My Love Affair with Marriage : critique qui divorce

Déborah Lechner | 7 juin 2023
Déborah Lechner | 7 juin 2023

Un peu plus d'un an après la sortie de My Favorite War d'Ilze Burkovska-Jacobsen, on ne s'attendait pas à retrouver aussi vite en salles un autre long-métrage d'animation d'une cinéaste lettone qui a grandi dans l'Union soviétique. En réalité, My Love Affair with Marriage est plus une oeuvre semi-autobiographique qu'un véritable documentaire. S'il reste intrinsèquement lié à la vie de sa réalisatrice Signe Baumane, le film est surtout un manifeste universel et intemporel sur l'injuste condition féminine.

AINSI VA LA VIE, VOICI SON HISTOIRE

Après le remarqué Rocks in my pocket dans lequel Signe Baumane auscultait la dépression et les tendances suicidaires des femmes de sa famille (elle comprise), la réalisatrice revient avec un autre récit drôle (quoique grinçant), introspectif et pédagogique. En revanche, My Love Affair with Marriage se concentre cette fois sur une expérience plus universelle que personnelle : l'inévitable et difficile passage à l'âge adulte. Cette thématique a déjà été abordée des centaines de fois au cinéma, si bien que le coming of age ou récit initiatique est devenu un genre à part entière, avec ses codes et récurrences scénaristiques.

Pourtant, même si elle passe après un nombre incalculable d'histoires similaires (biographiques ou fictives), la cinéaste signe un long-métrage tout à fait singulier, autant sur le plan plastique que narratif. Le film suit ainsi sa protagoniste de ses sept ans à ses presque trente ans et rationalise tout du long ses sentiments et ses émotions en les ramenant à de "simples" réactions physiologiques et cocktails chimiques.

 

My Love Affair with Marriage : photoL'amour, c'est pas magique c'est chimique

 

Cette exposition scientifique est assurée par Biologie, un personnage purement fonctionnel et symbolique. Celle-ci entrecoupe le récit, le parasite et schématise le corps de Zelma pour matérialiser ses explications savantes. C'est aussi une voix off omniprésente, voire envahissante, qui débite ses monologues à un rythme effréné et sans être entièrement intelligible, ce qui peut parfois alourdir le film, mais incarne pertinemment le bouillonnement de la protagoniste. 

S'il se veut objectif sur les états d'âme et de corps de Zelma, My Love Affair with Marriage opte également pour la subjectivité en plongeant le public dans ses pensées qui se superposent à la réalité. Le récit se déroule ainsi à différents niveaux, tous stylisés différemment, de l'environnement artisanal en  papier mâché qui représente la dimension tangible de Zelma, en passant par les personnages en 2D dessinés à la main qui évoluent au gré de son imagination littéralement débordante. Cette variété de techniques offre au film une richesse esthétique, qui va de pair avec sa richesse thématique.

 

My Love Affair with Marriage : photoL'amour c'est chimique, mais pas que

la femme parfaite est une connasse 

En se penchant sur l'alchimie interne, My Love Affair with Marriage est l'occasion de normaliser et de dédramatiser les menstruations, l'éveil sexuel, l'amour, la différence physique ou la transidentité, de comprendre la mécanique du corps et du cerveau pour dompter cette période inconfortable, mais tout ce qu'il y a de plus banal. On ne peut cependant pas comparer le film à un long épisode de C'est pas sorcier ou Il était une fois la vie, celui-ci n'étant ni neutre ni distant par rapport à son sujet : les femmes. 

D'après ses propres mots, le véritable objectif de la réalisatrice est surtout d'aider les femmes à examiner leurs propres relations intimes. De fait, ce récit engagé et politique pointe également du doigt des biais purement culturels et parle d'une femme en révolte contre le patriarcat dans lequel elle s'est construite. Le scénario aborde sous tous les angles la construction sociale des femmes, la façon dont elles sont amenées à intérioriser la misogynie systémique pour mieux l'entretenir.

 

My Love Affair with Marriage : photoLe territoire des loups

Dans sa tendre enfance, Zelma était une petite fille libre qui aimait monter aux arbres et se voyait parfaitement égale aux petits garçons, jusqu'aux premières injonctions qu'elle finit par intégrer, comme on l'attend d'elle. Elle grandit en essayant de correspondre aux (fausses) normes de genres, de coller au portrait sexiste de la femme parfaite, tout en croyant ne pouvoir s'épanouir autrement qu'à travers le mariage (hétérosexuel, bien entendu) et la maternité.

Cette soumission sociale est quant à elle symbolisée par les trois sirènes qui chantent ces visions stéréotypées et pérennisent le mythe. Plus elle essaie de rester dans le moule, plus Zelma est confrontée aux complexes physiques, aux abus sexuels, à la violence conjugale, à la charge mentale, à la déconsidération professionnelle et à la dépendance financière. Elle prend alors progressivement conscience de sa condition, entre en conflit avec son propre corps et tente de purger son esprit formaté pour retrouver sa liberté. C'est le long parcours d'une femme, qui apprend à se connaître et à s'émanciper des hommes après des années d'oppression et de faux-semblants.

My Love Affair with Marriage a beau se dérouler en majeure partie en Europe de l'Est dans les années 80 et 90, l'histoire reste un manifeste d'actualité, et donc une oeuvre féministe aussi belle que nécessaire.

 

My Love Affair with Marriage : affiche

Résumé

Simone de Beauvoir a écrit "on ne naît pas femme, on le devient" et Signe Baumane l'explicite sur grand écran avec autant de fougue narrative que de créativité visuelle. 

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commentaires
Loozap
08/06/2023 à 00:36

J'ai tellement aimé ce dessin animé

Myst
07/06/2023 à 17:45

Vu ce film à Annecy il y'a 1 an, je n'ai pas tellement aimé, je me suis endormi d'ailleurs; il y'a de bonne idée mais je ne l'ai pas trouvé très agréable a l'oeil et meme si l'histoire est interessante, on ne s'attache pas trop aux personnages.

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