Malgré son échec initial, L'Associé du Diable de Taylor Hackford est rapidement devenu culte. Essayons de comprendre ce qui rend le film si unique.
Malgré un accueil très frileux au box-office lors de sa sortie initiale en 1997, L’Associé du Diable de Taylor Hackford est parvenu avec le temps à se créer une réputation d’œuvre culte. Un joli succès d’estime qui ne faiblit pas au fil des années.
On pouvait pourtant penser qu’avec ses imperfections évidentes et sa morale chrétienne très prononcée le film ne parviendrait à s’imposer que chez un public extrêmement restreint. Comment peut-on donc expliquer ce succès sur le long terme ? Qu’est-ce qui fait de L’Associé du Diable une œuvre taillée sur mesure pour marquer durablement l’esprit de son spectateur ? Essayons d’analyser ce phénomène unique.
LE MAL DE L’ÉPOQUE
Dans les années 90, le réalisateur Taylor Hackford bénéficie d’une popularité impressionnante. Avec des succès comme Les Princes de la ville, il parvient à séduire un large public tout en proposant un cinéma générationnel, caractéristique de sa décennie. Et il va confirmer une fois de plus sa maîtrise parfaite des codes de son époque avec L’Associé du Diable.
Premier point évident, il parvient à mêler les genres les plus populaires du moment. Tout d’abord le film de procès, un genre revenu en grande force après les triomphes critiques et commerciaux de Philadelphia, Des hommes d’honneur ou encore Un cri dans la nuit. Notons cependant que Hackford prend un malin plaisir à légèrement détourner le poncif attendu du héros justicier. Son avocat est vaniteux, sans morale et défend les pires ordures pour sa propre gloire.
Qui dit cinéma des années 90 dit forcément polar. L’explosion d’un certain David Fincher a ravivé la flamme du genre et là encore Hackford reprend certains codes de l’époque. Mais c’est surtout la mode du film à twist qui va l’inspirer. Usual Suspects et Seven ont ouvert le bal et cette quête de la chute-choc va atteindre son paroxysme quelques années plus tard avec Sixième Sens ou encore Fight Club. Un artifice de narration qui permet de marquer durablement le spectateur, d’attirer massivement un public en quête d’un certain frisson.
Le cinéaste montre également son talent pour cerner l’époque en optant pour un casting particulièrement malin. À l’écran, il marie espoirs prometteurs et grands noms prestigieux. Keanu Reeves n’est peut-être pas encore le Neo de Matrix, mais il a déjà brillé dans Point Break et Speed. Charlize Theron commence à peine à se faire remarquer après That Thing You Do! et il n’est pas absurde de considérer L’Associé du Diable comme son premier grand rôle tant le registre qu’elle propose est complexe à maîtriser.
Enfin, le vétéran Al Pacino est encore au sommet de sa gloire à ce moment-là. Pour rappel, il a enchaîné quasiment coup sur coup L’impasse, Heat et Donnie Brasco. Et son incarnation d’un diable extravagant et délicieusement maléfique peut être perçue comme une réponse à son compère et rival de toujours Robert De Niro, quelques années après Angel Heart.
Comment ça, De Niro est un meilleur diable ?
Mais c’est surtout du côté des thématiques principales que Taylor Hackford canalise parfaitement l’esprit de sa décennie. Les années 90 seront marquées par des œuvres qui dégagent une forme d’énergie du désespoir. Une angoisse existentielle souvent liée à l’arrivée imminente du nouveau millénaire. On peut évidemment penser au choc Strange Days qui explicite brillamment cette idée, mais également à Matrix ou Fight Club qui la traitent de façon plus indirecte.
En ce sens, L’Associé du Diable condense parfaitement les angoisses de son époque. Il va même annoncer directement ses intentions lors d’un monologue inoubliable qui évoque le nouveau millénaire comme étant "un combat pour le titre" entre le Bien et le Mal. Mais au-delà de la simple leçon de morale chrétienne, le film se questionne essentiellement sur la bascule d’un monde moderne qui s’écroule sous les craintes et les incertitudes.
Un style capillaire qui n'a (heureusement) pas survécu au nouveau millénaire
LA SURPRISE DU CHEF
On avait déjà remarqué avec Les Princes de la ville et Dolores Claiborne l’amour de Taylor Hackford pour les dialogues percutants, qui restent en tête. Cette ambition prend cependant un tout autre niveau avec L’Associé du Diable. Tout le film est construit autour de cette envie de véhiculer des phrases marquantes.
Al Pacino a d’ailleurs le beau rôle dans cette affaire puisqu’il se voit attribuer deux monologues inoubliables. Ces longues tirades qui mêlent théologie et constat social peuvent apparaître comme l’avant-goût d’un procédé que Spike Lee poussera à son paroxysme quelques années plus tard pour la scène culte de La 25ème heure. Spoiler : la technique fonctionne parfaitement pour L’Associé du Diable. Impossible aujourd’hui de regarder le moindre extrait du film sur internet sans qu’un fan ne cite de tête par cœur ces monologues.
Je peux te voler un monologue ?
Au-delà des dialogues, l’envie de marquer les esprits se retrouve également dans l’écriture du scénario. Plutôt que de tout arrêter sur un twist un peu brutal, le cinéaste offre pas moins de trois retournements choquants pour conclure son récit. Il nous révèle le vrai père de Kevin Lomax, l’identité réelle de John Milton et nous annonce enfin que tout n’était qu’un rêve, une hallucination ou une crise de foi. Hackford nous réserve même une pirouette finale lors du tout dernier plan.
Difficile de nier que cet enchaînement de surprises frôle l’indigestion, mais le réalisateur semble totalement conscient d’en faire trop. Il y a une vraie joie ludique qui apparaît alors, transformant un exercice trop sérieux en délire assumé franchement plaisant.
Et si on ajoutait un autre twist ?
Autre atout majeur de l’écriture, le film évite de se limiter à une morale chrétienne basique. Cela va de soi, on a droit à un sempiternel laïus sur la notion de Bien et de Mal, la Bible et les péchés capitaux. Mais il serait malvenu de résumer toute l’œuvre à ces seules interrogations. L’Associé du Diable va également puiser dans de nombreuses autres références et inspirations afin de ne pas s’aliéner toute une partie du public.
On pense évidemment à Faust ou à John Milton et Le Paradis Perdu – difficile de ne pas saisir le clin d’œil lorsque le personnage incarné par Al Pacino porte le même nom que l’auteur. C’est cette tradition littéraire qui permet au film d’élargir ses thèmes et son questionnement. Notons au passage que si L’Associé du Diable est tiré d’un roman, il choisit d'en balayer totalement certains aspects très conservateurs, notamment une homophobie sous-jacente particulièrement prononcée.
ET LA LUMIÈRE FUT
S’il cherche par tous les moyens à marquer l’esprit des spectateurs, Taylor Hackford veut également offrir une expérience visuelle mémorable. Dans son ensemble, le long-métrage a une mise en scène propre, quoique relativement classique. Mais cet aspect faussement académique permet justement de faire ressortir de façon plus claire les plans censés avoir un impact particulier. On peut penser à la séquence hallucinante du bébé dans la chambre vide, à la dernière tentation de Kevin avec les sculptures qui prennent vie.
Ces bascules souvent horrifiques ou surréalistes prennent ainsi une ampleur unique. C’est donc bien en respectant les codes visuels très sobres du film de procès que le cinéaste se permet de nous choquer lorsqu’il brise les règles. Le décalage fonctionne à merveille.
Autre contraste brillant, Hackford digère les influences du thriller paranoïaque dans sa mise en scène. On peut notamment penser à la séquence de course qui conduit à la mort de Eddie Barzoon. Là encore, le style visuel particulièrement froid et clairement ancré dans le réel permet de rendre crédibles les apparitions surnaturelles. Cette idée de rendre tangible, voire charnel, le spirituel tient pour beaucoup dans l’efficacité redoutable de L’Associé du Diable.
Au final, malgré un postulat de base assez convenu et de grosses ficelles scénaristiques, L’Associé du Diable a marqué les esprits grâce à un savoir-faire indéniable. Taylor Hackford comprenait parfaitement l’esprit des années 90. Mais il n’oubliait pas non plus d’être un metteur en scène intelligent et de soigner son écriture. Tous les ingrédients nécessaires à la fabrication d’un film culte étaient bien réunis.
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C’est quand même fou de voir que ce film passe les années sans problème. Après votre article j’ai limite envie de le revoir. Spoiler alert : regardez plutôt Rosemary’s haby dans le même genre,c’est bien meilleur. (Ou alors la fin des temps avec schwarzy en genre bien plus mauvais)
J’aime bien la 1ère heure du film après ça devient un peu over the top pour moi!
Et Al Pacino en mode roue libre c’est tellement absurdement drôle (si on a 3 grammes).
Et puis pour Charlize Theron, j’ y reviens de temps en temps pour ce visionnage!
Selon moi, l’un des meilleurs films/rôles de keanu reeves, le film dure près de 2h20 mais passe assez vite, charlize theron, inconnue alors, est excellente, aussi, et j’ai toujours trouvé le film assez glauque, dans l’ensemble.
Dans la rubrique « pas si nul que sa », j’aimerais bien voir des articles pour les films suivants, le temoin du mal, total western, ou l’île du docteur moreau.
La vanité, c’est décidément mon péché préféré. C’est tellement fondamental. Le narcissisme, c’est notre propre opium….
Une vraie bonne surprise que ce film à l’époque !