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Fête de famille : critique en réunion

Par Simon Riaux
4 septembre 2019
MAJ : 23 septembre 2019
9 commentaires

L’œuvre de Cédric Kahn n’est pas la plus commentée du cinéma français, mais elle n’en demeure pas moins riche et variée. Metteur en scène et scénariste capable de voguer vers les eaux du thriller (Roberto Succo, Feux rouges), la fable onirique (L’Avion), le drame intimiste (La Prière), aussi bien que le questionnement érotique (L’Ennui), pour autant on ne l’attendait pas forcément aux abords d’un genre aussi balisé que le récit de crise familiale.

Affiche officielle

CHER KAHN

Avec Fête de famille, le réalisateur se met en scène pour la première fois, et introduit dans son travail une réflexion ludique sur la mise en scène comme prise de pouvoir, comme dialogue entre réalité et vérité. À première vue, rien ne distingue la famille d’Andréa (Catherine Deneuve) de milliers d’autres : déclassement inexorable d’un noyau bourgeois, disparités d’aspirations et de revenus, rancoeurs plus ou moins dissimulées… le spectateur craint un temps d’être englué dans des marécages trop connus, jusqu’à ce que Romain (Vincent Macaigne) sorte sa caméra et que Claire (Emmanuelle Bercot) piétine la fourmilière familiale, en rappelant qu’on l’a jadis spoiliée, de fort vicieuse manière.

 

photo, Catherine DeneuveUne matriarche pas tout à fait bienveillante

 

Car il n’est pas question dans Fête de famille d’un banal trauma qui ressurgirait ou d’une vengeance symbolique à accomplir, les humains réunis ici sont liés, broyés et finalement réunis par un pacte autrement plus cruel, sourd, et implacable. Le film de Kahn, loin de jouer une énième variante des veuleries de la bourgeoisie française, ausculte un mal terriblement insidieux. Comment des gens qui s’aiment, s’aiment sincèrement, peuvent-ils de concert, décider de sacrifier l’un d’entre eux pour préserver le confort, moral et matériel, de leurs existences ? C’est l’interrogation que porte chaque protagoniste, à un niveau de responsabilité différent.

 

photo, Emmanuelle BercotCelle par qui le scandale arrive

 

ALLONS ENFANTS DE LA FRATRIE

Pour répondre à cette question, le cinéaste paraît s’inspirer grandement de Tennessee Williams et de son théâtre qui manie simultanément l’éclat des passions ombrageuses et les ténèbres de la névrose. Entre cette femme que tout le monde est trop content de pointer du doigt comme la figure de l’hystérique (éclatante Bercot) et cette mère adulée malgré la froideur avec laquelle dispose de ses enfants comme de marionnettes (Deneuve), on retrouve la grâce poisseuse de La Ménagerie de Verre. Séquence après séquence, la mise en scène et le scénario mettent à nu cette personnalité d’enfant spectaculaire et abrasive, abattant un à un les clichés que le spectateur est initialement appelé à appréhender. Derrière cette femme prête à imploser, quitte à emporter dans sa colère tous les siens, se dessine le portrait pointilliste d’un coeur piétiné, une héroïne aux élans Cassavetesiens.

 

photo, Vincent MacaigneQuand un cinéaste frustré veut faire la loi

 

Kahn sait convoquer la peinture de caractères de Williams, mais il sait aussi s’inspirer de la dramaturgie propre au théâtre, pour la sublimer. Non pas qu’il se contente d’enchaîner les saynètes rigides ou statiques, mais il développe un art évident de la composition, comme si au sein d’un cadre imperturbablement fixe (symbolisant la famille) il prenait un soin chirurgical à observer les personnages saturer et vriller l’espace. Le résultat est précis, souvent glaçant. Mais la caméra sait aussi s’amuser des balances de point, jouer avec la frontière du cadre, épouser les explosions nerveuses de ses personnages, ou simplement la course effrénée de deux mômes dans un jardin. Ainsi, la tragédie théâtrale de Cédric Kahn laisse place à la fièvre.

Celle qui s’empare de ses anti-héros, celle qu’ils tentent de dissimuler, pour nous embarquer avec intelligence jusqu’à un dernier acte en forme de coup à l’estomac. Les valeurs établies s’y renversent presque instantanément, preuve que le réalisateur avait patiemment mais stratégiquement disposé ses pions. Manipulant l’aura de ses comédiens, à l’image d’un Vincent Macaigne d’abord agaçant de mollesse roublarde puis sidérant de mesquinerie crasse. Et sous ses airs de guide trop tranquille d’une ruine trop connue, Cédric Kahn nous pousse soudain dans le vide, signant au passage un de ses meilleurs films.

 

Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Si le spectateur croit d'abord revisiter un genre balisé, le sol se dérobe progressivement sous ses pieds, au fur et à mesure que Cédric Kahn dévoile les mécaniques implacables de ce drame dont la mélodie amère évoque Tennesse Williams et Cassavetes.

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Flo

Un rôle récurrent pour Emmanuelle Bercot, celui d’une femme rude et instable, ne pouvant compter sur personne jusqu’à ce qu’elle aille… droit dans la table (Attention ! scène à la limite du grotesque)… bref un élément perturbateur, qui a subi des indignités (enfant illégitime, sa famille s’est largement servi sur son héritage personnel) dont elle n’arrivera pas à s’en départir à mesure que les parents, frères, enfants etc préfèrent faire bloc pour protéger le clan… Plutôt que de reconnaître les erreurs commises, et trouver un moyen de se racheter.

Un typique film de famille décomposée en huis clos campagnard, avec les membres archétypaux : papa soumis à maman très chère – Catherine Deneuve la reine-mère, mais jamais volontairement écrasante… 
L’aîné chiant qui veut tout contrôler, et le réalisateur Kahn l’interprète lui-même, forcément – d’ailleurs il y est entouré de beaucoup d’autres acteurs/réalisateurs (y compris la jeune Luàna Bajrami, dans un rôle qui en devient méta)…
Les gosses qui voient tout ce qui se passe, et le cadet glandeur et irresponsable (Vincent Macaigne) dont la véritable nature tombe un peu comme un cheveu dans la soupe du twist… et qui se révèle aussi manipulateur que révélateur 

À l’arrivée, Kahn ne fait pas un simple film de règlement de compte explosif à la « Festen », avec peu de contrechamps… Ici l’intérêt est dans l’absence réelles de confrontations, qui permettraient de tout remettre à plat.
Ne rien faire, tout taire et éviter les compromis… c’est d’un pessimisme ahurissant, face aux cris de détresse d’une femme malade d’amour, qui ne sera jamais complètement acceptée parmi les siens.

Robo

Et vous oubliez de mentionner son film avec le père de famille qui enlève ses deux enfants pour vivre dans la forêt, c’était vraiment pas mal. Selon moi, Kahn est un cinéaste français les plus consistant.

héhé

Nous ne finirons pas ensemble 🙂

T-Rex

@greg
J’aime bien son travail mais je ne le compte parmi mes réalisateurs préférés. Je n’ai vu que 5 films sur les 11 qu’il a réalisé, donc pas vraiment un « fan hardcore » non. Simplement dans le cinéma français contemporain il est reconnu depuis de nombreuses années.

Greg

@T-Rex

J’ai utilisé le « on » de manière plutôt personnelle, j’avais déjà entendu parler de ce réalisateur mais sans voir ses films.
Désolé d’avoir heurté ses fans hardcore 😉

T-Rex

@greg
« …un cinéaste qu’on aurait pas remarqué autrement… »
L’Ennui, Roberto Succo, Feux Rouges, Les Regrets, Une Vie Meilleure… Vous ne devez pas trop connaitre et aimer le cinéma français pour tenir ce genre de propos.

Birdy

Oui complètement d’accord Simon sur la BA, j’ai cru revoir pour la 100è x le téléfilm classique France 2. Aucune part de mystère, et un montage qui veut faire croire à l’affrontement gentillet d’une famille sur fond de dette, avec réconciliation parce que quand même on s’aime.

Simon Riaux

@greg

Oh bah merci hein.

Par contre ne vous fiez pas à la bande-annonce, qui est absolument infecte.

Greg

Le genre de critique qui donne envie de découvrir un film, et pourquoi pas un cinéaste, qu’on aurait pas du tout remarqué autrement.