Critique : Maurice

Erwan Desbois | 17 mai 2006
Erwan Desbois | 17 mai 2006

Le secret de Brokeback Mountain dans l'Angleterre des derniers feux de l'ère victorienne : voilà ce que pourrait être le pitch permettant de « vendre » Maurice, film réalisé en 1987, aux spectateurs de 2006. Cette deuxième adaptation par James Ivory d'un roman de E.M. Forster, après Chambre avec vue et avant Retour à Howards End, relate la passion homosexuelle de deux hommes du beau monde, passion contrariée par les convenances de leur classe sociale et les mœurs de l'époque – l'homosexualité était encore considérée comme un délit en Angleterre au début du XXè siècle.


Dans les deux rôles principaux de Clive et Maurice, on trouve les jeunes Hugh Grant et James Wilby (Retour à Howards End, Gosford Park). Les deux héros se rencontrent sur les bancs de l'université de Cambridge, pervertissant de l'intérieur l'un des bastions de la bonne éducation anglaise en y tombant amoureux, puis vont prendre des chemins différents face aux dangers soulevés par leur attitude. Clive, qui avait pourtant été le premier à faire le pas, se rétracte brutalement et rentre dans le rang afin de ne pas hypothéquer son honneur et sa prometteuse carrière politique ; Maurice, ainsi abandonné, fera quant à lui le choix d'assumer pleinement sa différence.


Ce n'est pas tant le suspens quant à cette décision mais bien la libération qu'elle représente et le processus qui y mène Maurice qui sont le cœur de l'histoire. James Ivory l'a bien compris, et, plutôt que de jouer sur des ressorts dramatiques, il s'attache donc à observer avec sincérité et délicatesse les agissements de tous les personnages – permettant ainsi à l'émotion de naître sans tomber dans une sensiblerie excessive. Pour parvenir à ses fins, Ivory s'appuie sur une réalisation à plusieurs degrés de lecture. En apparence, Maurice est un film mené à vive allure, succession de scènes très courtes dominées par une grande sécheresse de ton. Cette austérité traduit la chape de plomb imposée aux personnages par leur milieu, qui leur interdit d'exprimer la moindre émotion. Ces émotions ravalées sont donc communiquées au spectateur à l'insu des protagonistes, qui sont trahis par les décors et costumes, la musique ou encore la représentation à l'écran de leurs rêves et cauchemars.


Ivory use avec malice de ces armes pour exacerber ce que tous les personnages, Maurice excepté, souhaiteraient passer sous silence : l'incapacité qu'a cette société agonisante (les maisons tombent en ruine) et étouffée par ses usages d'un autre temps (la moustache est utilisée comme symbole visuel de virilité) à admettre une quelconque émancipation individuelle. Signe de l'inefficacité de cette démarche, la soif de liberté de Maurice irradie chaque instant du récit par l'intermédiaire de la musique de Richard Robbins, qui amène à l'ensemble une phénoménale énergie sensuelle et romantique.


Au-delà de l'homosexualité, c'est le droit à la différence face à une norme forcément restrictive que plaide Maurice, ce qui en fait un film sans âge, autant d'actualité aujourd'hui qu'il y a vingt ans. La justesse du jeu des comédiens et la finesse d'observation de James Ivory se conjuguent pour donner vie à cette œuvre engagée (la rêverie désabusée de Clive qui clôt le film est un cri de victoire d'une rage rentrée inouïe de la part du réalisateur) et positive, chose trop rare pour ne pas être encensée et appréciée.

Résumé

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commentaires
B
22/05/2020 à 17:44

Super analyse merci! Ce film me plait énormément, le fait qu'il soit très long et qu'il pose aussi bien le décors me plait tout autant, car avec des belles oeuvres comme celle là on en veut toujours plus.

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