jouent aussi leur propre rôle dans le film, ont été victimes de cette prise d'otages. Ils nous ont donné beaucoup de détails au sujet de la vie d'otage à bord de ce bateau. Et puis une fois tous les plan tournés, nous sommes revenus au Danemark pour tourner la négociation, tout en faisant attention à ce que les appels téléphoniques soient aussi faits en direct, avec quelqu'un encore présent en Afrique. Et les acteurs, eux, n'ont jamais lu les parties des autres. Søren Malling, qui joue Peter, n'a jamais lu la partie sur le bateau. Il ne savait pas ce qu'il se passait dans cette histoire. Et Pilou Asbæk n'a jamais lu les scènes dans les locaux de la compagnie. De cette manière, ils n'étaient pas plus intelligents que leur personnage, ils ne savaient que ce que leur personnage savait.

 

Cela fait donc partie de ce processus que vous avez développé, celui des règles de la réalité ?

Oui, cela fait partie du processus. J'ai entendu beaucoup trop de réalisateurs ou de scénaristes parler de faire des recherches, parler de réalité. Mais quand vous faites la cuisine, vous devez mettre réellement du sel pour que cela ait un goût salé. Et c'est la même chose avec les films. Si vous voulez faire quelque chose de réel et de naturel, vous devez sortir dehors et faire en sorte que ce soit réaliste et naturel, ou sinon, cela n'aura pas le goût de la réalité. Dans le film, il y a plein de détails qui permettent cela. Gary Skjoldmose Porter qui joue Connor Julian, le négociateur, et un vrai négociateur. Les armes utilisées par les pirates sont de vraies armes saisies par la police kényane à de vrais pirates. Nous avons cherché à mettre le plus d'éléments, de détails  réels possible.

 

Et comment abordez-vous cet équilibre entre réalité et dramaturgie ? Quelle place donnez-vous à l'improvisation ?

Certaines scènes ont été écrites de manière spécifique, parce qu'il le fallait. Mais avec d'autres, on pouvait se permettre d'improviser, pour les rendre plus vivantes. Ce que l'on a fait, en gros, c'est de respecter le script sur les deux ou trois premières prises. Et une fois que l'on avait sécurisé cela, j'ai laissé les acteurs faire ce qu'ils voulaient. Je leur disais : "Fais la même chose, mais sans faire la même chose, et sans utiliser les mêmes mots". Et de cette manière, de temps en temps, quelques bouts de réalité se sont glissés dans les scènes.

 

Cette approche de la réalité donne à votre film un côté presque documentaire alors ?

De différentes manières, oui. Mais je pense que c'est un peu injuste pour certains réalisateurs de documentaires qui sont mes héros. Car je garde quand même toujours le contrôle de mon histoire, je ne vais pas à l'extérieur en chercher une. Nous savions exactement ce que nous voulions. Je m'inspire bien sûr du documentaire, mais aussi d'une manière plus simple et plus naturelle de raconter une histoire.

 

Comment définissez-vous votre film en terme de genre ? Une sorte de thriller... ?

Je dirais que c'est un negociation drama (un drame de négociation). Je pense que dans le thriller, il y a toujours une part d'inconnu. Et je pense que dans notre film, nous ne cachons rien. À partir du moment où commence la prise d'otages, on sait exactement de quoi parle l'histoire, il n'y a pas d'inconnu. Mais il est vrai que toute l'évolution de la négociation peut faire penser à un thriller.

 

Pensez vous qu'il y ait une sorte d'âge d'or du cinéma danois ? Depuis Lars Von Trier et jusqu'à Nicolas Winding Refn en passant par Thomas Vinterberg, de plus en plus de cinéastes danois s'exportent. Il y a un grande diversité qui s'y développe. 

Je pense que c'est la même chose qu'en France. Vous avez un soutien politique et financier. Et nous avons en quelque sorte copié ce modèle au Danemark. C'est un petit pays de 5 millions d'habitants, mais nous développons beaucoup de films par an. Et tout est supporté par le gouvernement. Un business s'est créé. Il y a beaucoup de professionnels et on peut faire carrière dans ces domaines. Donc, le travail technique de tout le monde s'améliore au fil du temps. Et puis d'avoir une personne comme Lars Von Trier a beaucoup aidé. C'est pour moi un génie, l'un des plus importants. Il a attiré beaucoup d'attention et beaucoup d'argent vers le Danemark. Et surtout, il a permis à d'autres de se dire : "Nous aussi on peut le faire", "Oui, on peut aussi aller à Cannes, ou à Venise". C'est très important pour un petit pays, avec une langue peu répandue que personne ou presque ne connaît. Et maintenant, même les séries télé danoises s'exportent. Borgen s'est vendu dans presque 95 pays dans le monde. The Killing a été un grand succès aussi. Cela donne envie à tout le monde de faire de même. Et cette bonne énergie donne naissance à de bons projets. Je me souviens, quand j'étais étudiant, on ne parlais que des films polonais ou français. Mais l'attention s'est portée ailleurs ensuite, sur les films iraniens ou belges. Et maintenant, il semble que le Danemark bénéficie de celle-ci. Donc, on en profite tant que cela est encore possible.


Pour vous, quelle est la différence principale entre le cinéma danois et les autres types de cinémas scandinaves ? Quelle est sa spécificité ?

Je ne sais pas s'il y a une si grande différence aujourd'hui. Je pense que l'écriture de scénario au Danemark avait la tradition d'être un peu meilleur, et ce, surtout grâce à un homme en particulier, Mogens Rukov, le scénariste de Festen. Il a fait partie de ceux qui ont mis en place le Dogme. C'est un très bon scénariste, mais c'est aussi un très bon professeur, et pendant des années, il a incarné, je pense, la différence principale entre ces différents types de cinéma. Mais cela change aujourd'hui, et je ne suis pas sûr qu'il y ait désormais tant de différences que cela, excepté le fait que nous fassions toujours plus de films par an au Danemark.

 

  La bande annonce de Hijacking, en salles le 10 juillet

 
 
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