TOUT ÉTAIT POURTANT (BIEN) MAL PARTI…
L’industrie cinématographique commence à donner une place substantielle aux afro-américains et à la narration d’une communauté restée en périphérie. Essentielle à traiter, l’histoire des Afro-américains et des intimités de ses membres s’empare du grand (Black Panther, BlacKkKlansman, Moonlight) et du petit écran (American Crime, Dear White People), et permet d’ouvrir un pan du réel à la représentativité. Le réalisateur Joe Robert Cole s’est enfoncé dans cette brèche et a livré une vision sociologique pessimiste, où le destin des héros rappellent la fatalité chez Zola.
Pas d’alcoolisme dans All Day and Night mais de la drogue. Les protagonistes fument des pétards H24 et sniffent de la coke, dans un environnement fermé sur lui-même, un entre-soi délétère. La mise en scène transporte le spectateur dans un espace-temps tripartite, qui rythme l’intrigue et accroche l’attention (au début) : l’enfance, la journée/nuit du crime, la vie en prison.
Ashton Sanders et Jeffrey Wright
Le parti pris scénaristique est intéressant car sociologique, et sociologiquement radical. Le destin du héros – et de ceux qui l’entourent – est cousu d’avance, aucune échappatoire n’est viable (ni le rap, ni l’armée) et le drame vire dès la première scène à la tragédie.
Condamné mais énergique, « Jah » court à sa perte, mu par la main invisible, néfaste et irrémédiable de sa condition. Dose d’oxygène dans la prédétermination, il s’adonne à la musique, musique d’écran où le personnage et le spectateur partagent autre chose qu’une gifle sociale – même si les paroles du rap y ramènent. Ce n’est qu’à la toute fin qu’on comprend la raison profonde de son crime, dans un travelling auquel succède un flashback, fin de l’exercice de style introduit par la rupture diégétique.
… MAIS RESTE DÉJÀ-VU
Pas désagréable, la méthode de cisaillement chronologique n’est pas soutenue par un final à la hauteur. La résolution donnée est faible et n’a pas l’envergure de la découpe du film. Alors qu’on s’attendait à du très trash, de la violence brute à l’écran (étant donné la pastille -16 ans, même si Netflix n’est pas très fiable là-dessus), les coups de poings et de pistolets restent classiques, pas vraiment déroutants.
Si l’intention était bonne, le rendu l’est beaucoup moins. All Day and a Night souffre du contraste entre son programme et ce qu’en fait la mise en scène. Très centrée sur l’univers « drogue et règlement de compte », elle flirte avec le déjà-vu dans ses situations et ses dialogues. La dimension oppressante d’un schéma répétitif est contre-balancée par des passages attendus et surfaits, limites clichés et donc téléphonés. L’émotion ne passe pas entre les personnages et le spectateur, qui comprend l’enjeu mais ne le ressent pas.
Le film dure 2h01 (générique inclus) et aurait gagné à être plus concis. De nombreuses scènes sont répétitives, enfoncent le clou et laissent quelque peu perplexe. Malgré la longueur (ou à cause d’elle), on ne parvient pas à s’attacher au personnage principal, pas mal interprété mais desservi par des actions moins palpitantes que prévues.
All Day and a Night est disponible sur Netflix depuis le 1er mai en France