Sorry We Missed You : critique qui faucille un peu du marteau

Simon Riaux | 17 mai 2022
Simon Riaux | 17 mai 2022

Sorry We Missed You est ce soir à 21h10 sur France 2.

Depuis des décennies, Ken Loach est un observateur critique du libéralisme, ce qu’il est convenu d’appeler un « cinéaste engagé ». Malgré de grands succès critiques, un soutien public constant tout au long de sa carrière et une récente consécration cannoise, les derniers efforts du cinéaste tendent vers une forme de caricature. Sorry We Missed You retrouve-t-il les élans d’humanité des débuts de sa carrière ?

BREAK SITH

Depuis la crise de 2008, la famille Turner vit dans la galère, mais vit néanmoins. Quand Rick croit voir dans un boulot de travailleur franchisé (et donc indépendant) une opportunité viable, il précipite les siens dans une spirale dépressionnaire irrépressible. Voilà pour le point de départ, particulièrement programmatique, du nouveau film de Ken Loach. Et si on reconnaît bien évidemment tous les marqueurs idéologiques du metteur en scène, il semble, durant la première partie de son récit, renouveler un peu ses ingrédients.

Il renoue avec un humour tendre que ses diatribes avaient progressivement perdu, et lorsqu’il décrit les interactions qui unissent le clan Turner, il le fait avec un sens des contrastes, un élan, qui manquait justement à It's a free world ! ou Moi, Daniel Blake. Quand ses derniers métrages étaient devenus génériques à force de dogmatisme, il renoue également avec le goût des textures et une forme d’attention à l’espace, qui permet à la ville de Newcastle de véritablement exister à l’écran. Autant d’éléments qui laissent à croire pendant 45 minutes que sa démonstration va gagner en force à coups de chaleur humaine.

 

photoQuand ne pas avoir de patron signifie tout de même rendre des comptes...

 

SE TIRER LABOUR

Mais sitôt dépassé le péage de l’autoroute à emmerdes, Ken Loach retombe dans les travers qui l’ont fait passer de cinéaste politique à petit catéchiste de gauche. Avec le cercle vicieux de l’ubérisation, Rick perd tout espoir, et plus rien ne pourra le sauver de l’enfer qui s’annonce. Quand bien même on pourra être d’accord avec le diagnostic initial de Sorry We Missed You (les attaques contre le salariat sont autant de pièges qui broient les plus fragiles et engrossent des entreprises capitalistiques, provoquant des ravages sur le plan social), la méthode employée par le metteur en scène laisse à désirer.

Avec un misérabilisme imperturbable, il déroule les stations d’un chemin de croix dont les personnages ne pourront jamais dévier. Quelques minutes après avoir pointé du doigt avec malice l’absurdité du système lors d’une séquence où deux supporters que tout oppose s’affrontent verbalement, il oublie rapidement toute forme de nuance et de distance, pour délivrer un tract pas tant anti-capitaliste qu’anti-réflexif. Les protagonistes du film ne sont plus là pour incarner des idées, pour donner chair à l'intrigue, ou vivre une histoire, mais seulement accueillir la misère du monde.

 

PhotoUne famille dans la tourmente

 

Et c’est là l’erreur fondamentale de la proposition de Loach dans Sorry We Missed You. En oubliant que même un libéralisme cannibale et échevelé propose toujours des zones d’échappée, de divertissement, de désir, de satisfaction, il rate le coche. Se voulant plus noir que noir, plus cru que cru, il tend vers une forme de dégoût, de révolte, finalement très confortable, car elle interdit la nuance, la remise en question, et donc la pensée.

Oui, l’ubérisation fragilise les uns pour fortifier les prédateurs, mais imaginer que l’asséner avec une simplicité aussi outrée relève d’autre chose que de l’indignation facile, voire de la complaisance, est une erreur indigne d’un cinéaste de cette trempe.

 

Affiche

Résumé

Ken Loach semble d'abord renouer avec la puissance humaniste de ses débuts, avant d'oublier en cours de route toute vélléités de nuance et de mise en scène, préférant le tract facile et confortable à la réflexion.

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Lecteurs

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commentaires
Marissol barreau (comptable)
18/05/2022 à 08:35

Le seul film qui a l'air bien de la sélection.

Et c'est super de voir des vrai acteurs roux homme au cinéma, ils sont sous représenté ou alors ont teint les cheveux des acteurs normaux... alors qu'ils sont magnifique !

major fatal
13/11/2020 à 10:09

Pour certain la vie c'est la misere sans espoir. Il a raison de le montrer.

Francis Bacon
13/11/2020 à 02:10

Pas d accord avec vous, par exemple vous dites que Loach retrouve la comédie par certaines scènes par rapport à I, Daniel Blake mais y a pleins de scènes amusantes déjà dans ce film (qd Daniel appelle les services d'aides sociales, qd il doit assister à des réunions de coaching pour faire un beau CV,...). Comme dit par mes camarades, pas vu de misérabilisme extrême justement le film propose des scènes de divertissement et d'espoir. Ken Loach est un passionné de foot et qd on connaît un peu le foot anglais, la dispute entre le supp de Man U et celui de Newcastle est une scène vraiment drôle et qui ne montre pas du tout "l'absurdité du système" comme vous dîtes (d'ailleurs comment on montre par des images l'absurdité du système ?). Peut-être que ce genre de lecture essentialiste (Ken Loach montre 2 supporters qui s s'engueulent c'est pour montrer l'absurdité du système) vous as fait passer à côté d'un bon film (balisé, je vous l'accorde, quand on connait ses auteurs)

alulu
12/11/2020 à 23:37

Pas vu, mais les films anglais dit "social" verse rarement dans le misérabilisme outrancier, il y a souvent de la mesure. On a fait le même reproche sur Daniel Blake mais perso, je ne trouve pas que Ken Loach en fait des tonnes. La réalité est bien plus noire que la fiction et quand le parcours kafkaïen s'y mêle en plus, alors qu'il y a urgence. Il est raisonnable d'en faire un constat, de penser qu'il y a maldonne. C'est vrai, qu'il a sa carte mais sa vision n'est pas si biaisée que ça en réalité.

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