Critique : Faux-semblants

Johan Beyney | 10 décembre 2005
Johan Beyney | 10 décembre 2005

Two bodies, two minds, one soul. Deux corps, deux esprits, une âme. La phrase d'accroche qui orne l'affiche de Faux-semblants pourrait être celle d'une romance à l'eau de rose si elle ne renvoyait à une œuvre de David Cronenberg.

Le réalisateur consacré « maître de la chair » y traite encore une fois d'un thème qui émaille toute sa filmographie : l'identité, une identité qu'il a toujours définie à travers ces deux éléments essentiels que sont la matière organique et la matière grise, le corps et l'esprit. Or quid de cette identité quand deux individus partagent la même chair ? C'est à cette question que Cronenberg va s'intéresser en prenant comme support le thème de la gémellité.
Beverly et Eliott sont jumeaux. De vrais jumeaux qui, au-delà de leur simple physique, partagent une vie : même métier, même appartement, mêmes femmes. Différents dans leurs compétences et leur caractère (Beverly timide et bosseur, Eliott séducteur et orateur), ils se combinent, s'échangent, se complètent pour ne former au final qu'une seule et même personne, au mieux un duo qui ne saurait exister scindé. Jusqu'à l'arrivée de cet éternel élément perturbateur (excusez-moi mesdames) : la femme.


Face à ce couple à l'identité trouble, elle apparaît comme le paroxysme de la singularité. Femme au corps unique (et qui plus est actrice, donc identifiée avant tout par son physique), elle possède de plus une particularité rarissime qui va renforcer sa singularité aux yeux des frères gynécologues : trois cols de l'utérus menant chacun à une cavité. Une femme potentiellement capable de porter en elle trois personnes différentes, mais pourtant inapte à donner la vie. C'est devant elle que Beverly, amoureux, va remettre en cause l'existence de la fratrie Mantle pour trouver (se créer ?) son identité propre, une identité dont il ne sait si elle est inscrite dans sa propre chair, celle de son frère ou celle de la femme qu'il aime. Comme d'habitude chez Cronenberg, c'est le corps qui va servir de support aux errances des personnages. Car le corps ne ment pas et, si on peut le farder ou le vêtir, on ne peut en modifier la nature profonde. Or, en tant que gynécologues, les deux frères ont accès à cette « profondeur », cette vérité intérieure. Quitte à inventer, en période de troubles, de nouveaux et terrifiants moyens d'y accéder. Véritable terrain d'expérimentations, territoire inconnu et mouvant, le corps est celui qui abrite l'âme en même temps qu'il l'enferme. Un véhicule et une prison.


Dans cette quête, David Cronenberg parvient à instaurer le trouble. Utilisant l'étrangeté et la fascination inhérentes à la gémellité, il donne à ce qui n'est au fond qu'un drame des allures de film fantastique. Par de courtes répliques nimbant de mystère la relation des jumeaux, par le rouge de leur blouse de chirurgien, par une mise en scène aussi froide et clinique que le sont les décors, le réalisateur crée un malaise persistant. On sent perpétuellement planer au-dessus des frères Mantle quelque chose de malsain, un non-dit peu identifiable mais définitivement inconfortable. Une grande partie de la réussite de cette entreprise tient d'ailleurs sur les quatre épaules de Jeremy Irons. En même temps qu'une époustouflante performance d'acteur, il arrive ici à donner vie et consistance aux frères Mantle avec un talent tel que l'on sait, après une seconde d'image, lequel de Beverly ou d'Eliott on est en train de regarder. Un tour de force qui devient plus impressionnant au fur et à mesure que la confusion gagne les personnages.

Si on ne sort pas indemne de Faux-semblants, c'est parce qu'à travers ces personnages, Cronenberg remet en cause notre statut d'être unique : chair et esprit, fous et raisonnables, uniques et schizophrènes, nous portons tous en nous notre propre jumeau

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