Doctor Strange : le désastreux film Marvel que tout le monde a oublié

Prescilia Correnti | 4 mai 2022 - MAJ : 04/05/2022 14:31
Prescilia Correnti | 4 mai 2022 - MAJ : 04/05/2022 14:31

Bien avant Disney et Benedict Cumberbatch, le super-héros Marvel Doctor Strange a eu droit à un film. Qui mérite d'être oublié.

Encore méconnu du grand public il y a quelques années, le puissant sorcier des comics Marvel  est aujourd’hui l’un des héros les plus plébiscités du MCU, sous les traits de Benedict Cumberbatch.

Après un premier film en 2016 qui avait amassé près de 677,7 millions de dollars au box-office mondial, le docteur Steven Strange a vu sa côte exploser grâce aux deux Avengers : Infinity War et Endgame. Et Doctor Strange in the Multiverse of Madness est là pour le rappeler. C'était donc l'occasion idéale pour ressortir des placards une adaptation oubliée des comics, sortie en 1978.

 

photoRien que là ça pique les yeux hein ? 

 

À cette époque, la chaîne ABC tient des records d’audience grâce à ses séries phares : L'Homme qui valait 3 milliards et Wonder Woman. Face au succès (inattendu), Frank Price, l’ancien dirigeant d’Universal Télévision, décide de s’intéresser au potentiel commercial de ces séries et de ces adaptations comics. Après quelques négociations, Universal acquiert les droits pour L'Incroyable Hulk. De 1977 jusqu’à sa fin en 1990, la série est une franche réussite. De quoi donner quelques autres idées d’adaptations, qui mèneront à la création de Captain America et quelque temps plus tard de Doctor Strange.

Réalisé par Philip DeGuere avec Peter Hooten et Jessica Walter, le téléfilm Doctor Strange diffusé en 1978 devait être un épisode pilote à une série en devenir, que les showrunners espéraient aussi populaire que L’Incroyable Hulk. Malheureusement, la magie n’a pas pris. On aurait pu croire qu’un héros aussi bizarre que Doctor Strange, dans les années 70 aurait pu fonctionner. Mais alors, que s’est-il passé ? 

 

 

UN LANCEMENT pas SI SUPRÊME 

Ce téléfilm étrange est né d'une envie des patrons de CBS de reprendre le pouvoir sur l'audimat dans les foyers américains. Alors qu'elle procède à sa "Grande Purge TV Rurale", la chaîne cherche donc la poule aux oeufs d'or qui va faire gonfler les chiffres des audiences de la semaine.

En septembre 1977, la chaîne a lancé Spider-Man et L'Incroyable Hulk, puis elle s'est sentie tellement concernée par le genre qu'elle a repris la production du dessin animé en direct d'ABC, Wonder Woman. Le succès relatif de ces programmes a encouragé CBS à faire un grand saut dans le monde des héros surnaturels.

Après validation du contrat avec Marvel, le Strange projet a été donné au scénariste, réalisateur et producteur Philip DeGuere, qui a eu un budget important pour le téléfilm, lequel a été tourné sur des décors élaborés dans le terrain d'Universal à Los Angeles.

photoUn programme pour toute la famille et surtout les petits

 

Lorsque Dr. Strange a été diffusé le 6 septembre 1978, les responsables de la chaîne CBS pensaient qu'ils avaient là leur nouveau Golden Ticket. Malheureusement, le téléfilm n’a clairement pas réussi à séduire l’audimat et ce, pour deux raisons principales. La première c'est parce que le soir même de sa diffusion, la chaîne concurrente ABC programmait une rediffusion de la mini-série Racines.

Ce qu'il faut comprendre c'est qu'à cette époque, seulement trois chaînes se partageaient les audiences américaines et la guerre pour les meilleurs créneaux du soir était féroce. Malheureusement pour CBS, Racines a dominé toute la nuit, éclipsant de très loin Dr. Strange. Lorsque les résultats sont tombés, le coup a été (très) dur pour DeGuere, qui avait fait pression sur Peter Hooten pour qu'il joue le rôle de Strange contre les craintes qu'une plus grande star ait été meilleure pour le projet.

 

photo, John MillsTu te fiches de moi avec ton exposé pourri ? 

 

La seconde raison, c'est parce que le public aurait été mal averti sur le programme. Ce n'était pas très clair et hormis les fans de l'époque de la bande dessinée, la famille américaine moyenne ne savait pas trop quoi penser de ce récit de super-héros nébuleux et lent, sur un psychiatre se retrouvant dans une bataille séculaire entre le bien et le mal. 

Pour beaucoup, cette production de Dr. Strange est un peu le canard boiteux de Marvel : une progéniture trop ancienne qui a sonné comme un échec monumental en raison de l’hésitation autour de sa ligne de création, et des critiques désabusées qui ont suivi derrière. "Il voulait que tout soit vraiment parfait. On pouvait voir dans le téléfilm qu'il était vraiment fait de manière assez spectaculaire", a raconté depuis l'actrice Jessica Walter.

Malgré tout, Doctor Strange n’est pas si terrible, si on prend un tant soit peu le temps d’analyser avec quel sérieux (et dans certains cas) les réalisateurs ont habilement mené quelques plans de leurs projets. 

 

photoQuand tu t'es parée pour Halloween

 

UNE ADAPTATION FIDÈLE ? 

Dr. Strange a une ouverture assez intense et étrange : plans fixes de divers lieux, personnages et dessins à l'allure satanique, une musique lourde qui aurait parfaitement sa place dans un film d'horreur italien des années 1970. Si vous ne saviez pas déjà que Dr. Strange est basé sur un comics, vous n'en auriez aucune idée d'après cette ouverture.

Le film s’ouvre sur la sublime Morgan Le Fay (Jessica Walter, bien avant d'être l'horrible mère d'Arrested Development), lancée dans un monologue sur le bien et le mal avec le démon Balzaroth, une sorte de nuage démoniaque aux yeux rouges. Piégée dans un entre-deux mondes, elle se voit alors confier une mission : détruire leur ennemi, un grand sorcier que les fans de comics ont probablement pris pour l’Ancien, le seigneur des arts mystiques.

Sauf que non. Dans ce film, l’Ancien est plutôt un vieux sorcier surnommé Lindmer, et campé par l’acteur oscarisé John Mills. Sur Terre, Lindmer sent ses pouvoirs magiques diminuer et cherche à transmettre son savoir. Commence alors une course contre la montre : Morgan a trois jours pour stopper le sorcier, et faire passer son successeur du côté obscur de la Force (de Balzaroth).

À noter que, contrairement aux comics, le personnage de Morgan LeFay apparaît dans le rôle de l'ennemi du Docteur Strange. Curieusement, Morgan LeFay a été introduit durant l'âge d'argent de la bande dessinée Marvel dans Spider-Woman #2 (après une apparition dans un rêve dans Son of Satan #8), quelques mois seulement avant la date de diffusion de ce film, et n'a pas rencontré Doctor Strange avant Avengers #240-241, publié en 1984 !

 

photo, Jessica WalterLa belle, superbe et magnifique Jessica Walter

 

Retour sur Terre. Nous sommes présentés à Wong (Clyde Kusatsu) qui s'occupe du vieil homme dans le Sanctum Santorum. Wong est un personnage qui a été horriblement représenté comme un serviteur dans les premières bandes dessinées de Dr. Strange. Ici, il fait un peu figure d'homme personnel façon Alfred, et n'est pas réellement mis en avant.

Il faudra pour cela attendre le film de 2016 Doctor Strange pour apercevoir un traitement nettement plus favorable et moderne de Wong où il deviendra le professeur de Strange et plus tard, un ami,  éliminant ainsi toute relation maître-serviteur.

 

photo, Anne-Marie MartinAnne-Marie Martin dans le rôle de la pauvre victime

Lorsque nous apercevons Steven Strange (Peter Hooten) pour la première fois, il exerce en tant que psychiatre dans un hôpital. Avec sa gueule de "porno-guy" des années 70, petite coupe afro et petite moustache, il dénote complètement dans son environnement et en devient (à son insu) parfois hilarant à regarder. Il se pavane parfois littéralement dans le film, sortant des répliques comme si quelqu'un lui faisait télépathiquement dire les siennes, toujours avec une légère lueur dans les yeux et un sourire narquois sur les lèvres.

Il tâtonne, discute avec quelques infirmières qui le regardent subtilement du coin de l’oeil. Et comble de l'ironie, s'il ne parvient jamais à faire passer une once de l'arrogance de Strange dans les comics, son interprétation mêlée à cette bande-son funky des années 70 de Paul Chihara parvient à vous transporter.

 

photo, Peter HootenArrogant vous avez dit ? Connais pas ce terme, c'est quoi ? 

 

TROP AMBITIEUX OU EN AVANCE SUR SON TEMPS ?

Si l'on considère que la magie et les cultes sataniques faisaient fureur dans la culture populaire de la fin des années 60 et des années 70, tout aurait pu laisser penser qu'Hollywood avait raison de croire au potentiel de Dr. Strange. D'autant plus que la plupart des scènes de l'autre monde restent floues et drapées dans l'obscurité, ce qui rend le film moins ridicule que Spider-Man ou Captain America.

Pourquoi ça n'a pas marché ? L'interprète de Wong a une idée :

"Je ne pense pas que le public était prêt pour ce genre d'autre monde. Si vous regardez autour de vous à cette époque, si vous regardez le vieux truc de Hulk, c'était assez primaire. Mais nous avons fait du mieux que nous pouvions sans beaucoup d'écrans verts, d'images de synthèse et tout ça. C'était une expérience formidable".

Dans une interview réalisée en 1985 avec Comics Feature, Stan Lee en parlait en positif :

"C'est probablement sur ce projet que j'ai eu le plus mon mot à dire. Je suis devenu ami avec le scénariste et producteur Phil DeGuere. J'étais satisfait de Dr. Strange et L'Incroyable Hulk. Je pense que Dr. Strange aurait bien mieux marché côté audiences, s'il n'avait pas été en face de Racines. Ce sont les seules expériences que j'ai eues avec des adaptations live à la TV. Dr. Strange et L'Incroyable Hulk étaient bien. La série Spider-Man des années 70 a été un cauchemar total."

 

photo, Peter HootenUne tenue conçue spécialement pour le long-métrage

 

"Parce que DeGuere était à la fois écrivain et réalisateur, il savait précisément ce qu'il cherchait en créant ce film", a depuis expliqué Frank Catalano, qui a joué un petit rôle d'aide-soignant dans l'hôpital de Strange.

"Ils essayaient de comprendre comment cela pouvait fonctionner", ajoute Clyde Kusatsu de son côté."Il y avait beaucoup de temps mort parce que ce qu'ils essayaient de capturer ce qui ne pouvait pas être capturé. Enzo A. Martinelli, un vrai ténor du cinéma, essayait de faire en sorte que cela fonctionne. Mais le temps nous manquait cruellement alors que les dépenses étaient lancées. Cela coûte de l'argent..."

 

photo, Clyde KusatsuClyde Kusatsu, sauvant ce qu'il peut du film

 

NANAR OU NOT NANAR ?

Pourtant, tout n'est pas catastrophique dans Dr. Strange. Le directeur artistique William Tuntke (nommé aux Oscars pour Le Mystère Andromède ) n'a pas manqué d'ambition pour dépeindre ce sombre royaume "au-delà du seuil" dans lequel Jessica Walter évolue.

Dans une tentative baroque d'élever un scénario discret, il va alors utiliser de manière experte des planétoïdes flottants, des amas d'étoiles, des paysages gazeux et des orbes gonflés et bordés de canaux pour livrer un monde merveilleusement sombre et empyrée. C'est évidemment une tentative de rendre hommage davantage au comics de Frank Brunner de 1974, qu'au matériel original du créateur de Doctor Strange, Steve Ditko.

Tout aussi impressionnante est la vision inspirée de Tuntke du Sanctum Sanctorum. Claustrophobe s'abstenir, le sanctuaire est composé d'un enchevêtrement de passages étroits et stuqués, reliant des chambres d'hobbits archaïques encombrées par le décorateur Marc Meyers, qui a choisi de s'inspirer des bric-à-brac anciens et des accessoires occultes de Yarek Alfer. Ce design met également en évidence le symbolisme de l'habitation comme un coeur desséché en hibernation, attendant le nouveau sang du nouveau sorcier, Stephen Strange, pour le ramener à la vie.

 

photo, John MillsBilbon Sacquet écrivant les prémices de son livre 

 

Toutefois, même s'il n'est pas si affreux que ça, le téléfilm présente certains gros problèmes, notamment dans la tentative de contrepoint sérieux, mais très bancal du jeune scénariste et réalisateur Philip DeGuere. C'est la preuve de la main incertaine d'un réalisateur inexpérimenté, submergé par la nécessité de raconter une histoire linéaire, tout en devant créer le sentiment d'inquiétude qu'exige l'horreur surnaturelle. 

Dans sa tentative de rendre l'irréel plus palpable et crédible, le réalisateur a rendu le récit plus fort dans les séquences occultes ; et les décors plus banals du monde normal sont imprégnés d'une inquiétante étrangeté, comme si la réalité se fissurait. Mais cela ne fait qu'étouffer toute l'affaire, et atténuer le suspense déjà mou. 

La version restaurée sortie en 80 sur VHS a permis de redorer un petit peu l'image du téléfilm, mais Universal et/ou Marvel ont pratiquement enterré et oublié Dr. Strange. Comme l'Ancien a donné une seconde chance à la bande dessinée Dr. Strange, il mérite lui aussi une seconde chance. Son arrivée en DVD en 2016 aux États-Unis a peut-être aidé.

Parce qu'avec le recul, difficile de ne pas se dire que cet imparfait Dr.Strange était un peu en avance sur son temps, osant adapter un comics à une époque où le grand public se souciait peu des super-héros. L'ironie étant que la même année, la superproduction Superman de Richard Donner prouvera le contraire, pour définitivement mettre la puce à l'oreille des producteurs...

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commentaires
Flash
04/05/2022 à 17:36

@Scaryangel et le Capt América sortie à peu près à la même époque, avec Reb Brown, j’avais environ 12 ans, et j’avais trouvé ça génial ha ha ha!

Tearsin Rayne
04/05/2022 à 15:10

C'est en bonne partie pour ce genre d'articles que je viens tous les jours sur EL. Alors merci !

Je ne me coucherai peut-être pas moins con ce soir, mais je serai un peu moins inculte; ça c'est sûr.

Scaryangel
11/11/2020 à 12:36

Et encore, vous n'avez pas vu comme moi en 78, "L'homme-araignée" au cinéma. ????

Doctor
28/10/2020 à 21:06

Mais va te faire, le film marvel est sublime. Il y a une bonne histoire et les montages sont géniaux.

Geoffrey Crété - Rédaction
04/10/2020 à 18:15

@Deny

Aucunement vexé, juste surpris ! Je n'avais pas saisi le clin d'oeil en plus, ce qui m'a encore plus étonné et laissé perdu face à votre réponse. Maintenant je comprends mieux, et merci ;)

Bad Romance
04/10/2020 à 14:44

ba , y a que moi que le gros pentagramme irrite?
le Benedict dans le Strangelove 2016, il est dans le privé un haut gradé franc macon du rite ecossais, moi j'ai quelques photos de lui en belle tenue franc mac avec l'echiquier noir et blanc derriere mdr;
donc le Marvel et le pentagramme c'est une longue histoire,

Deny
04/10/2020 à 13:27

@Geoffrey Crété - Rédaction, j'ai dit "étrange" pour Doctor strange!!!!
Désolé si je vous ai froissé (en plus je vous défendais!!)
Par contre, m'associer à @Saddam me vexe, moi qui aime beaucoup votre site c'est pas sympa!

Powak
04/10/2020 à 12:44

@saddam
Si c'est minable de faire un article pour expliquer plein de choses et donner un avis, toi t'es quoi à venir dire ça sans avoir lu l'article visiblement ? J'aimerais rester poli mais tu m'as l'air bien idiot et vulgaire en plus. Minable en puissance. Si t'aimes pas lire plus de 3 lignes, ça sur Twitter et laisse les adultes bien élevés entre eux

Tom’s
04/10/2020 à 12:44

Un article intéréssant bien renseigné . Maintenant la suite est un des films les + attendus Sam Raimi va relever le niveau si il a assez de liberté sur celui ci, ça pourrait être excellent !!

Geoffrey Crété - Rédaction
04/10/2020 à 12:41

@Saddam @Deny

Bizarre de reprocher ça quand l'article passe pas mal de temps à dire en quoi le film a aussi ses qualités, ses ambitions et parfois ses réussites, au point que Stan Lee l'aimait bien. D'autant que l'intérêt de revenir sur un tel projet, c'est de poser le contexte et des infos, puisque le titre signale bien que c'est peu connu.
J'ai donc vraiment du mal à voir ce qu'il y a d'étrange à faire un dossier fournis, et encore plus à voir ce qu'il y aurait de "minable"...

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