Sitges 2011 - Jours 8 et 9

Aude Boutillon | 18 octobre 2011
Aude Boutillon | 18 octobre 2011

Dimanche 16 octobre, 23h. Après dix jours d'efferverscence, d'embrassades, de coups de gueule, d'enthousiasme partagé, la ville de Sitges retombe brutalement dans le calme. Les bars sont déserts, le Burger King a perdu son lot de nostalgiques français (mais pas seulement),  et la foule continuellement massée devant le Mélia a laissé place à un parvis désert et silencieux. La 44ème édition du Festival international du cinéma fantastique de Catalogne s'est clôturée la veille, à l'occasion d'une cérémonie (qui a précédé la diffusion de la préquelle-prétexte-remake de The Thing), il faut le dire, relativement décevante, car tout bonnement dénuée d'émotions. Les (nombreux) prix étaient ainsi décernés à la va-vite, et surtout à une cadence démente, et sans l'ombre d'une traduction, ce qui ne facilitait pas l'immersion des non-hispaniques dont faisait partie votre émissaire.

 

On a pu toutefois se réjouir de l'apparente volonté du jury de récompenser le maximum de films ; seul Attack the Block (qui a tout-de-même raflé quatre récompenses) s'est vu auréolé d'un succès plus important (sans que cette situation soit forcément comprise de tous). La France n'est pas repartie les mains vides ; Livide a été, à très juste titre, récompensé du prix du meilleur production design (l'occasion pour les compères Bustillo et Maury de caser au micro une petite blague malencontreusement non-traduite), tandis que Xavier Gens a reçu pour The Divide celui des meilleurs maquillages FX, profitant de l'occasion pour féliciter des acteurs qui ont donné de leur personne, en perdant jusqu'à 17 kg pour le tournage. The Woman a quant à lui été récompensé par le prix du meilleur script (Richard Stanley, membre du jury, nous a à ce sujet confié sa volonté de récompenser coûte que coûte ce film qu'il a adoré). C'est Balada Triste de Trompeta qui a remporté le Méliès d'Or, récupéré par un Alex de la Iglesia expéditif au possible, tandis que Kill List s'est vu récompensé par un Méliès d'Argent qui lui permettra de concourir aux Méliès d'Or lors de l'édition de l'année prochaine (le fonctionnement des récompenses restant un mystère pour tout le monde, y compris les membres du jury, de leurs propres aveux). La soirée s'est vue insuffler un peu d'émotion par la diffusion de messages vidéo enregistrés par les lauréats non-présents. Brit Marling, récompensée du prix de meilleur actrice pour sa performance dans Another Earth, a touché l'ensemble de l'audience avec un message enregistré au saut du lit, par webcam, en pyjama, et trahissant une profonde émotion. Kevin Smith, lauréat du prix du meilleur film en compétition pour Red State, a quant à lui, comme à son habitude, suscité des éclats de rire incontrôlés à l'occasion d'un long discours aussi drôle que juste, que nous ne résistons pas à l'envie de vous faire partager.

 

 

Revenons, enfin, sur les quelques films vus au cours de ces deux derniers jours où la fatigue se faisait cruellement ressentir, à en voir l'impressionnante proportion de paires d'yeux fermés durant les projections.

L'attention n'a pas été simple à canaliser durant cet étrange Tormented, dernier film de Takashi Shimizu (The Grudge) qui s'intéresse aux névroses d'un enfant perturbé après avoir tué un lapin agonisant. Initialement baptisé Rabbit Horror 3D, Tormented promettait de sacrés instants de folie à la japonaise. En réalité, le film de Shimizu se contente principalement de soulever les faiblesses narratives de son réalisateur, et de mobiliser ses obessions ; comme souvent, celui-ci s'embourbe dans une histoire qui se complexifie inexplicablement, à l'occasion notamment d'envolées oniriques pas toujours très justes, mais souvent touchantes, sans que l'on parvienne à en extirper des réponses concrètes. Reste l'exploitation d'un thème toujours efficace, les peurs enfantines, qui atteint malheureusement son sommet dès ses premiers effleurements, à l'occasion de la première incursion du petit garçon dans un monde de parcs d'attraction et de peluches géantes relativement glaçant et sublimé par la très jolie musique de Kenji Kawai.

 

 

En début de soirée, Patrick prenait son courage à deux mains pour aller se faire son idée sur un film dont les échos étaient des plus hétérogènes. Pays où le cinéma fantastique se fait plutôt rare (on se souvient d'un dessin animé, Vampires à la Femme, dans les années 80), Cuba s'est fait cette fois-ci connaître à Sitges par une comédie horrifique, Juan de Los Muertos, qui emprunte les chemins tracés par Shawn of the Dead et Zombieland. Parodie zombiesque qui s'appuie sur quelques références politiques locales (les morts-vivants sont considérés comme des dissidents, certains protagonistes ont eu leur vie marquée par les guerres révolutionnaires initiées par Castro), Juan de Los Muertos ne réussit malheureusement pas à déclencher l'adhésion à laquelle il aurait pu aspirer. La faute en premier lieu à une réalisation plutôt mollassonne qui ne décalque que des péripéties déjà déclinées dans les prods anglo-saxonne, et un casting qui flirte parfois avec l'amateurisme, mais il faut remarquer que pour un film latin cela manque cruellement de créatures bien caliente ! Il reste deux gags bien gore et un brin scabreux à se mettre sous la dent, mais cela fait peu maigre pour un zombie-flick que beaucoup attendait avec gourmandise...

 

 

Un peu plus tard, une nuit « Freak » était proposée au festivaliers noctambules. Emplis de courage, prêts à braver la fatigue pour découvrir ce qui se présentait comme des perles d'absurdité, les spectateurs de Sitges ont d'abord été franchement enthousiasmés par la présence de l'équipe féminine des Femme Fatales (avec la faute dans le texte), micro-jupes et talons aiguilles à l'appui. La ferveur est toutefois vite redescendue après la diffusion, avant tout long-métrage, de trois longs épisodes d'une série d'une ringardise assez improbable, flanquée de scènes tout droit sorties de téléfilms érotiques des années 80.

 

 

Force est de constater que beaucoup n'auront eu le courage de rester que pour New Kids Turbo, festival néerlandais de grand n'importe quoi, mais surtout trip d'un incroyable mauvais goût... et du meilleur effet. Coupes mulet et jogging fluo se confrontent au rythme d'une techno 90's pour se frotter dans un climat totalement délirant à la question de la crise économique, qui en oublie pour une fois d'être chiante et rébarbative. Jamais prise de haut, la bande de ploucs qui compose le haut de l'affiche de cette comédie grotesque et sordide doit beaucoup à l'interprétation tout simplement jubilatoire d'acteurs qui s'en donnent à coeur joie. Saluons au passage une mise en scène étonnamment soignée et efficace, qui n'est pas sans apporter une certaine crédibilité au propos d'un film absurde au possible. New Kids Turbo ose même le gag du "nous sommes à court de fric, les acteurs vont par conséquent vous raconter la suite" dans sa dernière partie, avant de se payer avec férocité les poncifs du cinéma d'action hollywoodien. 

 

 

Alors que se chuchotaient diverses rumeurs (on parla même de Tintin), la séance-surprise de ce Sitges 2011 fut consacrée au dernier film de William Friedkin, que certains chanceux avaient déjà pu découvrir à Toronto et Venise. Killer Joe impose une vérité qu'il sera impossible de contester : le père Friedkin est au meilleur de sa forme. A la fois polar, comédie noire, thriller implacable, Killer Joe dépeint, dans un Texas craspec et malsain, une galerie de rednecks tous plus malhonnêtes et frappés les uns que les autres, incarnés par des acteurs habités (dont un Matthew McConaughey au charisme aussi magistral qu'inquiétant). Une maîtrise ahurissante de la tension (comme en témoigne la scène ultra-nerveuse d'un shérif perspicace qui resserre lentement sa toile autour de sa proie, la toujours troublante Gina Gershon), un humour percutant et acide, ainsi que des instants érotiques d'une perversion osée, entérinent (s'il était encore nécessaire de le faire) une bonne fois pour toutes la vivacité inchangée d'un cinéaste qui, à plus de 75 ans, flanque encore une sacrée raclée à l'Amérique.

 

 

 

Killer Joe se sera au final imposé comme l'un des meilleurs films de cette 44ème édition du festival de Sitges, un brin frustrante car assez avare en exclusivités et peu fournie en films réellement marquants, un trait à imputer peut-être davantage à la production cinématographique actuelle qu'à une manifestation aussi généreuses et fourmillantes que l'est Sitges. Dans tous les cas, on ne peut qu'attendre avec impatience la fournée 2012 pour nous contredire et nous en envoyer plein les mirettes. Vivement !

 

Palmarès (non exhaustif) du Festival de Sitges 2011 :

Meilleur production design : Livide (A. Bustillo et J. Maury)

Meilleurs maquillages FX : The Divide (X. Gens)

Meilleurs effets spéciaux : Eva (Kike Maillo)

Meilleure bande originale : Attack the Block (J. Cornish)

Meilleure photographie : Hell (T. Fehlbaum)

Meilleur script : The Woman (L. McKee)

Meilleure actrice : Brit Marling (Another Earth)

Meilleur acteur : Michael Parks (Red State)

Meilleur réalisateur : Na Hong-jin (The Murderer)

Meilleur film : Red State (K. Smith)

Méliès d'argent : Kill List (B. Wheatley)

Méliès d'or : Balada Triste de Trompeta (A. de la Iglesia)

 

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