Entre satire dystopique et jeu de massacre cartoonesque, La Course à la mort de l'an 2000 est un film culte toujours aussi délirant et pertinent.
Une course de voitures à travers les États-Unis où les participants doivent renverser le plus de piétons pour gagner ? C'est le point de départ de La Course à la mort de l'an 2000, sorti en 1975 (rebaptisé plus tard Les Seigneurs de la Route). Produit par Roger Corman et réalisé par Paul Bartel, cette série B d'action fauchée n'est pas seulement devenue culte parce que Sylvester Stallone y apparaît dans le rôle du méchant face à David Carradine avant sa consécration avec Rocky.
Avec ses voitures au design hallucinant qui s'affrontent pour divertir le peuple et faire oublier la révolte qui gronde dans un futur dystopique, le film trouve un parfait équilibre entre critique de la société américaine, délire décomplexé, satire acide et cartoon anarchique, et c’est ce qui le rend aussi jouissif que redoutable.
DRIVE TO SURVIVE
Comme souvent avec Roger Corman, il suffit d'une idée. Le reste n'est qu'un détail. C'est avec ce principe et beaucoup de débrouillardise qu'il a pu enchaîner les films indépendants tournés en quelques jours avec des budgets dérisoires dans tous les genres (du western à la science-fiction en passant par le film de gangsters, de course ou de prison de femmes) et ainsi gagner son titre de "pape" de la série B et Z. La Course à la mort de l'an 2000, à l'origine, n'était rien d'autre qu'une manoeuvre opportuniste de la part du légendaire producteur.
Pour capitaliser sur la sortie de Rollerball de Norman Jewison et son histoire de sport ultra-violent retransmis à la télévision, il décide de le concurrencer en produisant son propre film d'action dystopique d'après une nouvelle d'Ib Melchior appelée The Racer, qui raconte le parcours de deux hommes au volant de véhicules équipés d'armes participant à une course transcontinentale où les points sont attribués en fonction des piétons tués : 10 points pour un homme, 20 pour une femme, 40 pour un adolescent, 70 pour un enfant de moins de 12 ans et 100 points pour les handicapés et les personnes âgées.
Il confie le projet à un de ses protégés, Paul Bartel, qui a réalisé Parties Intimes, une comédie produite par Gene Corman, le frère du producteur, ainsi que plusieurs scènes d'action de Big Bad Mama. Et finalement, malgré plusieurs désaccords durant le tournage, la collaboration entre Roger Corman et le jeune réalisateur fonctionne si bien que La Course à la mort de l'an 2000 sort un mois avant Rollerball.
Plus brut et approximatif que le long-métrage de Norman Jewison, mais aussi plus provocateur et méchant, le résultat est totalement emprunt de cette fibre de cinéma bis qui frôle le mauvais goût et l'impertinence, mais qui lui donne toute son énergie. Il suffit de voir Machine Gun Joe, le personnage interprété par Sylvester Stallone, gagner 40 points au début de la course en écrasant le jeune mécanicien qui travaillait pour lui pour comprendre les ambitions du bonhomme et celles du film.
Stallone est content, et il le fait savoir
La Course à la mort de l'an 2000 est un film d'exploitation qui s'assume en tant que tel, dans la pure tradition des productions de New World Pictures. Malgré un budget famélique estimé entre 300 et 500 000 dollars, le talent et l'ingéniosité dont font preuve Paul Bartel et Roger Corman leur permettent de faire des merveilles avec trois fois rien.
De vieilles Volkswagen décorées avec des autocollants et des morceaux de plastique se transforment ainsi en engins de mort, de la peinture rouge fait office de giclées de sang quand un bébé se fait écraser en gros plan et alors que les voitures ne dépassaient pas les 100 km/h, les caméras embarquées et quelques astuces de montage suffisent pour donner une sensation de vitesse et d'effervescence à la course.
Une course qui va à cent à l'heure (littéralement)
Cependant, derrière le carnage jouissif, le film porte un propos politique sans équivoque contre la société américaine, le gouvernement et les médias, qu'il sert avec le même ton cynique et irrévérencieux que le reste.
Dans ce régime totalitaire des Provinces-Unis d'Amérique, le président est un despote mégalomaniaque qui prononce ses discours comme un télévangéliste apportant la lumière divine, les nazis brandissent fièrement leurs croix gammées dans les gradins, des infirmières disposent des patients en fauteuil roulant sur la route pour "la journée de l'euthanasie" et des commentateurs hystériques au service du gouvernement apparaissent constamment à la télévision pour polluer l'antenne.
Matilda Attila l'Aryenne et son "adorable copilote nazi", Herman le renard allemand
Ce regard satirique qui dénonce la tentation fascisante des États-Unis, la violence outrancière des spectacles télévisés et le voyeurisme du public est même visionnaire par rapport à certaines émissions de télé-réalité ou à l'élection de Donald Trump après s'être moqué d'un journaliste handicapé. Le monde décrit par le film est totalement déconnecté de la réalité, mais pourtant étrangement familier.
Comme Rollerball et d'autres films d'anticipation des années 70 critiquant les dérives de la société et du pouvoir en place, La Course à la mort de l'an 2000 s'inscrit directement dans le climat contestataire de l'époque, mais ne se prend jamais au sérieux pour autant.
Il est vraiment très très content
Massacre à la tamponneuse
Car si cet univers dystopique tient aussi bien la route, c'est grâce à la carte du fun et cette ringardise assumée. Un second degré permanent qui s'illustre notamment à travers les pilotes et leurs bolides : aussi dangereux et psychotiques les uns que les autres, ces gladiateurs de la route sont tous des caricatures déjantées dont la personnalité est directement symbolisée par leur surnom et le design de leur véhicule : Calamity Jane Kelly et sa voiture-taureau, Néron et sa voiture-lion et la voiture-Panzer de Matilda Attila. Parmi tous ces personnages excentriques, Frankenstein et sa combinaison de cuir entre super-héros et soumis BDSM accaparent toute l'attention et se retrouvent toujours mis en valeur.
Quand on te dit que c'est une soirée déguisée alors que non
Sous le costume du héros défiguré, David Carradine, à peine sorti de la série Kung Fu qui l'a fait connaître, conserve la même sérénité et le même détachement. Un calme froid qui contraste totalement avec le reste et qui donne lieu à des passages particulièrement sinistres, comme quand une fan lui fait comprendre qu'elle est prête à tout pour qu'il gagne.
Face à lui dans le rôle du rival et éternel second, Sylvester Stallone est tout simplement remarquable. Même si l'acteur n'a qu'un rôle secondaire, sa performance de gangster débile et violent qui hurle sur tout ce qui bouge est tellement drôle et loin de ce qu'il deviendra dans Rocky et Rambo qu'il volerait presque la vedette au héros.
Il est moins content, tout de suite
Cet esprit généreusement décomplexé et grotesque qui porte le film n'est présent que grâce à Paul Bartel. En effet, s'il a toujours donné un sous-texte plus ou moins politique à ces films, que ce soit le propos social sur le sort des immigrés dans Eating Raoul ou la lutte des classes qu'il met en scène dans Scenes from the Class Struggle in Beverly Hills, le réalisateur a ensuite confessé qu'il n'avait aucun intérêt pour les grosses cylindrées, et c'est pour ça qu'il les filme comme un gamin qui aurait troqué ses petites voitures pour des machines à tuer taille réelle.
Alors que Roger Corman misait sur la violence graphique, avec des corps écrasés et des gens empalés sur les carrosseries, c'est lui qui a insisté pour garder cet humour inspiré des comédies de course automobile des années 60 comme La Grande Course autour du monde ou Gonflés à bloc.
Si Vector le crocodile avait sa propre voiture
Et à la vision du personnage de Machine Gun Joe tirant à la mitraillette comme un dégénéré sur la voiture-alligator de Frankenstein, le film ressemble presque à une version plus vraie que nature des Fous du Volant, ou à une sorte de Mario Kart sanguinaire, où les cascades et les situations surréalistes s'enchaînent aussi vite que les cadavres s'empilent.
Les engins à la conception délirante, les interventions absurdes des commentateurs, l'esthétique kitsch des décors et des costumes, la surenchère constante : tout contribue à cette dimension pleinement cartoonesque que prend le film, et Paul Bartel n'hésite pas à carrément reprendre un gag de Bip-Bip et Coyote en faisant passer une des voitures dans un faux tunnel qui l'envoie dans un ravin. Rien d'étonnant à partir de ce moment-là de voir un diacre qui bénit les concurrents avant d'être sauvagement renversé ou un torero qui apparaît de nulle part pour combattre la voiture-taureau.
Là, il n’est vraiment pas content du tout
Contrairement à Rollerball, Running Man et d'autres films du genre, La Course à la mort de l'an 2000 ne se sert pas de son univers dystopique et de sa course futuriste meurtrière pour développer une analyse politique profonde, mais pour proposer un spectacle aussi jubilatoire que méchant.
Comme un ancêtre de Grand Theft Auto V où le but du jeu serait d'écraser le plus de joueurs, le film entier est un délire satirique qui se nourrit de son époque pour encore mieux la parodier, et s'il est peut-être moins profond ou politiquement pertinent, il est définitivement plus drôle et percutant, encore aujourd'hui.
70 points qui attendent d'être récupérés sous les roues
Et alors qu'il n'était supposé être qu'une petite série B opportuniste, La Course à la mort de l'an 2000 a rapidement gagné un statut culte et inspiré tout un tas d'autres films, comme Les gladiateurs de l'an 3000 (encore avec David Carradine), Cannonball (réalisé aussi par Paul Bartel, toujours avec Carradine à l'affiche) et peut-être même d'autres oeuvres comme Hunger Games ou Battle Royale dans une certaine mesure.
En plus du remake de Paul W.S Anderson en 2004 avec Jason Statham et ses trois suites, le film a aussi eu le droit à une nouvelle version produite en 2017 par Roger Corman en personne qui se veut être la suite officielle : La Course à la mort de l'an 2050 de G.J. Echternkamp, avec Manu Bennett (Spartacus, Arrow) en tant que nouveau Frankestein. Aucun ne réussit à être aussi fun et malin que La Course à la mort de l'an 2000, et c'est sans doute pour ça qu'il est aussi un des meilleurs de films de courses de l'histoire du cinéma (mais ça, c'est une autre histoire).
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le fait que le film ne se prenne pas au serieux et assume son budget fauché en fait un film Kulte!
en france on a l’equivalent de max Pecas, genre film comique avec budget fauché,du cinema Zedeux nanardesque
Ca a un peu vieilli mais c’est de la série B sympa à mater.
Merci pour la découverte.Pour une fois que vous parlez d’un film que je n’ai pas vu. Je vais me le faire direct ce soir. Je suis tombé par hasard ya pas longtemps sur les gladiateurs de l’an 2050 bien sympa.
Sinon il y a une série bien déjanté et gore qui a l’air d’y ressemblait ou les voitures tourne aux humains comme carburant. C’est blood drive
@Flash
Et oui les VHS glanées au hasard et les bons moments qui en découlent.
J’étais bien jeune mais le film était tellement barré que ça nous faisait marrer de honte de compter les points entre Carradine le cool et Stallone le vilain.
On dirait le jeu karmagedon, même le design des voiture y fait penser!
Acheté avec un Mad Movies, ce film fait parti des surprises inattendues que je ne connaissais pas. J’ai toujours le DVD et il passe de temps en temps dans mon lecteur et ça passe toujours aussi bien.
Ps s’être en forme en ce moment, vous ne parlez que des films que j’aime 🙂
C’est exactement ça, fauché et fun. Du plaisir Z.
Vu il y a très longtemps, à l’époque bénie des vidéos clubs.
C’était assez fauché, Stallone jouait comme une savate.
Mais c’était vraiment fun.