Le business Shyamalan : comment le réalisateur a tout remis en question avec Trap

C’est l’un des films qui a marqué l’été : Trap, thriller porté par Josh Hartnett et dernier rejeton en date de M. Night Shyamalan sorti le 7 août 2024, était une tentative de reconversion pour le réalisateur. Réussie ?

La bande-annonce avait fait son petit effet dans les salles de ciné : ce (soi-disant) huis clos géant racontant l’histoire d’un tueur en série encerclé par la police au concert où il accompagne sa fille, promettait un concept hyper efficace et digne des meilleurs Shyamalan. Il se trouve que le résultat, pour le moins audacieux, ne sut pas convaincre tout le monde.

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Mais comment ce clair-obscur critique s’est-il traduit au box-office ? Réalisateur de Sixième Sens, Incassable ou Le Village, mais aussi de La Jeune Fille de l’Eau, Phénomènes ou After Earth, Shyamalan s’est déjà montré capable du meilleur comme du pire, aussi bien concernant la qualité de ses films que leur performance au box-office. Petite analyse du cas Trap, révélateur d’un tournant pris dans la carrière du metteur en scène.

Un at(Trap)pe pas si nigaud

Avec une campagne promotionnelle au rendez-vous et une bande-annonce remarquée, Trap avait tout pour être la belle surprise de l’été, vaillante concurrence face aux blockbusters Twisters, Sans un Bruit : Jour 1 et Alien : Romulus, et aux films d’animation Vice-versa 2 et Moi, moche et méchant 4. Cette concurrence inattendue fut en effet assurée cet été par une production modeste. Mais c’est le film d’horreur Longlegs qui joua ce rôle de David face aux Goliath hollywoodiens.

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Trap, quant à lui, qui coûta 30 millions de dollars contre les 10 de Longlegs, et qui ne rapporta qu’un peu plus de 80 millions face aux presque 110 millions de recettes du film d’Oz Perkins, ne créa pas vraiment la surprise. Pourtant, sans être éclatante, tant s’en faut, sa performance n’a rien de ridicule. Pour Shyamalan, il y a même un progrès depuis son précédent film, Knock at the Cabin, sorti en 2023 et qui avait coûté 20 millions pour en récolter presque 55.

Selon les chiffres du site Box Office Mojo, il faut aussi noter que, lors de son démarrage sur le sol américain, Trap s’est placé directement en 3e position derrière Deadpool & Wolverine (qui entrait dans sa deuxième semaine d’exploitation), et Twisters (qui était à l’affiche depuis deux semaines). Trap se faufilait ainsi devant Moi, moche et méchant 4 et Vice-versa 2, sortis respectivement depuis 3 et 4 semaines, mais dont l’un a tutoyé le milliard quand l’autre l’a largement dépassé.

Si l’ancienneté à l’affiche de ses plus gros concurrents a donc probablement aidé le film à faire un démarrage honorable sur son propre territoire, il n’en demeure pas moins que Trap a su attirer un public au milieu des mastodontes estivaux, et que ce n’était pas gagné. C’est surtout en comparaison de la catastrophe Borderlands que le thriller a pu rouler des mécaniques, puisque que le blockbuster d’Eli Roth avec Cate Blanchett, sorti en salles le même jour que Trap, a coûté 120 millions pour n’en rapporter que… 33.

Patatrap

Mais si on prend un peu de recul pour mesurer ce succès relatif aux précédentes réussites de Shyamalan, il est évident que la performance de Trap n’a rien d’une prouesse, bien au contraire. Certes, ça fait longtemps que le réalisateur est accusé d’avoir perdu son talent quelque part vers 2005, si l’on fait exception du sursaut The Visit (et, selon certains, de Knock at the Cabin). Pourtant, les remontrances de la critique ne l’ont pas empêché de faire deux cartons avec Split en 2016 (9 millions de budget pour 278 millions de recettes) et sa suite, Glass, en 2019 (20 millions de budget, 247 millions de recettes).

Shyamalan n’est donc pas à l’abri de fulgurances financières, même s’il n’a plus la régularité de sa grande période, durant laquelle Sixième Sens (1999) avait coûté 40 millions pour en rapporter 673, Incassable (2000) 75 millions pour presque 250, et Signes (2002) 72 millions pour 408. La performance de Trap le place donc à des années-lumière de ses reluisants aînés. Elle est même timide en comparaison de l’un des derniers films décriés du réalisateur, Old, sorti en 2021 également au milieu de l’été, et qui s’était placé en première place du box-office américain lors de son démarrage, coiffant Snake Eyes au poteau.

Le film avait rapporté 90 millions après en avoir coûté 18, réalisant un écart plus enviable que celui de Trap. Toujours selon Box Office Mojo, Trap arrive (pour l’instant) ainsi au 32e rang du box-office mondial de 2024, devant d’autres films de genre solides comme Blink Twice – dont l’exploitation n’est pas terminée mais tout de même bien entamée – et La Malédiction : l’Origine, qui a amassé quelques tristes 24 millions après en avoir coûté 30.

Mais le thriller se place aussi derrière Un P’tit truc en plus, qui, exploité dans infiniment moins de pays (et notamment pas les Etats-Unis), se place à la 30e position du box-office mondial de 2024. Trap n’a d’ailleurs essentiellement pu compter que sur son propre territoire pour faire du chiffre, puisque son deuxième marché est la France, où il a amassé 7 millions (malgré les Jeux Olympiques, tout de même) contre presque 43 aux Etats-Unis.

La méthode Shyamalan

Mais pour comprendre l’implication de ces chiffres, à l’échelle du film mais aussi à l’échelle de la filmographie de Shyamalan, il faut rappeler d’où vient ce projet, qui est la figure de proue d’une tentative de renouveau dans le modèle de financement du réalisateur. Trap est le premier produit d’un contrat particulier passé en 2023, qui a soustrait le film au distributeur Universal.

La société de production de Shyamalan, Blinding Edge Pictures, avec laquelle il auto-produit ses films depuis Incassable, a signé un accord avec la Warner Bros. le liant au studio pour ses prochaines productions. Via cet accord, assurant à la Warner un droit de regard sur les films, Shyamalan doit développer des projets (réalisés par lui ou non, puisque sa fille Ishana est entrée dans l’écurie en 2024 avec Les Guetteurs, acquis par la Warner) pour le studio et New Line, qui les distribueront.

Il s’agissait de retrouvailles inattendues entre le metteur en scène et la société de distribution, après que Shyamalan a produit un certain nombre de films pour Universal, puisque la Warner et lui s’étaient quittés en 2006 sur le terrible échec de La Jeune Fille de l’Eau, qui avait rapporté à peine l’équivalent de son budget de 70 millions. Pour cette première mise en œuvre de leur accord, la Warner estimera-t-elle y trouver son compte ? Le score de Trap, ni éclatant ni infamant, ressemble aux performances correctes des derniers films du réalisateur, il ne devrait donc pas être une grosse surprise pour le studio.

A voir si les prochains projets développés main dans la main par Shyamalan et la Warner garderont cette ligne directrice, adoptée par le réalisateur depuis quelques années (sans doute malgré lui, suite aux cataclysmes Le Dernier Maître de l’air et After Earth), de fournir régulièrement des thrillers peu ruineux et aux concepts efficaces, sans grandes ambitions mais sans grandes prises de risques. De quoi se maintenir à flots avec sans être à l’abri d’un gros succès de temps en temps.