Sa beauté incandescente a embrasé les écrans. De Hedy Lamarr ne subsistent qu’une poignée de films, pas franchement honorables. Sous le sceau du scandale, son passage éclair à Hollywood occulte une carrière de Géo Trouvetou trop longtemps minorée.
1936. Walt Disney ne ferme plus l'œil de la nuit. Les ratiocinations le tiennent éveillé. Comment damer le pion aux Fleischer Studios ? Les pères de Koko le Clown et Betty Boop rêvent de passer au format long. Walt, lui, a déjà les mains dans le cambouis. Le journaliste James Thurber (La Vie secrète de Walter Mitty) lui a conseillé d’adapter L’Illiade ou L’Oydssée. Douglas Fairbanks a suggéré Les Voyages de Gulliver. Sa femme Mary Pickford préférerait Alice au pays des merveilles. Le nabab de l’animation a finalement tranché en faveur d’un conte de fées des frères Grimm, Blanche-Neige.
Voilà déjà près d’un an que les quelque 500 employés de Disney noircissent du papier jour et nuit après avoir longuement potassé des bouquins d’anatomie. Pour sa part, Walt s’est épuisé dans d’interminables sessions de casting à la recherche du visage de Blanche Neige. Au total, 150 prétendantes ont défilé dans les locaux dans son petit commerce de cinéma d’animation. La victoire a été décrochée par une adolescente de 14 ans, Marge Champion Marge, pommettes saillantes et lèvres incarnates. La légende retiendra que Walt Disney s’est inspiré de Hedy Lamarr, une beauté empoisonnée originaire d’Autriche.

La cage dorée
Sois toi-même. Peut-être n’a-t-on jamais donné meilleur conseil à Hedwig Kiesler. Peut-être aussi l’adage a-t-il fourvoyé en chemin la jeune fille venue d’une autre planète. En l’espèce, Vienne, foyer culturel bouillonnant lorsqu’elle voit le jour en 1914. Sa mère, Gertrud, talentueuse pianiste juive (retirée des affaires) originaire de Hongrie, se lamente de ne pas avoir mis au monde un garçon. Hedwig nouera des liens plus solides avec son géniteur, Emil, affable directeur de banque. La famille désaccordée réside dans le quartier artistique de Vienne, bercé par les coups sourds des brigadiers et les symphonies de Brahms.
Alors que les grondements des canons de la Première Guerre tonnent encore à des milliers de kilomètres, Hedwig chamboule tout sur son passage. La grâce immaculée de son visage diaphane embrase les cœurs. Sous l’impulsion d’hormones bourgeonnante, l’enfant terrible des Kiesler s’encanaille. Tantôt dans les salles obscures, subjuguée par la femme-robot du Metropolis de Fritz Lang. Tantôt auprès d’un photographe qui l’immortalise dans le plus simple appareil. La majorité pas encore sonnée, Hedwig décide de capitaliser sur son joli minois et passe la porte de Sascha-Film, épicentre de l’industrie cinématographique viennoise.
On lui sert d’abord de maigres rogatons saveur navet. Une figuration par-ci, une silhouette par-là. Jusqu’au tournant libidinal. En 1931, le metteur en scène tchèque Gustav Machatý la dénude dans Ekstase, pastiche de L’Amant de Lady Chatterley. La jeune actrice s’ébroue dans l’eau, court à travers bois poitrine offerte aux quatre vents et se donne la petite mort... Le corset bourgeois des Kiesler explose. « Gustave Machaty avait trois ans plus tôt réalisé un film qui s'appelait Erotikon qui était à peu près de la même On ne peut pas imaginer qu'elle ait fait ce film par accident », cadre Serge Bromberg dans le documentaire Une vie, une œuvre, sorti en 2017.

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