La cour des grands
Petite nature est un film dont la démarche frontale et quasi-documentaire s’inscrit dans la lignée d’une autre proposition francophone sortie en ce début d’année, à savoir Un Monde de Laura Wandel. Un véritable uppercut de cinéma social qui avait pour principal atout son dispositif de mise en scène radical, consistant à filmer une cour d’école à hauteur d’enfants. Si le second long-métrage de Samuel Theis ne tend pas autant vers une radicalité esthétique, il n’en partage pas moins cette volonté affirmée de filmer le Monde à travers le regard d’un enfant.
Dès les premières images, la caméra colle au corps de son personnage principal, Johnny (Aliocha Reinert), tout en épousant son point de vue sur ce qui l’entoure. Notamment les faits et gestes de sa mère (Mélissa Olexa, une actrice débutante repérée durant un casting sauvage), issue d’une classe populaire que le réalisateur cherchait déjà à mettre en lumière dans son premier film, Party Girl, déjà filmé dans sa ville natale en Lorraine, à Forbach.
Car ce qui intéresse également Samuel Theis dans Petite nature, c’est de voir se confronter deux mondes, deux classes sociales différentes. D’un côté, celle dont est issu le cinéaste, qui retranscrit à travers son jeune double de cinéma le sentiment de honte avec lequel il a grandi. Et de l’autre, un milieu social bien plus élevé, celui de son maître d’école et de sa compagne, incarnés par Antoine Reinartz et Izia Higelin, qui représentent à merveille ce monde plus intellectuel auquel aspire le jeune Johnny.
Des parents idéals, comme l’illustre le cinéaste à travers le regard de son personnage, qui cherche à s’émanciper de son milieu d’origine pour trouver sa propre identité, qu’elle soit affective, intellectuelle, et même sexuelle.
Un amour d’école
Représenter l’éveil sexuel d’un garçon de dix ans a tout sur le papier pour être un sujet extrêmement délicat à traiter à l’écran, tant il peut provoquer le malaise chez le spectateur de par son caractère tabou et polémique. Mais en épousant d’emblée le regard de son jeune acteur, Samuel Theis fait le choix de la pudeur, en filmant l’éveil du point de vue de l’enfant, que ce soit la découverte de la sensualité, ou même la question du trouble.
Samuel Theis filme son récit d’apprentissage avec une telle finesse qu’il parvient à ne jamais tomber dans le malaise, définissant de manière très claire la frontière entre l’enfant et l’adulte, ainsi que les nuances propres à leurs différents points de vue (la limite paraît beaucoup plus floue chez l’enfant, là où il n’y a aucune ambiguïté chez l’adulte). Le cinéaste fait preuve d’un regard très pédagogue et d’une grande intelligence en traitant son sujet et est également bien aidé par les performances de ses comédiens. Si Antoine Reinartz paraît plus vrai que nature dans la peau du maître d’école, c’est surtout le jeune Aliocha Reinert qui impressionne à l’écran, de par la maturité déconcertante de son jeu spontané, criant de vérité.
C’est simple, il porte littéralement le film sur ses frêles épaules, puisque tout passe par lui, dans un film où il est question constamment du regard, qu’il s’agisse du sien sur le monde des adultes. Mais aussi celui de l’enseignant, de ses proches qui ne parviennent pas à comprendre ce qu’il voit, là où la mise en scène de Samuel Theis parvient à retranscrire plus au moins ce qui se passe dans la tête d’un enfant de dix ans. Petite nature nous conte donc un récit d’émancipation à la fois sensible, doux-amer, mais aussi rebelle, à l’image de son jeune acteur prometteur.
On pourra reprocher au cinéaste de tomber parfois dans les poncifs d’un certain cinéma social, accumulant certains clichés propres aux classes qu’il cherche à différencier (la famille qui boit du coca pas cher, tandis que le couple Reinartz/Higelin fait des dîners intello en savourant du bon vin). Mais le regard que porte le réalisateur sur son récit d’apprentissage déborde suffisamment de sincérité pour nous faire oublier ces quelques maladresses.
Le deuxième film de Samuel Theis entend démonter les mécanismes machistes banlieusards, via le premier coup de cœur d’un enfant, y compris son éveil au désir.
Sorte d’équivalent réaliste des Tuche, la famille du petit Johnny le tire vers le bas, et se satisfait de sa médiocrité en le laissant être le pilier moral et intellectuel. Alors que sa sensibilité et ses capacités tendent à l’amener ailleurs…
Encore faut-il qu’il comprenne quels sentiments s’éveillent en lui, face à son instituteur, pédagogue honnête et efficace – Antoine Reinartz, sur le fil entre le trouble et la responsabilité, sans qu’il n’y ait jamais la moindre ambiguïté.
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Il suffit d’un contact mal interprété (la prise de pouls), de favoritisme bienveillant, d’absence de jugement… et enfin d’une erreur fatale consistant en une distance pas du tout maintenue (la différence entre le moment où on laisse la porte du bureau ouvert, et celle où on oublie de protéger son angle mort, surtout à domicile).
Ça a l’air bénin, mais ça peut vite devenir catastrophique, avec une bonne partie de manipulation inconsciente chez ce jeune ingénieux, mais en mal de bon modèle masculin dans sa famille – la découverte Aliocha Reinert, dans un rôle mi Björn Andrésen, mi Frankie Muniz.
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Theis renvoit dos à dos aussi les petits bourgeois ayant la fibre artistique, mais capables de se piéger eux-mêmes par excès de charité.
Et ces mollassons prolos vivant au jour le jour, mais qui savent toutefois se protéger quand il le faut…
Il faudra à la fin une cérémonie, une Communion générale, pour atteindre brièvement un équilibre où chaque adulte sera à la bonne place pour aider les enfants à préparer leur future entrée dans l’âge adulte (un costume, ça aide).
Mais après ça, plus de doute pour Johnny : il aura un objectif clair, car il sait déjà qui il est au fond de lui. Le début de l’émancipation d’un superbe individu queer, sur fond de « Child in Time » de Deep Purple.
Renversant !