Critique : La Grève

Réalisé en 1924, à une époque où le cinéma en Russie était un art d'avant-garde qui cherchait à accompagner la révolution bolchévique, La Grève est le premier film d'Eisenstein qui s'était déjà fait remarqué au théâtre et c'est aussi un film manifeste, représentatif de ses grandes théories du montage qui l'accompagneront tout au long de sa carrière.

Premier film d'une série censée montrer le mouvement ouvrier et son évolution, le film prend place au cours des longues grèves de 1912. Ici, la politique tsariste est violemment condamnée au profit d'un prolétariat maltraité. Pourtant, sans le traitement opéré par Eisenstein, ce même film aurait pu faire passer un message complètement différent, un message de soumission des ouvriers au patronat. Ce qui fait la différence c'est justement la puissance du cadre et le rythme des images, parfois montées au photogramme près : des gros plans sur le visage cruel de patrons solitaires dans leur tour d'ivoire, un bébé qui tombe de plusieurs étages et s'écrase mort à cause de la police, une dynamique qui oppose la qualité d'action d'ouvriers qui espèrent voir leur condition s'améliorer face à celle de la répression.

La Grève est composé de séquences exemplaires qui en font l'un des films politique les plus intenses et violents. Les masses sont mises en scène avec une vigueur inédite, opposées en cela aux individus qui paralysent un système qui cherche à se mettre en place. Seule une foule ordonnée peut faire changer les choses. La répression finale est d'ailleurs éloquente. A partir du moment où les ouvriers paniquent, ils sont perdus et le sang coulent. La célèbre métaphore bouchère, qui met en parallèle une vache égorgée avec les atrocités commises par la police et les dirigeants au pouvoir, est l'une des plus terribles du cinéma.