The Amusement Park : critique du nouveau Romero (oui)

Mathieu Jaborska | 3 juin 2021 - MAJ : 04/06/2021 14:17
Mathieu Jaborska | 3 juin 2021 - MAJ : 04/06/2021 14:17

Il n'est pas rare de retrouver des films présumés perdus de grands cinéastes, surtout dans le cas des stakhanovistes de la pellicule. Mais peu sont aussi fascinants que The Amusement Park, le drôle de moyen-métrage de commande déterré par la Fondation George A. Romero et distribué par Potemkine. Daté de 1973, il ressemble à première vue à un jalon mineur de la filmographie du maître. Et pourtant, il condense et travaille nombre de ses obsessions les plus marquantes, dans un tour de montagnes russes dont on ne ressort pas indemnes.

Le bruit et l’odeur

Peu étonnant que The Amusement Park soit si inconnu. Sorti la même année que La Nuit des fous vivants, quatre ans avant Martin et cinq ans avant Zombie, il est avant tout une commande de… la « Lutherian society » (une organisation religieuse !), tournée en trois jours et destinée aux « Community centers », loin des salles obscures. Un public restreint qui a probablement très mal reçu cette expérimentation frénétique complètement déplacée. Pourtant, le cinéaste accomplit ce qu’on attend de lui : sensibiliser aux difficultés de la vie des personnes âgées. Le message est énoncé clairement dès les premières minutes, ne laissant planer que peu de doute sur ses intentions.

 

 

C’est dans l’exécution que le réalisateur de La Nuit des morts vivants (qui n’a pas touché un centime des droits de son carton à cause d’une erreur) transgresse méchamment les prérequis implicites de son commanditaire. Il met en scène un parc d’attractions cauchemardesque dans lequel tente de survivre tant bien que mal un pauvre hère, bousculé et méprisé de toutes parts. Pour figurer la violence du rapport des aînés au reste de la société, il mise sur une sensation qu’il pousse dans des extrêmes quasi-expérimentaux : la saturation. Pourtant volontaire à l’intégration, le naïf héros campé par Lincoln Maazel (qu’on retrouvera dans Martin) se retrouve dans un capharnaüm méticuleusement orchestré par le cinéaste.

 

photoLa croix et la bannière

 

Alors que la bande-son crache, au volume maximal autorisé par le mixage, un tourbillon de musiques foraines et de brouhaha indistinct, le cadre serré s’emplit d’un mouvement perpétuel étouffant. Grâce à un subtil jeu sur le format (le 1.33:1 donne presque l’impression de s'immiscer dans une rame de métro bondée) et surtout à un écrasement des perspectives qui coince le personnage régulièrement entre deux échelles de plan, Romero sort le spectateur de son train de vie forcené pour le lui soumettre de l’extérieur.

À partir de là, l’horreur se joint à l’absurde, et les saynètes éreintantes s’enchaînent à un rythme métronomique, renforçant encore le malaise général. L’occasion pour le maître d’expérimenter une fibre satirique noire qui s’était déjà épanouie frontalement dans Season of the Witch : l’ironie devient morbide, la métaphore décrépie. On colle des bandages inutiles sur les mourants et on extorque les vieux pour leur refiler des tickets finançant leur propre perte. Tant de coups du sort sardoniques qui découlent de la mauvaise blague au cœur du film : on éjecte nos aînés d’une société toujours plus véloce et cruelle, sans considérer qu’on va finir - inévitablement - à leur place.

 

photoEt le spectre de la mort rode...

 

Romero doit vivre

Certes soumis à ses financeurs, mais débarrassé des exigences narratives de ses longs-métrages d’épouvante, Romero condense dans The Amusement Park toutes ses lubies sous une forme brute, presque pure. Il compose ainsi le vivier de sa filmographie passée et future, et prouve, avant même d’exploser aux yeux des cinéphiles du monde entier, la rigueur esthétique avec laquelle il partage ses idées. Le moyen-métrage anticipe parfaitement l’apogée de sa carrière, puisqu’il convoque en à peine plus de 50 minutes la fièvre qui hante Knightriders, le soin accordé au point de vue et à l’empathie d’un Incidents de parcours, et surtout les obsessions thématiques de Zombie.

Le parc d’attractions et le centre commercial agissent tous deux comme des condensateurs sociaux. Plus que des sortes de références populaires, des lieux de réunion obligatoires, ils sont en réalité des petits univers à eux seuls, concept que Romero expose sans détour dans The Amusement Park. Au point de déliter progressivement sa métaphore, de la fondre dans la triste réalité au fur et à mesure que notre héros s’enfonce en son sein.

Cette façade d’un immense divertissement rugissant (symbolisé par les montagnes russes) cache derrière chacune de ses activités un piège morbide, assailli de corps complètement déshumanisés. De l’automate sans âme au zombie, le cinéaste persiste à nous montrer l’épouvante tapie dans notre propre société.

 

photoDerrière les rires, la peur

 

Alors que les corps adultes sont complètement vidés de leur substance et ajoutés à un conglomérat nauséeux, vadrouillant dans les allées du parc, arrachant les pointes d’innocence enfantines des bras du pauvre papy, un dernier motif se dégage de l’ensemble : l’anormal, le résistant, qu’on réduit bien sûr, dans le milieu forain, aux freaks, au monstre de foire.

Anticipant le militantisme plus prononcé de la deuxième partie de la carrière du maître, la scène dédiée rappelle surtout, à travers la référence à Tod Browning, que son style s’intègre parfaitement à un cinéma d’horreur virulent. Une contre-culture qui saborde les commandes religieuses, dynamite les institutions de l’intérieur et surtout influence la cinéphilie de plusieurs générations de curieux, dont l’auteur de ces lignes fait évidemment partie. Alors, merci pour ça, et pour le reste.

 

Affiche officielle

Résumé

Quitte à devoir énoncer sa thèse, Romero nous permet de l'éprouver, dans une plongée en enfer qui concrétise violemment sa vision d'une horreur sociale.

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commentaires
Kaladhel
03/06/2021 à 12:54

@Madolic on a jamais non plus payé plus cher un pour un film qui dure 3h au lieu de 90 min :D

Madolic
03/06/2021 à 11:45

Par contre, un peu rien à voir comme question mais le prix du ticket d'un moyen-métrage est le même qu'un long ?

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