Critique : Black

Patrick Antona | 5 septembre 2006
Patrick Antona | 5 septembre 2006

Depuis 2002 et son somptueux Devdas, Sanjay Leela Bhansali n'avait plus donné de signe de vie artistique. Celui qui a réussi avec son dernier film à rendre populaire le « Bollywood Movie » en France revient avec une œuvre radicalement différente, Black. Loin de ce qui (habituellement) fait la marque des films indiens, à savoir ces drames colorés, accompagnés de chansons et chorégraphies enlevées, Sanjay Leela Bhansali nous livre sa version de l'histoire d'Helen Keller (qui avait déjà été traité dans Miracle en Alabama d'Arthur Penn en 1962), à savoir celle de cette jeune fille sourde-muette qui dut apprendre à communiquer avec le monde extérieur avec son corps. Black adopte l'approche tout à fait novatrice, et réussie, de nous faire vivre, de manière sensitive et graphique, l'évolution de la jeune Michelle McNally (la bombe indienne Rani Mukherjee), qui passera de l'état de révolte quasi-permanent à celle d'être apaisé et ouvert sur un monde grâce à l'apprentissage et l'amour apporté par son professeur, Debraj Sahai (l'immense acteur Amitabh Bachchan).

La première grande surprise de Black vient de son casting : en premier lieu Rani Mukherjee, une des reines de Bollywood avec Aishwarya Rai et Preity Zinta (avec qui elle a partagé l'affiche de Veer Zaara) méconnaissable en Michelle adulte. Elle est bouleversante, oscillant entre brutalité et douceur pour nous faire ressentir la frustration et le calvaire imposés par son handicap, faisant ressortir par son jeu physique toutes les nuances de la relation qui l'unit à son professeur (où la brutalité n'est pas absente), adoptant une démarche et une attitude qui n'ont rien de glamour, bien loin de ses compositions habituelles. Dans le rôle de l'éducateur , Amitabh Bachchan (pilier du cinéma indien avec plus de 160 films au compteur !) est tout aussi époustouflant en professeur atypique et vindicatif, profondément habité par son personnage de gourou qui n'hésitera pas à couper son élève de sa famille pour mieux l'aider à communiquer. Celui qui est souvent considéré comme le patriarche des films indiens réussit à mettre sa superbe de côté pour prendre les habits mités d'un professeur alcoolique et intransigeant, parfois goguenard mais toujours combatif, et qui poussera Michelle jusque dans ces derniers retranchements.

Peut-être plus que le talent de ces comédiens, Black doit son incontestable réussite à la direction de Sanjay Leela Bhansali, donnant des rôles à contre-emploi à son duo-vedette, mais sachant aussi exploiter avec sens son casting de seconds rôles, en premier lieu les parents de Michelle, ou encore lorsque Michelle enfant est interprétée par la débutante Ayesha Kapoor, une véritable révélation. Comme Devdas, Black se singularise par une recherche esthétique et visuelle somptueuse, où se déclinent toutes les nuances du noir (d'où le titre !), magnifiées par la photographie de Ravi K. Chandran (qui vient de signer celle de Fanaa, le dernier gros succès du cinéma indien de 2006). On passe ainsi de l'environnement froid de la maison des McNally à l'ambiance bucolique et anglaise de l'université, avec la scène particulièrement émouvante de la découverte de la neige par Michelle, dans laquelle le spectateur réussit à percevoir la découverte de cette sensation nouvelle pour la sourde-muette. Larmes et frissons garantis !

Mais plus que dans sa virtuosité technique, le talent de Sanjay Leela Bhansali réside dans sa capacité à éviter les éccueils du mélodrame lacrimal avec aisance pendant une bonne partie de son récit, l'apitoiement n'étant pas de rigueur pour décrire les épreuves rencontrées par les deux protagonistes. Le réalisateur se paie le luxe d'offrir, dans le dernier quart de son film, un retournement de situation (une constante du cinéma "Bollywood"), à la fois osé et hautement symbolique qui, loin d'ampouler son récit, réussira à faire fondre et à emporter l'adhésion du spectateur, même le plus blasé. Avec Black, Sanjay Leela Bhansali démontre qu'il est un conteur hors pair au savoir-faire indéniable, il est d'ailleurs entré définitivement dans la case des grands réalisateurs indiens, Black ayant obtenu 11 récompenses aux Filmfare Awards 2006 dont celui du meilleur film.

Succès commercial et artistique abouti, Black est sûrement un des évènement s de la rentrée à ne pas rater, pour tous les amateurs qui aiment le cinéma indien, et pour ceux qui n'en sont pas des fans à part entière, leur a priori sera bousculé par la vision si particulière de son auteur, Sanjay Leela Bhansali.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire