Blue Velvet Critique : Blue Velvet

Johan Beyney | 4 mai 2006
Johan Beyney | 4 mai 2006

Derrière le rideau de velours bleu du générique, David Lynch filme Lumberton : fleurs éclatantes se découpant sur un ciel azur, pompier souriant, enfants traversant sagement la route, maisons proprettes et jardins verdoyants. Mais derrière Lumberton, que se cache-t-il ?

Quatrième long métrage du réalisateur, Blue Velvet est le premier film à exposer pleinement l'univers singulier et fascinant de David Lynch. Et, comme le souligne le dialogue à deux reprises : « It's a strange world ». Le monde de Lynch fonctionne par strates. De la même manière que la vie grouille sous la pelouse impeccable, le pire se dissimule sous l'apparente normalité d'une ville américaine idéale. De manière déroutante, violente, sensuelle, le réalisateur va alors s'ingénier à transpercer la membrane étanche qui sépare ces univers parallèles. Pour passer d'un monde à l'autre, il faut une clé. Ce sera une mystérieuse boîte dans Mulholland Drive, une cassette vidéo dans Lost Highway. Ici, il s'agit d'une oreille humaine, trouvée dans un champ par le jeune et gentil Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan, acteur fétiche de Lynch après Dune et avant Twin Peaks).

 

 

S'improvisant détective, il va découvrir – avec l'aide d'une jeune fille respectable – un monde qu'il côtoyait jusqu'ici sans le connaître. Après s'être introduit dans l'appartement aux couleurs organiques de la sulfureuse Dorothy Vallens, il va faire l'expérience, voyeur puis acteur, de la sexualité et de la violence. Ces deux notions, le réalisateur les mélange en un cocktail érotique et malsain. « Baby wants to fuck ! » hurle Dennis Hopper au corps abandonné de la chanteuse. « Hit me ! » exige-t-elle de Jeffrey. Isabella Rossellini, magnifiquement filmée, incarne avec sensualité cette femme-fantasme, objet d'un désir trouble et violent. On pourrait voir dans Blue Velvet une métaphore du passage à l'âge adulte : avant de pouvoir vivre une vie heureuse et épanouie avec Sandy, la jeune fille dont il est tombé amoureux, Jeffrey va en effet devoir faire face à ses désirs les plus inavouables, apprendre à connaître et à maîtriser ses pulsions sexuelles et violentes. Ce n'est qu'à ce prix que, comme le rêve de Sandy l'indique, les rouges-gorges porteurs d'espoir et d'amour pourront revenir. Loin d'être mièvre, la touche d'ironie qui entache le happy-end final confirme, s'il en était besoin, que l'on trouvera toujours quelque chose sous le vernis si l'on prend la peine de gratter.

 

 

Le talent du réalisateur réside dans cette faculté de transformer une intrigue policière somme toute classique (une banale histoire de chantage suite à un kidnapping) en une expérience unique et inoubliable. Insertion d'images troublantes, distorsion des sons et du récit, personnages troubles et inquiétants, tout concourt ici à créer le malaise. La force du trouble que Lynch parvient à instiller dans l'esprit des spectateurs provient par ailleurs d'un point essentiel : sa propension à filmer l'immobile. Alors que nombre de réalisateurs vont provoquer l'effroi dans des effets de caméra plus ou moins virtuoses, David Lynch joue sur le statique. Caméra fixe, personnages statiques et silencieux (jusqu'à un cadavre qui tient debout), décors déserts, c'est sous cette déroutante froideur que se cache le pire. Sous un gazon impeccable une vie qui grouille ; sous un visage impassible les pensées les plus malsaines.

 

Résumé

Blue Velvet contient déjà les obsessions majeures et les thèmes récurrents de son réalisateur : la figure de la femme double (la blonde Sandy et la brune Dorothy– comme s'il se refusait à mélanger l'amour et le sexe – dont on retrouve des variations dans Lost Highway et Mulholland Drive), la cohabitation de deux mondes, la déstructuration du récit ou le jeu avec les couleurs. Peut-être plus accessible que certains de ses opus ultérieurs, il s'avère être une clé indispensable pour pénétrer dans l'univers parallèle d'un réalisateur à part.

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