Persuasion : critique du Orgueil et Préjugés de Netflix

Chloé Chahnamian | 15 juillet 2022
Chloé Chahnamian | 15 juillet 2022

La réalisatrice Carrie Cracknell a décidé de s'attaquer à Persuasion, le dernier roman de la célèbre Jane Austen publié à titre posthume, avec un film produit par Netflix et répondant au même nom. La fabuleuse Dakota Johnson y joue Anne Eliott, une vieille fille de 27 ans qui, huit ans après avoir renoncé au grand amour que le jeune lieutenant Wentworth, Cosmo Jarvis, promettait de lui offrir, recroise son chemin. Adaptation et modernisation du roman de l'autrice d'Orgueil et Préjugés ou encore d'EmmaPersuasion ne se révèle pas à la hauteur des précédentes adaptations des romans de Jane Austen.

modern age

Voulant s'éloigner d'un film historique trop classique, la réalisatrice Carrie Cracknell a décidé, probablement avec l'aide de Netflix, de moderniser le récit vieux de plus de 200 ans écrit par Jane Austen. Même si Orgueil et préjugés, versions 1995 et 2005, Raison et Sentiments mais aussi le plus récent Emma. ont tous modifié et fait évoluer l'oeuvre dont ils s'inspirent d'une manière ou d'une autre, par les costumes, des modifications scénaristiques ou d'autres détails, Persuasion se situe plutôt dans la veine de Marie-Antoinette de Sofia Coppola et de ses incrustations anachroniques.

Sans aller jusqu'à lui enfiler des Converse, le personnage principal se voit tout de même attribuer des caractéristiques plus modernes, que ce soit dans son attitude, ses costumes ou même sa façon de s'exprimer. Ainsi, Anne Eliott, femme instruite aux manières irréprochables, utilise le mot "ex" et qualifie ce même "ex" comme un "ten", soit un dix sur dix physiquement. Si ces mots peuvent surprendre, surtout utilisés dans un film en costumes, on peut se laisser charmer par cette actualisation du texte, du moins un certain temps.

 

Persuasion : Photo Dakota JohnsonLes historiens de la mode en sueur devant cette mèche rebelle

 

En plus d'utiliser un langage actuel, Anne est une femme moderne dans le sens où, comme une célibataire de notre époque, selon Hollywood, elle boit du vin directement à la bouteille et se morfond dans son bain débordant de bulles. Ces séquences burlesques, très Carrie Bradshaw dans Sex and the City, font tache, car elles sont bien trop parsemées pour constituer un véritable parti pris. 

Les touches de modernité sont incrustées avec tant de parcimonie qu'on s'interroge sur l'intérêt même de cette modernisation en demi-teinte. Surtout que les problématiques évoquées par le roman, à base d'amour, de jalousie, de condition des femmes et de faillite, sont universelles et donc, par essence, toujours d'actualité. 

Entre l'adaptation pure et dure et l'actualisation, le choix ne semble pas avoir été fait, en résulte des dialogues étranges qui empêchent une adhésion totale à l'histoire et des séquences assez gênantes, comme celle où Anne crie par la fenêtre pour attirer l'attention de son "ex", une attitude pas très régence anglaise. Une transposition complète, c'est-à-dire à notre époque, aurait sans doute mieux fonctionné.

 

Persuasion : Photo Dakota JohnsonUn personnage qui se fond dans le décor, mais pas trop non plus

 

une intime contradiction

Si dès le début du film Anne est introduite comme la narratrice de l'histoire grâce à une voix off très présente, Persuasion a décidé d'aller encore plus loin en brisant le quatrième mur. Alors que dans la série Fleabag cette adresse directe au spectateur relevait d'une certaine malice et que les regards du personnage soulignaient la cocasserie des événements auxquels Fleabag était confrontée, ici, le recours au regard caméra n'a pas la même saveur.

Alors qu'on aurait presque pu tolérer ces coups d'oeil incessants, le personnage principal ne se contente pas de nous regarder... elle nous parle ! Ainsi, le spectateur se retrouve immergé dans l'intimité du personnage qui s'adresse à lui comme s'il s'adressait à un confident ou plutôt à un ami imaginaire tant cette interaction semble fausse. Cette idée, qui donne aux premières minutes du film un ton décalé, voire culotté, s'essouffle très rapidement.

 

Persuasion : Photo Dakota JohnsonBaston de regard 

 

En effet, si les commentaires de la principale intéressée apportent un peu de piquant à l'histoire, ceux-ci sont bien trop fréquents et très souvent, n'apportent rien au récit qui, au contraire, se retrouve alourdi par ces intrusions incessantes. Lors de longs monologues déblatérés face caméra, Anne nous raconte des banalités. Comme si le spectateur n'était pas assez perspicace pour comprendre par lui-même les enjeux, le personnage ne cesse de tout expliquer, même des éléments que la mise en scène explicite déjà. 

Alors oui, quand elle se balade dans sa maison, on a l'impression de regarder un vlog et quand elle montre aux spectateurs ses lettres reçues, à une vidéo haul YouTube, Dakota Johnson sauve un peu les meubles grâce à sa fougue légendaire et son naturel qui rappelle celui de Keira Knightley en Elizabeth Bennet dans Orgueil et préjugés.

C'est d'ailleurs quand le personnage oublie la présence du spectateur pour vivre des moments de pure joie, comme ceux où elle joue avec ses neveux, qu'Anne semble la plus épanouie et que Dakota Johnson arrive à apporter une émotion à son personnage.

 

Persuasion : Photo Dakota JohnsonAnne Ingalls

 

rendez-nous m. darcy

Si vous connaissez les romans de Jane Austen, vous savez qu'ils sont tous remplis, en plus d'être souvent des critiques sociales, d'une certaine passion et que cette dernière a souvent été très bien retranscrite au cinéma dans de nombreuses adaptations. Mais cette fois-ci, il n'en est rien. L'histoire d'amour censée être au centre de la narration ne provoque même pas un minuscule frisson. Persuasion est démuni de toute tension et de tout désir, le comble pour une adaptation de Jane Austen.

Le Capitaine Wentworth, incarnation même du héros bienveillant, manque tellement de charisme qu'on se demande pourquoi le personnage féminin lui vaut une telle dévotion. À côté de lui, les personnages de La Chronique des Bridgerton semblent presque bien écrits. L'autre personnage masculin, William Eliott, doté d'atouts physiques indéniables et censé représenter la tentation, n'est pas mieux loti.

 

Persuasion : Photo Cosmo JarvisCapitaine bateau

 

Le principal défaut des personnages, c'est qu'ils sont sous exploités. La jeune soeur d'Anne, dont le franc-parler rappelle celui d'Amy March dans Les Quatre Filles du Docteur March, ne sert qu'à valoriser la douceur d'Anne. Il en est de même pour tous les autres personnages qui, parce qu'ils sont seulement perçus à travers les yeux d'Anne, n'ont droit qu'à très peu de caractérisation.

Très plat, le récit ne trouve jamais le moyen de se dynamiser, et ce malgré l'arrivée d'un nouveau personnage au milieu du film, dont le but premier est de cristalliser les tensions. Au final, Persuasion n'est qu'une rom com comme une autre.

Persuasion est disponible sur Netflix depuis le 15 juillet 2022

 

Persuasion : affiche

Résumé

Malgré la présence de Dakota Johnson et de jolis décors, Persuasion n’arrive pas à convaincre tant son histoire semble dénuée de passion et sa forme aussi factice que sans intérêt.

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