Critique : Coffret Jacquot (La Désenchantée - La Fille seule - À tout de suite)

Erwan Desbois | 15 janvier 2007
Erwan Desbois | 15 janvier 2007

Plutôt que de simplement éditer en DVD A tout de suite, l'avant-dernier long-métrage de Benoît Jacquot, MK2 a eu la bonne idée de l'inclure dans un coffret thématique regroupant deux autres films du réalisateur qui sont autant de variations sur le même sujet : le passage à l'âge adulte d'une adolescente rebelle. Mis bout à bout (dans l'ordre inverse de leur sortie), les titres des trois films forment d'ailleurs une sorte de rengaine définissant la tonalité de ces œuvres. A tout de suite, la fille seule désenchantée, pourrait-on en effet dire à chacune des trois héroïnes.


Avec ses beaux élans de romantisme mais aussi certains tics et poses énervants du cinéma d'auteur français, La désenchantée (1990) est une sorte de brouillon de ce qu'a à offrir le réalisateur lorsqu'il se met en tête de suivre d'aussi près une jeune actrice. Judith Godrèche interprète le personnage principal, Beth, une lycéenne rebelle toute en impulsions et en impatiences à l'égard du monde qui l'entoure.


L'étonnement créé par la vision de cette actrice dans un rôle tellement aux antipodes de l'orientation qu'elle a choisie par la suite participe a posteriori à l'intérêt du film. Plus directement, l'intensité et la véracité de son jeu à fleur de peau nous happent comme ils ont apparemment happé le cinéaste, dont la mise en scène en perpétuel mouvement semble faire de son mieux pour suivre Beth.


Face à une telle détermination, on en oublie du coup presque la description à traits un peu trop grossiers des trois personnages masculins que croise Beth, trois pygmalions adultes qui malgré leurs efforts de séduction ou de menaces ne parviendront pas à retenir l'adolescente libre et émancipée. C'est cette dernière qui mène la danse, qui décide quand elle vient ou non aux rendez-vous (familiaux, scolaires, amoureux) que la société lui fixe – c'est même elle qui décide quand elle quitte le récit, avec sa maxime « Quand tu ne me vois plus, pars » – une idée que l'on retrouvera dans les deux autres longs-métrages.

La désenchantée : 06/10

Tout aussi déterminée et orgueilleuse, Valérie, l'héroïne de La fille seule (1995) jouée par Virginie Ledoyen, parvient mieux que Beth à gérer son énergie débordante. Mue par une force secrète mais inébranlable, elle sait ce qu'elle veut (se faire une place, obtenir le respect d'autrui) et ne laissera rien ni personne se mettre en travers de son chemin, professionnellement ou sentimentalement.


C'est ainsi qu'elle place son copain (Benoît Magimel) devant le fait accompli : elle est enceinte, elle veut garder l'enfant et elle veut que le travail qu'elle commence ce jour-même au room-service d'un grand hôtel soit le bon. Jacquot a lui aussi un projet extrêmement ambitieux et le désir ferme de le mener à bien : suivre en temps réel son héroïne dans son travail et ses interrogations, et réaliser ainsi une œuvre qui combine la fine étude de caractères et de fortes ambitions de cinéma.


La réussite est complète sur les deux plans. Jacquot s'appuie sur tous les moyens dont il dispose pour donner au récit un rythme haletant, sans temps mort de la première à la dernière seconde. L'utilisation faite du hors-champ, des mouvements de caméra et changements d'angles autant que des répétitions de certains motifs visuels globaux (la lumière diffuse des couloirs de l'hôtel) ou très précis – la bretelle gauche de Valérie qui tombe sur son bras, sa posture lorsqu'elle attend l'ascenseur – confèrent au film une fluidité et une musicalité qui le rendent formellement superbe.


Cet aboutissement visuel est d'autant plus enthousiasmant qu'il est au service d'une exploration psychologique passionnante et jamais barbante. Loin de l'artificialité qui prédominait dans La désenchantée, les seconds rôles (clients de l'hôtel, collègues de Valérie) forment une galerie de personnages qui existent de façon crédible le temps des saynètes qui leur sont offertes. Mais c'est bien sûr autour de Valérie que tourne ce manège. La caméra toujours braquée sur elle, Virginie Ledoyen exprime par ses gestes et ses paroles l'opiniâtreté qui fait avancer son personnage. Elle parvient à conserver de bout en bout une énigmatique neutralité, Valérie ne devenant à aucun moment un ange maltraité ou un être machiavélique et sans cœur ; simplement une jeune fille que Jacquot scrute au plus près tout en lui laissant sa part de mystère.

La fille seule : 09/10

Adolescente résolue et pari visuel osé : A tout de suite (2004) reprend les mêmes ingrédients que La fille seule, pour une même prouesse à l'arrivée. Même si le film est cette fois tiré d'une histoire vraie (dans les années 70, la fugue mi-forcée mi-volontaire à travers l'Europe d'une adolescente embarquée avec son copain braqueur de banque), Jacquot a pris dans celle-ci de quoi poursuivre les ambitions développées dans les deux films précédents.


A tout de suite impressionne tout d'abord par le parti-pris formel audacieux choisi pour la reconstitution de l'époque. Le réalisateur fait le choix du noir et blanc, et met à profit les atouts de la DV (la légèreté d'emploi) ainsi que ses limites techniques (un fort grain qui réduit la différence de qualité avec les images d'archives insérées dans le film) pour filmer crânement l'épopée de son héroïne comme un documentaire pris sur le vif. Comme pour le temps réel de La fille seule, Jacquot ne flanche jamais dans l'utilisation de son concept et en fait une part intégrante de la force brute du récit.


La qualité mal assurée de l'image associée à une musique minimaliste entêtante et à un filmage au plus près des protagonistes nous place de force sur les talons de Lili, l'héroïne. Dans les films précédents, Beth et Valérie étaient impulsives et volubiles ; Lili est tout le contraire, avec son apparence froide et effacée. Elle est en réalité à l'image de son interprète, Isild Le Besco, qui cache sous cet air détaché une assurance inflexible.


Jacquot s'attache ici pour la première fois du coffret non plus à une fille isolée mais à une femme amoureuse. Et s'attaque ainsi aux thèmes de l'amour et de la liberté sexuelle, avec la même acuité de regard et la même finesse de trait que dans ses précédentes études de personnages féminins. Le changement dans la continuité : voilà comment l'on pourrait résumer ces trois passionnants portraits de femmes et portraits d'actrices.

A tout de suite : 08/10

A noter que la Cinémathèque de Paris organise actuellement (jusqu'au 4 février) une rétrospective intégrale de l'œuvre de Benoît Jacquot. Les trois films chroniqués ici y sont bien sûr projetés, ainsi que les autres grands films du très prolifique réalisateur, du Septième ciel à La fausse suivante en passant par L'école de la chair.

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