Top horreur n°5 : Shining

Thomas Messias | 26 octobre 2009
Thomas Messias | 26 octobre 2009

Pour fêter le mois d'Halloween, la rédaction d'Ecran Large a pris son courage à deux mains et s'est lancée dans l'impossible : élire ses 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma. Pour être le plus rigoureux possible, des règles ont été établies comme celle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste dans le classement final (sauf une exception mais chut on vous expliquera à la fin du mois pourquoi). 12 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 40 films préférés. A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'à la fameuse nuit d'Halloween qui révèlera le numéro 1 de la rédaction. Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma d'horreur.

 

5- Shining (1980) de Stanley Kubrick
 

Didier Verdurand :

Quand un génie se paye les services d'un acteur de légende au meilleur de sa forme... Le livre de Stephen King est bon mais Kubrick en a fait un chef d'œuvre, n'en déplaise au King. De l'affiche à la bande-originale en passant par le plan de l'hélicoptère au début, il n'y a RIEN à jeter.

Ilan Ferry :

Quand Kubrick s’essaye à l’horreur, le résultat ne peut être que brillant. Suffoquant et dérangeant, Shining fait office de film thèse sur la transmission de la peur via le médium cinématographique et offre un regard à la fois déconcertant et littéral sur la folie créatrice.

Laurent Pécha :

Comment trahir un roman génial pour aboutir à un film encore plus génial. Le King, c’est définitivement Kubrick. Dormir tranquillement après la vision de Shining relève de l’exploit digne du guiness des records.

 

Redrum. Redrum. Redrum. Bienvenue dans l'univers de Shining, où un mot qui n'existe même pas (en tout cas lu à l'endroit) peut suffire à vous flanquer la frousse, faisant remonter en vous des images d'ascenseurs pleins de sang, de longs couloirs angoissants, de petites filles étranges, de dédales terrifiants. Stanley Kubrick a exploré de nombreux genres et s'est rarement cassé les dents ; Shining ne constitue en aucun cas une exception, faisant naître une terreur tangible par l'entremise d'une mise en scène purement géniale, si virtuose qu'elle fut finalement peu copiée ensuite.

À la base, Shining (sous-titré L'enfant-lumière en français) est un roman, le troisième d'un certain Stephen King. Succédant à Carrie et Salem et publié en 1977, il confime le talent saisissant d'un écrivain capable de matérialiser en quelques lignes pulsions et frayeurs, crises de folies et accès de violence. Le roman a pour héros un écrivain, Jack Torrance, qui accepte de garder un grand hôtel pour l'hiver, ce qui devrait lui permrttre d'écrire en paix. Arrivé à l'Overlook avec sa femme Wendy et son fils Danny, il apprend que l'hôtel fut jadis le théâtre du massacre perpétré par un ancien gardien sur sa famille. S'ensuit alors une longue et inquiétante marche vers la folie, amplifiée par l'étrange aura de ce bâtiment aussi géant que vide, mais bouleversée par le don surnaturel que semble posséder le petit Danny.

Si Kubrick s'est intéressé au roman, c'est moins pour la possibilité de s'attaquer au genre horrifique que pour traiter le cas de cette famille dysfonctionnelle, dont les rouages coincent dès le début et qui ne cesse de se rapprocher du point de non-retour. C'était d'ailleurs le principal thème du roman de Stephen King, lequel insistait encore davantage sur cette notion de désintégration familiale, ainsi que sur l'alcoolisme de son héros. Satsifait par le film sur certains plans, le romancier a toujours confié sa déception à ce sujet, estimant qu'un cinéaste aussi chevronné que Kubrick aurait pu approfondir le sujet au lieu de rester en surface.

Autre sujet de fâcherie entre les deux hommes : la fin du film. King ne cache pas son amertume devant le génial dénouement trouvé par Kubrick (la poursuite hors de l'hôtel, dans le froid), qui trouvait la fin du roman pas assez traumatisante. L'écrivain y orchestrait l'explosion de la chaudière de l'hôtel, qu'il plaçait en parallèle avec l'ultime implosion du noyau familial et le pétage de plombs de Jack Torrance. Sans doute vexé de constater qu'un autre puisse avoir une meilleure idée que lui, il n'a jamais vraiment reconnu la qualité du film, et a d'ailleurs écrit et produit une adaptation télé plus conforme selon lui à l'univers du livre. Diffusée en 1997 et interprétée par Steven Weber, cette version n'est pourtant pas restée dans les annales de la production télévisuelle.

L'un des mille attraits de la filmographie kubrickienne, c'est que le cinéaste a toujours sur créer dispositifs et techniques pour parvenir à obtenir avec précision le rendu visuel qu'il imagine à l'écriture. Ainsi, le tournage de Shining serait à l'origine de la naissance de ce petit bijou nommé Steadicam, système permettant d'obtenir une image extrêmement stable quel que soit le mouvement de caméra désiré. En fait, la légende est légèrement flatteuse, puisque le procédé avait déjà été utilisé par Hal Ashby à l'occasion d'une scène de En route pour la gloire, pour un plan-séquence d'une durée de 4 minutes. Disons que Shining a permis de banaliser le procédé, au sens où Kubrick l'y utilise de part en part de son film, démontrant si besoin que la Steadicam ne s'utilise pas seulement de façon ponctuelle. Et si d'autres que lui ont exploité ce système depuis, pour des résultats parfois saisissants, le modèle du genre reste Shining, rien que pour son enchaînement de long couloirs déserts, où la peur naît du mouvement. L'air de rien, la technique appliquée au film d'horreur permet de décupler les possibilités du hors-champ, puisque celui-ci est réinventé en permanence, au détour de chaque angle des couloirs de l'hôtel.

Tourné en studios entre mai 1978 et avril 1979, Shining brille par sa façon d'utiliser un décor a priori inoffensif comme un pesonnage central, terriblement inquiétant car totalement imprévisible. Jouant sur la durée des plans et des séquences, Kubrick frôle parfois les limites de l'ennui, créant parfois une semi léthargie pour mieux nous cueillir à l'image suivante. La narration brillante entraîne un bouleversement progressif des points de vue . Au début du film, on est Jack Torrance, on évolue avec lui dans ce grand hôtel délicieusement vide, on sue avec lui devant une page blanche ; puis, peu à peu, de façon presque imperceptible, s'opère un basculement qui coïncide avec celui du personnage : le héros se mue alors en être perturbé et dangereux, que l'on a d'abord envie de sauver mais qui devient trop inquiétant pour que cela dure. Jack Nicholson donne corps à ce personnage incroyable, prolongement 5 ans après du McMurphy de Vol au-dessus d'un nid de coucou.

Inversement, on commence par se moquer royalement de cette Wendy incarnée par la peu avenante Shelley Duvall ; mais, parce que sa terreur est prégnante et qu'on s'attache à son fils Danny, on finit par prendre son parti et partager sa peur. L'actrice est absolument impressionnante, poussée dans ses derniers retranchements par un Kubrick malin comme un singe. Brutal, désagréable, presque ordurier, il ne s'est sans doute pas fait une amie sur le plateau, mais a obtenu d'elle exactement ce qu'il cherchait : un état de malaise permanent et communicatif, qui caractérise absolument tout le film. On a beau grandir, devenir moins impressionnable, être de plus en plus rompu aux techniques horrifiques, rien n'y fait : chaque vision de Shining confirme son statut de sommet d'angoisse et d'inconfort, nous renvoyant à nos peurs d'enfants et à nos situations familiales pas toujours reluisantes.

 

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